Plaidoyer pour le thé – À lire pendant la pause-café !
Le thé serait apparu il y a très exactement 4755 ans, en Chine. La légende veut que des feuilles desséchées soient tombées d’un arbre pile dans la tasse d’eau chaude de l’empereur Shen Nung.
La légende est belle mais à manipuler avec précaution. En effet, le thé ne pousse pas sur un arbre mais sur un arbuste. Mon côté Candide me pousse comme même à y croire, mon côté Pangloss à y trouver une solution rationnelle. Comment cette feuille pourtant suspendue très prés du sol pouvait atterrir dans la tasse de notre bon empereur ? L’empereur était peut-être haut comme trois pommes et se baladant dans une forêt de théiers avec un verre d’eau chaude dans sa main, sa boisson préférée, une feuille plongea queue la première dans ce qu’elle a considéré comme un bain chaud bien mérité.
Une autre idée me vient à l’esprit. Peut-être que la veille de la création du thé, l’empereur avait un peu abusé avec les boissons aux pourcentages supérieurs à zéro et se retrouva allongé dans une plantation avec dans sa main un verre de bière de la veille qui par un processus décanto-évaporatoire dû au soleil, à la pluie et au beau temps, a donné de l’eau chaude, dernière demeure idéale pour une feuille sèche, lieu de résurrection.
Laissons là toutes ces hypothèses qui, certes, pourront nous servir plus tard afin de comprendre les déviances d’esprit des producteurs et consommateurs de thé. Car le fait est là, l’empereur, quelque soit la manière dont il a créé le thé, a trouvé ça bon et ce fut le début de la longue carrière de cette boisson simple, ambrée et chaude. Il n’a rien trouvé à y ajouter, ni à y enlever et a transmis son amour et son savoir-faire du thé à son peuple, à son pays, puis par un jeu de théières communicantes, au monde entier. La terre l’a adopté et même 4755 ans après il fait parti des boissons les plus bues sur la planète. Et laissez-moi vous dire que ce n’est pas chose facile. Les polonais, par exemple, essaient d’exporter depuis des siècles ce qui porte l’agréable nom d’acide de pain, résultat liquide de pain fermenté, sans grand succès.
Mais 4755 ans après est-ce bien le même thé que nous buvons ? Pouvons-nous appeler le thé thé ? Il faut dire que la plante elle-même ne fait rien pour arranger les choses. Car Monsieur et Madame Thé ont trois enfants : Assam, Yunnan et Camellia. Trois gosses, qui ont décidé de diviser leur héritage et produire trois thés différents. Trois sales gosses qui, non seulement se sont divisés mais ont décidé que, dépendamment de la période de cueillette, ils vont donner un goût différent.
La nature a ses lois, l’homme a ses caprices. « Du thé noir ? Trop banal !» a dû dire Monsieur Lipton juste avant de faire des études de marché pour voir ce que les gens pourraient acheter. Des études de marché ou plutôt du marché. Monsieur Lipton, panier en main, dévala les routes des épices ou celles des fruits sur le marché de son village. « Tiens ! Une banane ! Tiens ! Un bâton de cannelle ! Tiens ! De la réglisse ! Hummmm…. Ça va faire un bon thé ».
On oublierait presque dans le thé, il y a thé. Le thé, moteur de plusieurs civilisations, boisson quasi sacrée en Chine, en Angleterre, il paraîtrait même que l’histoire de la Cène aurait été différente si Pierre n’avait pas oublié la bouilloire. Le thé solution de toutes les situations selon l’expression du premier ministre britanique William Gladstone : « Si tu as froid, le thé te réchauffera. Si tu a chaud, ça te détendra. Si tu es dépressif, ça te réconfortera. Si tu es excité, ça te calmera. ». Le thé, tradition ancestrale, a, hélas, lui aussi succombé à la mondialisation, à la mode des goûts, au capitalisme et libéralisme sauvage. Le thé a lui aussi cru que pour survivre il fallait s’adapter à la société. Le thé a gagné sont pari en restant tendance entre une pomme, une mure et des épices d’orient. Il a gagné son pari, mais à quel prix ? Au prix de s’évanouir dans un nuage de lait, au prix de ne plus être considéré comme une plante aux multiples vertus mais comme un produit industriel grandissant dans des batteries, allant à l’abattoir et passant de notre tasse à notre estomac comme on passe d’une chaîne à une autre. Une volonté de plaire pour subsister et le thé finira un jour par se travestir, allant jusqu’à son comble, devenir du thé saveur café.
Parce que le thé n’a pas besoin de cela pour se faire apprécier et parce que pour changer le monde il faut commencer par soi-même, je ne bois que du thé pur, du thé qui se rapproche des traditions millénaires, du thé qui se rapproche de celui que, par petitesse ou par gaité, a bu un jour ce bon empereur…