Plaidoyer pour un réemploi des cabines téléphoniques

Plaidoyer pour un réemploi des cabines téléphoniques

Orange se frotte les mains depuis l'adoption de la loi Macron en Juillet 2015. Ce package de dispositions pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances professionnelles intègre un élément essentiel pour l'opérateur historique français : lors de sa lecture au Sénat, la levée des obligations données à l'opérateur pour assurer un service universel d'accès au téléphone par le biais de cabines téléphoniques installées sur le domaine publique (article L35-1 du code des postes et communications électroniques).

L'opérateur historique, propriétaire et exploitant du réseau de cabines, n'aura plus d'obligations, à partir de 2017, pour maintenir et entretenir son réseau de cabines téléphoniques, monument historique de la France d'après-guerre. Cette disposition tombe à pic car le trafic de communications téléphoniques transitant par les cabines ne cesse de diminuer depuis le milieu des années 90 et le déploiement massif des réseaux de téléphonie mobile.

Jusqu'à présent, Orange était tenu de fournir au minimum un "publiphone" par commune et au minimum deux au-delà de 1.000 habitants ; il exploiterait donc encore un parc de 80.000 cabines téléphoniques dont 40.000 au titre du service universel. Mais leur rentabilité n'est plus au rendez-vous avec seulement 12 millions d'euros de chiffre d'affaires selon un rapport parlementaire, à cause d'une utilisation quasi-nulle avec moins d'une minute par jour et par cabine en moyenne tandis que les coûts fixes d'entretien demeurent à un niveau évalué à 13.6 millions d'euros selon l'ARCEP. 91% des cabines seraient ainsi déficitaires, poussant Orange à démanteler son parc commercial de cabines (autres que celles déployées et exploitées au titre du service universel). Par ailleurs, l'investissement nécessaire pour une remise aux normes et pour l'accès aux personnes à mobilité réduite est estimé à 300 millions d'euros sur les prochaines années. A l'heure où la tendance est à la chasse aux coûts chez les opérateurs français, et dans un contexte de rapprochement entre Orange France et Bouygues Telecom, les cabines devraient rapidement disparaître du paysage français.

La loi Macron condamne de facto le parc résiduel de cabines issues du service universel. En contrepartie, l'ensemble des opérateurs français de télécommunication auront l'obligation de couvrir les zones de couverture mobile dites "blanches" en 2G/3G pour garantir à chaque concitoyen un accès téléphonique par le réseau mobile (obligeant aussi à s'équiper d'un mobile et à souscrire à un forfait, même minimaliste). Il serait question de près de 4.000 communes concernées.

Au-delà de l'attachement culturel que les Français peuvent avoir avec leurs cabines téléphoniques, cette révolution pose la question de l'opportunité d'un réemploi de cette infrastructure qui a le mérite de déjà exister et de mailler le territoire de façon uniforme. Evitons de sombrer dans le syndrome des portiques écotaxe morts-nés sans avoir pu rapporter le moindre centime ! Pourquoi ne pas faire profiter l'intérêt commun de cette opportunité pour offrir une nouvelle génération de services télécoms de proximité qui resteraient à inventer ?

Le challenge resterait avant tout la définition du modèle économique associé car les coûts fixe d'entretien devraient perdurer. Or, plutôt que de faire supporter ce coût par un seul opérateur/exploitant (Orange), pourquoi ne pas le répartir sur plusieurs acteurs intéressés et susceptibles de proposer un service mutualisé ?

Je pense en particulier à l'option de transformer chaque cabine téléphonique en borne WiFi locale, accessible aux clients des opérateurs sur le modèle des réseaux WiFi des box réservés au trafic public (le WiFi FON par exemple ou SFR WiFi Public chez SFR) : l'explosion du parc de smartphones et tablettes compatibles WiFi est une réalité et crée un besoin nouveau. Les lieux publics sont souvent équipés de réseaux WiFi gratuits ou payant. De leur côté, les opérateurs proposent à leurs clients des réseaux WiFi publiques toujours plus vastes en capitalisant sur leurs parcs de box Internet déployées sur le territoire. 

Le modèle économique serait vertueux et équitable pour chaque opérateur : 

  • un argument supplémentaire incitant à souscrire une offre fixe (box ADSL, Câble ou Fibre) contre la promesse d'accéder en permanence et gratuitement au WiFi déployé par les ex-cabines téléphoniques qui deviendraient des points d'accès premium au WiFi et à l'internet haut débit fixe. 
  • pour les non-clients box, cet accès serait proposé contre paiement à la connexion ou à la consommation de data (ticket à l'heure, à la journée ou au mois) par carte VISA, PayPal ou SMS surtaxé.
  • pour les opérateurs qui doivent faire face à l'investissement en zones blanches, capitaliser sur les cabines téléphoniques pour y intégrer de puissants points d'accès au WiFi pourrait représenter un bon complément de maillage du territoire et une solution de secours idéale en cas d'incident déclaré sur le réseau mobile : la possibilité d'émettre/recevoir des appels (par skype par exemple) ou de se connecter à Internet par le WiFi limiterait ainsi la gêne client au coeur des zones rurales.
  • pour les collectivités locales ce serait un excellent outil de promotion des territoires, à l'heure où tout le monde n'a d'yeux que pour la French Tech, pourquoi ne pas favoriser l'essor du haut-débit au coeur des campagnes ?

A mon sens, la bonne vieille cabine téléphonique dispose encore d'un pouvoir d'attractivité à l'heure de la digitalisation de la vie quotidienne, des services publiques, et de l'émergence de nouveaux usages. 

Retrouvez ce billet sur mon blog : Plaidoyer pour un réemploi des cabines téléphoniques

A propos de Sébastien Goix : passionné éclectique (télécoms, digital, économie, marchés financiers, géopolitique, aéronautique...) qui aime partager par la création de contenus originaux.

cyril nacer

chef de maintenance des systèmes mécaniques

8 ans

Une chaîne de recyclage saturée. Les cabines téléphoniques ne servent quasiment plus, puisqu'en moyenne, chacune est utilisée une petite minute par jour, soit 100 fois moins qu'en 2000. Pourtant, il en existe encore 65.250 dans l'Hexagone (contre 300.000 dans les années 1990) et seules celles situées dans les gares, aéroports ou lieux touristiques restent utilisées. Une fois "débranchées", elles sont broyées puis recyclées, du moins pour certains éléments. Pourtant, leur démantèlement risque d'être plus long que prévu : la chaîne de recyclage est en effet saturée, ce qui rend impossible l'accélération du processus.

Yves Bonis

Responsable de communication chez Speedernet

8 ans

Je trouve votre plaidoyer tout à fait formidable. Au-delà du wifi, on peut imaginer la possibilité de recharger un terminal (en rase campagne, le problème peut devenir critique) ou encore pourquoi pas de transférer via wifi une part de ses données pour alléger une mémoire encombrée. Pour rebondir sur votre idée de collaboration avec les collectivités locales, on peut imaginer faire de ces lieux une opportunité de télécharger ou d'accéder via puce RFID par exemple, à un programme des spécificités naturelles, culturelles et patrimoniales des environs etc. Bref, la discussion que vous ouvrez stimule mon imagination ! La question suivante étant, comment transformer ces inspirations en réalités ?

Édouard ELCET

Dessinateur Illustrateur Infographiste

8 ans

Excellente idée!

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