« Plus de nature en ville ! » Interview de Loïc Mareschal, paysagiste chez Phytolab, qui nous raconte sa vision du projet Rout Lëns.

« Plus de nature en ville ! » Interview de Loïc Mareschal, paysagiste chez Phytolab, qui nous raconte sa vision du projet Rout Lëns.

Sur son site internet, Phytolab met en avant ses compétences pour les « mises en scènes de paysages multiples, dans des géographies et des contextes très divers ». La Lentille Rouge est-elle le décor idéal pour ce genre de projet ? Si oui, que vous inspire le site et pour quelles raisons ?

Avant toute chose, il faut savoir que le contexte dans lequel nous avons commencé à travailler sur le projet Rout Lëns est un petit peu particulier, puisque c’était pendant le confinement. Qui dit confinement dit impossibilité de découvrir le site comme nous en avons l’habitude, bien sûr. Or en 25 ans d’activité professionnelle, c’est la première fois que nous avons commencé à travailler sur un lieu sans être allés sur place.

Cela nous a donc amenés à trouver des moyens quelque peu détournés pour ce faire, entre autres grâce aux vidéos d’une communauté de vttistes. De ce fait, la première partie de la découverte du site a porté essentiellement sur son contexte, mais cela nous a permis de « faire du terrain » tout en étant assis dans nos fauteuils, derrière un écran, et découvrir la richesse du cadre dans lequel s’insère la Lentille Rouge, avant même de pouvoir s’intéresser au lieu en lui-même. Cette expérience inédite nous a permis de prendre de nombreuses notes sur l’environnement immédiat du site, grâce à tout ce que l’on voyait sur ces vidéos, et cela nous a inspiré pour le projet.

Pour revenir sur la question initiale, dans la série de paysages et contextes très divers, Rout Lëns a un caractère assez exceptionnel, non seulement pour son histoire et son patrimoine architectural, mais également pour son patrimoine vivant.

Les questions de l’espace public et de la dimension vivante du projet sur lesquelles nous travaillons plus particulièrement sont au cœur de la démarche : pouvoir faire vivre, à travers le site, tout un cadre géographique et culturel qui l’entoure. Sentir les caractéristiques des écosystèmes locaux en parcourant le lieu, notamment à travers des dispositifs de pelouse, de prairie sèche ou de boisement, mais aussi grâce à une végétation du voyage, qui fait un clin d’œil aux 122 nationalités d’Esch-sur-Alzette.

Au-delà de cela, l’ensemble de l’équipe projet, sous l’impulsion d’IKO Real Estate, considère ce projet comme une sorte de laboratoire où l’on expérimente pour l’avenir, dans différents domaines de compétences. Pour Phytolab, il était donc naturel de nous pencher sur l’évolution de la palette végétale en raison des évolutions du climat. Ainsi, notre démarche vise à la fois à mettre en valeur des milieux existants dans l’environnement immédiat du site, mais également à préparer l’avenir et anticiper au mieux les évolutions des palettes végétales locales auxquelles nous auront à faire face dans les décennies à venir.

Tout cela se retrouve sur la question des mises en scènes où nous travaillons à plusieurs échelles. Tout d’abord, il y a le travail à l’échelle du grand paysage, avec notamment le Hall des Soufflantes et son plan d’eau, qui s’ouvrent vers Belval au loin, ainsi que des cadrages sur le centre-ville d’Esch-sur-Alzette, qui se fait en collaboration avec l’urbaniste du projet. À plus petite échelle, il y a la mise en scène des éléments de patrimoine architectural, qui vise à les mettre en valeur, comme dans un écrin végétal. Pour reprendre les propos de Bernard Reichen, c’est le couple patrimoine-nature.

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Une des idées maîtresses est de préserver l’ADN du site tout en recréant un lien entre l’homme et son environnement. Après 42 années de « séparation », comment contribuer à ce que ces retrouvailles se déroulent harmonieusement et soient « durables » - dans tous les sens du terme ?

Une façon de faire, et cela a été le cas dans de nombreux projets, est de se dire que site est pollué, que les bâtiments industriels ne sont pas en bon état, que c’est compliqué, et du coup on opte pour la facilité en rasant tout le site, pour repartir d’une page blanche. Ce type de démarche ne permet pas de proposer un projet ancré et cohérent, en lien avec le passé, le présent et le futur d’un site.

Dans le cas du projet Rout Lëns, on trouve un équilibre entre harmonie et durabilité en s’inscrivant dans une histoire, en s’appuyant sur les éléments du passé pour leur donner un nouveau souffle. C’est en essayant de ne pas gommer toute l’histoire et les caractéristiques du lieu, mais plutôt en s’en inspirant, qu’on aboutit un socle de travail durable.

Aujourd’hui, il y a un travail de dépollution en cours, qui est nécessaire car l’industrie lourde a laissé des sols très pollués sur des profondeurs conséquentes. On trouve donc une forme de réparation dans le projet d’IKO Real Estate, qui « répare » ce terrain pour les générations futures. Et puis, il y a un volet de création et d’amplification de la richesse existante sur le site, à travers un travail sur la végétalisation et la mise en place d’espaces extérieurs. Démarche déterminante dans la qualité du projet, et encore plus dans la période que l’on connait avec le confinement : avoir vue sur les arbres, un balcon, pouvoir prendre l’air et cheminer dans des espaces qui sont des évocations de systèmes naturels, est aujourd’hui, plus que jamais, primordial.

Le tout dans un contexte ou la place de la voiture est très modeste, pour laisser place à une idée de résurgence du sol vivant, un lieu d’où la végétation rejaillit.

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Photo : pelouses calcaires sur le site de la Rout Lëns.

Qu’avez-vous découvert de particulier au niveau de la flore – il est notamment question d’orchis pyramidal. Expliquez-nous quelle est la spécificité de cette orchidée qui a décidé de s’installer… sur une ancienne friche industrielle ! Que va-t-elle devenir lorsque le site retrouvera une vie nouvelle ?

Cette charmante petite orchidée, dont trois spécimens ont été identifiés sur le site, s’appelle Anacamptis pyramidalis en latin. Elle pousse sur des lieux secs, par exemple des pelouses sèches, souvent sur des sols calcaires. Elle est rare, protégée dans plusieurs endroits d’Europe, et elle constitue un élément patrimonial, au même titre que les immeubles historiques finalement.

Au-delà de sa présence, cela révèle l’intérêt du site. 40 ans d’abandon, des sols remaniés, très pauvres, génèrent le développement d’une végétation de colonisation très spécifique, car elle se développe dans des milieux sans terre végétale, avec très peu de terre arable, pas de substrat. Ce sont en fait des lieux assez rares, et comme les friches industrielles sont souvent fermées ou peu accessibles, il n’y a presque ou pas de piétinement, ce qui permet à la nature d’y reprendre ses droits, tout doucement. Au-delà de la présence de l’orchis pyramidal, c’est donc tout un dispositif biologique et végétal qui nous parait exceptionnel.

Les travaux de dépollution à mener sur le site ne nous permettent pas de garder ces éléments végétaux en place. En revanche, l’idée est de reproduire ce type d’habitat, en particulier sur les toitures des bâtiments, qui sont aussi des lieux peu piétinés, avec un sol généralement mince et pauvre, et qui constituent donc l’environnement idéal pour les faire réapparaître au cœur du site. On peut recréer en toiture, en plein milieu urbain, des espaces de très grande valeur botanique. On pense donc que cette orchidée pourra se réinstaller, avec le temps, sur ces toitures, comme ça a déjà été le cas dans d’autres projets réalisés par Phytolab.

Ce que ces expériences montrent, c’est que le développement urbain, le développement immobilier, peuvent aussi être générateurs d’une biodiversité très particulière et très intéressante en milieu urbain.

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Photo : Toiture jardin, groupe scolaire Aimé Césaire, Nantes, Phytolab.

Il en est de même pour tout l’écosystème qui s’est développé sur le site au cours des quatre décennies passées… Quelles sont les mesures mises en place pour accueillir à la fois la flore mais aussi la faune (lézards, serpents, chauves-souris) ? Quel habitat allez-vous leur (re)-créer pour qu’ils puissent revenir sur le site et vivre, eux aussi, en harmonie avec les humains qui habiteront et travailleront sur la Lentille Rouge ? Ou iront-ils habiter et à quoi cela ressemblera-t-il ?

Quand j’ai commencé à travailler, on s’intéressait surtout à la voiture, puis, et de plus en plus, au vélo. Depuis quelques années - même si nous travaillons sur cette question depuis déjà quinze ans chez Phytolab - on s’intéresse au déplacement et à la vie des autres êtres vivants, c’est-à-dire que l’on ne s’intéresse plus uniquement aux êtres humains, mais aussi aux hérissons, aux lézards, etc.

Cela relève bien sûr d’une complexité plus grande, les enjeux sont d’essayer d’accueillir tout le monde et de faire en sorte que l’habitat humain s’insère dans un écosystème plus vaste, dans lequel il cohabite avec d’autres habitats.

Pour cela, Rout Lëns est également un projet très intéressant. D’une part parce qu’à une échelle plus large, le site se situe à la convergence de plusieurs systèmes de paysages, et parce que le projet a la volonté de retrouver une continuité entre tous ces systèmes, à travers la Lentille Rouge. On doit donc penser au vol et à la nourriture de la chauve-souris, du hérisson, de la couleuvre, etc., et on doit aussi penser aux micro-habitats qui existent aujourd’hui, afin de pouvoir les reconstituer demain.

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Pour cela, l’élément fondamental à travailler est la question de la rugosité d’un certain nombre de lieux : si l’on met en place un mur ou un élément très lisse, il n’accueille pas la vie. En revanche, si on lui donne de la rugosité, il sera capable d’accueillir des insectes qui se protègent l’hiver, de la faune et de la flore.

Il en est de même pour la limite entre un boisement et un chemin : vous avez une prairie et un boisement, qui ont chacun une faune et une flore qui sont inféodés à ces milieux spécifiques. Si l’on arrive à créer une lisière entre les deux, c’est-à-dire une sorte de fourré arbustif, vous créez un habitat qui accueille à la fois les êtres vivants de la prairie, ceux du boisement, mais également des êtres vivants spécifiques à cette lisière. C’est ce qu’on appelle l’effet d’écotones.

Cette approche est donc celle déployée dans le projet Rout Lëns. L’idée est d’imaginer, par exemple pour les enfants qui vivront dans ce quartier, qu’ils puissent y apprendre à découvrir le patrimoine vivant et l’apprécier, l’aimer, ce qui représente un enjeu fort pour les générations futures. A nouveau, la question de la mise en scène est très importante, car elle donne de la valeur esthétique et de la qualité aux yeux de tous, et permet ainsi de faire découvrir la beauté du monde vivant.

On a parlé de la place des Soufflantes et de son bassin. Pourriez-vous nous expliquer comment on a intégré un élément technique – le bassin de rétention – pour en faire un élément naturel, et surtout un lieu de vie pour le futur quartier ?

C’est le principe de la pierre deux coups et de l’insertion.

Tamponner et réguler les eaux sur site, en cas d’orage, est important. Cela se fait via des bassins de rétention, dont on a souvent une image peu valorisante malheureusement.

A Rout Lëns, on utilise cet élément, à la base technique, pour en faire un élément de parc. C’est-à-dire qu’il est en herbe, qu’il est associé au développement d’une zone humide, qu’il a un plan d’eau permanent, et qu’il est entouré de gradins qui permettent de le découvrir. Cela en fait un espace à la fois très beau, mais aussi un élément qui participe pleinement à la vie humaine sur le site, tout en accueillant une flore et une faune diversifiée.

A nouveau, on retrouve le lien entre l’homme et la nature, en conciliant des enjeux que l’on a souvent tendance à opposer.

Enfin, il est important d’ajouter que l’on va planter beaucoup d’arbres à Rout Lëns, et qu’il s’agira majoritairement d’espèces locales.

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