Port-Arthur 1905, la belle surprise de l'été.
Le 30 juin sort chez Economica, le dernier livre de Bruno Birolli, journaliste spécialiste de l’Asie, sur le siège de Port-Arthur pendant la guerre russo-japonaise qui ensanglanta la Mandchourie de 1904 à 1905. Disons-le tout de suite, ce livre nous a conquis.
Tout d’abord, il a le mérite de mettre enfin en lumière ce conflit majeur pour apprécier justement l’évolution de l’art de la guerre depuis l’industrialisation du 19ème siècle. Les derniers livres en français sur le sujet datent presque tous des années 1906-1913 ! Ce sujet trop peu étudié depuis permet pourtant de comprendre ce que certains ne comprennent toujours pas lorsqu’ils évoquent les hécatombes européennes de la Grande Guerre. Seul Emilio Gentile dans son incontournable Apocalypse de la modernité y accorde une place significative.
Grâce à son accès à de nombreux témoignages des belligérants, Bruno Birolli nous fait revivre la première grande bataille du 20ème siècle dont l’horreur surpasse tous les conflits précédents. Sur un front réduit au périmètre de la forteresse de Port-Arthur, soit à peine 4 km, des dizaines de milliers de soldats japonais vont tomber pendant cinq mois en se lançant à l’assaut des lignes russes défendues par les terribles mitrailleuses Maxim. Outre les mitrailleuses, les fortifications russes sont également protégées par des fils barbelés où viennent s’échouer les vagues humaines japonaises. Les tactiques employées par l’état-major nippon sont dignes de Napoléon et malgré l’usage des premières grenades artisanales ressuscitées des sièges du 17ème siècle, les fantassins nippons ne peuvent opposer que leur courage aux balles et aux obus russes.
L’artillerie des deux camps finit par devenir l’arme principale de cette confrontation titanesque, et comme en Europe dix plus tard, il faut un bombardement colossal pour préparer la conquête de quelques mètres de tranchées de la forteresse défendue avec acharnement par des soldats russes au courage et à l’abnégation remarquables. Les pertes dues à l’artillerie et aux grenades dépasseront pour la première fois dans l’Histoire les pertes dues à la mousqueterie. Les premiers obusiers lourds, les « bébés d’Osaka » notamment, font leur apparition pour favoriser la destruction des réseaux de tranchées grâce à leur tir courbe. Enfin, pour coordonner leurs assauts et leurs barrages d’artillerie, les Japonais font un usage intensif du téléphone de campagne pour communiquer rapidement leurs ordres et leurs comptes-rendus. Les Russes ne bénéficient malheureusement pas de l’usage de ces nouvelles technologies pour défendre leurs positions faute d’intérêt de leurs officiers.
Cette bataille pose donc le tableau de ce que seront désormais les conflits entre nations industrielles tout au long de la première moitié du 20ème siècle. Malheureusement, comme le souligne l’auteur, les fruits des études publiées entre 1906 et 1913 par les attachés militaires présents sur place ne mûriront dans aucun état-major occidental. Les Japonais seront d’ailleurs les premiers à s’aveugler sur la nature de leur coûteuse victoire (130 000 morts en comptant les morts de maladie). Ils entretiendront jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale l’idée que la charge d’infanterie tout juste soutenue par les feux d’armes automatiques suffit pour emporter la décision.
Nous ne pouvons que vous recommander la lecture de cet ouvrage et espérer que l’auteur nous offrira bientôt un volume sur l’autre grande bataille, tout aussi riche de leçons, de cette guerre oubliée : MOUKDEN.