Pour une union populaire agissante
Jamais en aussi peu de temps n’auront fleuri autant d’appels pour « le jour d’après ». Et ces derniers jours auront été particulièrement prolixes : de « plus jamais ça » en passant par le « conseil national de la nouvelle résistance » jusqu’à une « convention du monde commun » lancée par 150 personnalités de gauche (militants et dirigeants socialistes, écologistes, voire de droite, des économistes, des syndicalistes et quelques dirigeants du parti communiste). À croire que le coronavirus a déclenché une autre forme d’épidémie ! Une sorte de frénésie politique doublée d’une logorrhée qui permet de dire un peu tout, de se référer aux actes les plus héroïques de notre histoire contemporaine y compris en oubliant l’essentiel, par exemple que les morts enregistrés à ce jour, à l’occasion de la crise sanitaire, sont le résultat de l’épidémie et non d’actes de résistance et de combat contre l’ennemi pour la liberté et un monde meilleur.
À cet instant c’est l’appel pour « une convention du monde commun » qui fera l’objet des propos suivants. Il convient en effet de relever que la signature, par des dirigeants communistes, d’un pareil texte et en une telle période, interroge. D’une part les communistes, y compris le Conseil National du Pcf, sont mis devant le fait accompli. De l’autre, il faut bien constater que le soutien au contenu de ce texte pose la question du respect des orientations votées lors de notre 38ème congrès tant en la forme que sur le fond.
En la forme le soutien à ce texte renvoie à toute une démarche avec laquelle notre dernier congrès avait décidé de rompre. Celle qui consistait, pas plus tôt les travaux d’un congrès achevés, à ranger consciencieusement le texte au fond d’un tiroir pour l’oublier définitivement quelques mois plus tard. Et par conséquent celle qui, s’agissant de notre stratégie, particulièrement de la construction du rassemblement, avait décidé d’en finir avec un modèle essentiellement conçu autour d’accords programmatiques de sommets. L’orientation définie consistait à mettre la construction des contenus du projet politique et de l’union des forces politiques dans les mains des citoyens. Il s’agit de faire avancer, au rythme de l’action commune, les solutions politiques et le rassemblement nécessaire des organisations. Cela implique le débat public sur les propositions des uns et des autres, et donc l’autonomie d’expression de chacun.
Par ailleurs ce texte est pernicieux tant il peut distiller de division entre les communistes mais aussi parmi le mouvement populaire naissant. Il est dangereux de profiter du désastre sanitaire et de la colère de la population face à la gestion de la crise par le pouvoir, pour créer des illusions. La chute sera d’autant plus terrible que les vrais problèmes auront été soigneusement contournés, que le peuple aura été minutieusement tenu à l’écart des décisions essentielles concernant le contenu des changements à opérer et les dispositifs pour les porter afin de promouvoir une autre politique en France et Europe.
Et c’est bien précisément en matière de contenus que ce texte pose un véritable problème. Plutôt que d’éclairer le débat, ce texte le brouille. Cela tient au fait qu’il n’y a pas réellement de caractérisation des origines et des causes de la crise en cours. Il se borne à travailler le « jour d’après » comme si une fois le virus terrassé, la crise serait derrière nous et qu’il s’agirait de repartir de plus belle avec quelques corrections à la marge et un ripolinage vert. La crise à laquelle nous avons à faire est une sorte de crise jumelle articulant une crise sanitaire et une crise économique, sociale et financière, d’ailleurs largement entamée avant l’épisode sanitaire, comme en attestent les données de conjoncture mondiale de la fin 2019. Et la pandémie du coronavirus s’est transformée en une crise sanitaire mondiale parce pendant de nombreuses années le système avait choisi de briser les outils de lutte et de résistance aux pandémies par ailleurs prévisibles ; particulièrement l’offre de santé publique mais aussi l’ensemble de garanties et protection sociales dont les services publics et les droits sociaux et collectifs.
Et que propose ce texte en réponse à cette situation ? Par exemple en matière d’énergie, dont on sait qu’elle est un des éléments fondamentaux pour assurer le développement d’une offre de soins de haut de niveau sur l’ensemble de la planète ? Tout pour les productions locales d’électricité, c’est-à-dire exit une maîtrise sociale et nationale nouvelle de l’énergie électrique avec un grand pôle public de l’énergie et bienvenue aux affairistes et aux ponctions sur le consommateur.
Si ce texte aborde successivement les questions de protection sociale, d’Europe, de financements, de travail et d’emploi, les propositions en restent à un niveau très général et vague, permettant toutes les évolutions possibles lorsqu’il s’agirait de prendre concrètement des décisions. Par exemple sur l’utilisation de l’argent rien de précis n’est avancé, surtout pas en matière de politique nouvelle du crédit et de rôle de la BCE avec un euro au service du développement humain et écologique en lien avec d’indispensables pouvoirs nouveaux d’intervention des salariés et des citoyens pour en décider l’orientation. Idem en matière de fiscalité. Rétablir l’ISF, c’est bien, mais encore faudrait-il l’étendre aux biens professionnels. Par contre, rien sur l’impôt sur les sociétés qui est pourtant l’impôt par excellence pouvant jouer un rôle efficace de levier afin d’inciter à une autre utilisation de l’argent issue de la production des richesses dans les entreprises. S’agissant de l’Europe et de son évolution, là encore, derrière d’apparentes bonnes intentions, pointent en fait des solutions poussant au fédéralisme et contribuant au final à dessaisir encore plus les peuples de leur destinée. Enfin s’agissant de l’emploi la question n’est pas que d’en finir avec les chômeurs de longue durée et encore, à cet égard, faudrait-il évaluer vraiment l’efficacité du dispositif : « territoire zéro chômeur » ! Il s’agit aujourd’hui, dans les conditions créées par la crise sanitaire toujours en cours, et aussi pour l’avenir, de proposer une véritable sécurisation d’emploi et de revenus pour toutes et tous avec la formation comme moyen de régulation du marché du travail, dans l’objectif de développer les compétences et les potentiels de chaque individu, pour une nouvelle productivité au service de l’émancipation humaine.
Dans la situation de crise actuelle de système et de ses développements qui risquent de faire des ravages bien plus grands que la pandémie, plus que jamais il faut faire appel à l’intervention et à l’action lucides du peuple. Encore faut-il pour cela ne pas le conduire sur des voies qui ont maintes fois échoué. Chaque salarié, chaque citoyen est capable de comprendre et de prendre les décisions les plus importantes, les plus audacieuses mais encore faut-il que les responsables politiques, dont le rôle est d’éclairer la voie et de verser au débat des propositions crédibles et constructives, abattent leurs cartes en affichant clairement la couleur du pavillon qu’ils défendent.
Faire croire qu’on va repartir j’oserai presque dire comme en 14, la fleur au fusil en disant « faites-nous confiance ce ne sera pas long et on va régler le problème », alors qu’on n’a ni armes, ni munitions à la dimension de l’arsenal de l’adversaire, c’est-à-dire aujourd’hui le capital et son avidité de profit, c’est préparer un désastre encore plus grand et des issues encore plus dramatiques.
L’urgence, c’est des propositions précises, offensives, engageant une vraie bascule de système. Cela concerne, avec des objectifs sociaux et écologiques audacieux, les moyens de les réaliser :
· Tout ce qui touche à l’utilisation de l’argent et à la création monétaire (rôle des banques, de la BCE au service d’un autre euro, mais aussi la politique fiscale pour une incitation à un autre mode de gestion de l’argent des entreprises).
· Dans le même mouvement des droits et des pouvoirs nouveaux d’intervention des salariés et de la population dans les gestions.
· Cela nécessite enfin la relance et la création de grandes entreprises publiques adossées à des services publics modernes et renforcées afin de gérer les biens communs de l’humanité et de pouvoir répondre en réel et non de façon superficielle au défi écologique et de maîtrise sociale nouvelle.
Tourner autour du pot d’enjeux aussi décisifs, c’est mentir au peuple et en quelque sorte le laisser nu face à un adversaire qui n’a de cesse de vouloir le dépecer !
Professeur de Sciences économiques et sociales Lycée Saint Charles Marseille chez Ministère Éducation nationale
4 ansUne remarque en passant: étendre l'ISF aux biens professionnels est une mauvaise idée, contre-productive. Il ne faut pas décourager la production de richesses et de revenus mais il faut repenser toute la fiscalité pour qu'elle soit à la fois redistributive et plus juste sans pénaliser l'incitation à produire. Sur la BCE tout le monde est dans le flou et on voit fleurir des propositions "magiques" comme si tout était possible. Sur ce point , il va falloir faire travailler les économistes ( très divisés sur ce point). La gauche n'est pas prête mais il faut se mettre à penser l'alternance de façon plus sérieuse.