Pourquoi continuons-nous à enseigner le calcul aux enfants?
Aider ses enfants à faire les devoirs de math est parfois une tâche qui peut devenir relativement frustrante.
Repassons les différents aspects d'un processus scientifique et comparons ça avec ce que font nos enfants au cours de math.
1. Se poser les « bonnes » questions.
2. Réaliser une expérience.
3. Traduire les observations faites dans le monde réel en langage mathématique (modélisation mathématique).
4. Calculer.
5. Observer si les prévisions mathématiques se confirment dans le monde réel au-delà de l’expérience initiale (« débordement » du modèle).
Le point numéro 1 n’est pas exclusif aux mathématiques mais c’est la définition même du processus intellectuel, si l’on accepte que l’intelligence ne consiste pas à connaître toutes les réponses mais savoir poser les bonnes questions. Il est important de noter que les points 1, 2, 3 et 5 sont les tâches où l’être humain est supérieur à la machine mais ce qui est hallucinant c’est que, dans les cours de math, nous consacrons 80% du temps à l’apprentissage du point numéro 4 qui est précisément le seul point où les machines battent l’être humain (et à plate couture). Conrad Wólfram (Conseillé en Science au Kings College de Londres) se demande pourquoi nous enseignons aux enfants à imiter les machines sur un terrain où précisément l’être humain ne va jamais gagner?
Si nous prenons en compte que l’enseignement est sensé préparer les étudiants à entrer dans le monde professionnel (un monde dans lequel nous sommes souvent très pressés de retirer la partie humaine et de la remplacer par la machine) cette obstination pour enseigner aux étudiants le calcul manuel est pour le moins curieuse.
Il ne s’agit pas de nier les bienfaits du calcul pour l’esprit. Il est sain de pouvoir faire rapidement quelques approximations mentales pour trouver une réponse satisfaisante sans l’aide d’une calculatrice. Il ne faut cependant pas oublier que les techniques de calcul évoluent (nous n’utilisons plus les tables de logarithmes que nos Grands Parents devaient apprendre à utiliser au cours de math). Nous finissons par oublier que les mathématiques sont beaucoup plus que « calculer ».
L’un des arguments (par l’absurde) que l’on pourrait être tenté d’utiliser pour défendre le calcul manuel à l’école est l’analogie avec la mémoire et prétendre que l’être humain n’aurait pas besoin d’exercer sa mémoire puisque les ordinateurs en ont. C’est évidemment un argument spécieux car la mémoire est fondamentale. Sans mémoire on ne pourrait même pas réaliser les tâches les plus simples de la vie quotidienne. Marcher ne sert à rien si l’on ne se souvient pas où l’on va. Par contre calculer n’est pas, en ce sens, une tâche fondamentale.
En fait, ce que je viens d’écrire jusqu’ici n’est pas vraiment original ni novateur, à l’époque où moi-même j’étudiais les mathématiques il y avait déjà des professeurs qui prêchaient pour moins de calcul et plus de mathématiques réelles. A notre époque de plus en plus de professeurs de math sont frustrés par les programmes qu’ils ont l’obligation de suivre.
Comme le souligne Conrad Wolfran (il m'a inspiré pour l'introduction de cet article), durant les derniers millénaires les mathématiques étaient limitées par le calcul mais dans les dernières décennies les ordinateurs ont libéré les mathématiques du calcul et curieusement cette libération n’est pas encore arrivée dans les écoles.
Certains pensent qu’avant d’utiliser une machine il faut avoir une « certaine base » et c’est probablement vrai mais il ne faut pas perdre de vue qu’avoir « une base » est un concept en permanente évolution. Au début du vingtième siècle pour être conducteur de voiture il fallait avoir une solide base en mécanique mais ensuite l’automatisation a peu à peu libéré l’aspect conduite de l’aspect ingénierie.
La frustration d’un père de famille qui aide ses enfants à faire les devoirs de math n’est pas en soi un thème tellement critique. Laissons donc de côté pour le moment le problème du calcul et centrons-nous sur un sujet d’une plus grande importance et qui se voit affecté par la manière dont nous enseignons les mathématiques aux enfants: L’imagination.
La majorité d’entre nous accordons plus d’importance à l’imagination qu’aux connaissances, c’est pourquoi mes « critiques » envers l’enseignement vont s’intensifier dans les chapitres suivants.
Il est intéressant de remarquer que parmi les 5 points qui constituent le processus mathématique cité avant, il y en a 4 qui ont une relation étroite avec l’imagination… et se sont justement les 4 auxquels nous consacrons peu de temps au cours de math puisque durant les 80% du temps nous apprenons à calculer.
Après le calcul, nos enfants passent à la résolution de problèmes, un exercice qui est sensé combiner l’imagination et le calcul en vue de la recherche d’une solution. L’intention paraît très bonne mais les livres donnent en général la liste complète des données nécessaires pour le calcul. On laisse peu de place à l’imagination lorsque la résolution de problèmes se transforme en protocoles de calculs dont toutes les données sont connues à l’avance. Dans certains cas des étudiants futés peuvent résoudre le problème sans avoir réellement besoin de comprendre puisque, contrairement à ce qui se passe dans la vie réelle, ils ont toutes les données nécessaires sans devoir se creuser un peu pour trouver l’information qui manque.
Pour progresser, la science a besoin d’esprits libres dotés d’un haut degré d’imagination mais l’éducation (primaire/secondaire) ne renforce pas vraiment ces qualités dans les cours de math (sauf initiatives personnelles de la part de certains professeurs).
Toutes les réformes de l’enseignement dont nous avons été les témoins durant ces dernières décades nous démontrent que la préoccupation pour l’éducation est réelle mais malheureusement la qualité de l’enseignement ne s’est pas amélioré proportionnellement au nombre de réformes (certains pensent même que la qualité a baissé mais je ne me sens pas compétent pour comparer la qualité de l’enseignement d’aujourd’hui avec celle d’il y a 30 ans). La réforme importante sera celle qui libérera les mathématiques du calcul, celle qui obligera réellement à développer l’imagination, celle qui finalement produira les esprits dont la science a besoin.
Cela fait maintenant plus de 70 ans que la physique théorique ne propose rien de nouveau d’un point de vue fondamental (certains diront que la physique a produit la théorie des cordes mais c’est une théorie qui n’a pas été démontré et qui n’est donc que l’une des « candidates » au titre de théorie fondamentale). Les prochaines avancées en physique théorique vont supposer un mélange de concepts relativistes et de concepts quantiques mais faisons nous confiance à l’imagination des jeunes étudiants ou bien les limitons nous d’entrée de jeu en décrivant, par exemple, les électrons comme de petites boules qui tournent autour des noyaux atomiques (ce que je vois régulièrement dans les livres de cours du secondaire). Il est étrange de voir à quel point les idées de base de la relativité et de la mécanique quantique, plus de 100 ans après leur découverte, n’ont toujours pas réussi à imprégner le grand public. La science du XXième siècle a démontré que les constituants de la matière ne fonctionnent pas comme des boules sur des trajectoires mais dans l’enseignement les livres s’accrochent à ses vielles images. Pourquoi ? Parce que c’est facile à transmettre. Le problème c’est que ça ne sert à rien et ça continue à transmettre des concepts erronés desquels il est ensuite difficile de s’extirper.
Certains me diront que cette dernière phrase est provocatrice, que j’exagère et que la vulgarisation scientifique est accessible au public non scientifique, ceci dit, il y a des choses qu’on ne peut simplifier sans les dénaturer. Je ne suis pas en train de nier l’existence d’une vulgarisation scientifique de haute qualité car celle-là aussi existe mais elle ne représente qu’une part très limité de ce qu’on a l’habitude de qualifier de vulgarisation scientifique et une grande part du public ne la différencie pas. Comme je l’ai dit avant, penser à l’atome comme à un petit système planétaire où l’électron tourne autour d’un noyau est, pratiquement équivalent à penser que la terre est plate. Ceux qui pensent que j’exagère diront que cette image de l’atome utilise des concepts simples et connus qui peuvent fournir une bonne première approximation de ce qui se passe dans un atome. C’est faux. Ne sous estimons pas l’imagination de nos enfants, ne leur mentons pas car il existe une façon simple d’expliquer des concepts complexes, ce qui est difficile c’est de la trouver. Personne n’aurait l’idée de commencer un cours d’astronomie en disant que la terre est plate et que le soleil est un boule de feu plus petite que la terre et que cette boule tourne autour de la terre et pourtant ça serrait une « bonne première approximation » pour nos enfants car cette image combine des concepts simples et connus. Les enfants voient que la terre est plate et voient que le soleil tourne autour. Cette façon de commencer un cours d’astronomie serrait néanmoins absurde (il est parfois bon de mentir un peu pour simplifier mais on ne peut à ce point trahir la vérité) de la même façon qu’il est absurde de continuer à expliquer les atomes comme de « petits systèmes planétaires » et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Les avancées de la science, comme toujours, devront être réalisé par des esprits jeunes, libres et dotés d’une imagination sans limites or, aujourd’hui, ces caractéristiques de l’esprit humain se développent plus dans un cours de peinture à l’huile que dans un cours de mathématiques esclave du calcul ou dans des cours de sciences esclaves des images simplistes du passé. C’est dommage car l’imagination artistique est complémentaire à l’imagination scientifique. Une vraie réforme du cours de math est nécessaire.