Pourquoi j'ai quitté la recherche
[ENGLISH VERSION BELOW]
L’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de quitter la recherche est le #plagiat. J’aimerais partager mon histoire, à la faveur d’un article sur ce sujet paru dans Le Monde aujourd’hui.
Comme l’écrit la journaliste Alice Raybaud, 1 doctorant sur 5 est victime de plagiat. Quand ce n’est pas du plagiat avéré, c’est de l’abus de pouvoir, de confiance, un détournement du savoir ... C’est ce que j’ai vécu, peu de temps après ma soutenance en décembre 2019.
Un professeur renommé d’une prestigieuse université américaine a insisté pour recevoir ma thèse. Après avoir initialement refusé, pour préserver son exclusivité, j’ai finalement accepté au terme d’une discussion par visio. Ce professeur m’avait parlé d’un projet de livre sur un sujet particulier : en l’occurrence, un concept appliqué à un ensemble d’artistes. Chauncey Hare, le photographe auquel j’avais consacré ma thèse et que je connaissais personnellement (fait rare), l’intéressait à ce titre.
J’ai donc envoyé ma thèse à ce professeur :
1. Par confiance envers un pair, qui connaît la valeur d’un travail de recherche personnel et qui comprend la notion d’exclusivité ;
2. Pour obtenir son feedback de professeur américain ;
3. Pour obtenir des contacts dans le milieu de l’édition anglo-saxonne. Je lui avais explicitement parlé de mon projet de publier ma thèse, dès que j’aurais réussi à trouver une maison d’édition (pas facile). Ce professeur, ayant déjà publié de nombreux livres, pouvait me donner quelques idées.
Vous devinez la suite ?
Quelle a été ma surprise, ou plutôt ma rage, quand j’ai appris que ce même professeur allait publier un livre exactement sur mon sujet de thèse. Rien à voir avec le sujet qu’il m’avait évoqué. Son livre est annoncé sur le site de l’éditeur comme « la première biographie critique de Chauncey Hare » – ce qu’est ma thèse, exactement, et dont il disposait dans son ordinateur depuis quelques mois.
À AUCUN MOMENT je n’ai été avertie de ce projet de livre, ni par l’auteur ni par son éditeur. Si j’avais su qu’il existait, JAMAIS je n’aurais envoyé l’intégralité de ma thèse par mail.
Mon directeur de thèse, tous les membres de mon jury de thèse, les représentants de l’école doctorale et même la présidence de l’Université Paris 1 ont été aussi choqués que moi par ce procédé.
Pourtant, toutes mes réclamations auprès de la maison d’édition sont restées lettres mortes. Rien n’y fait. Pour aller plus loin, il faudrait désormais engager une procédure légale compliquée, risquée et coûteuse, dont je n’ai pas les moyens.
En réponse à mes sollicitations inquiètes, l’auteur m’a expliqué qu’il ne s’agissait pas d’un plagiat ni d’une reprise de ma thèse, et qu’il m’avait citée en note de bas de page de son livre.
Soit. Il n’y a sûrement pas de plagiat au sens propre, c’est-à-dire de "copier-coller" de mes phrases. Mais en attendant, mon projet de publier ma thèse n’a plus aucune valeur, puisque l’exclusivité de mon sujet m’a été grillée.
Par qui ? Par quelqu’un qui a du pouvoir et du réseau, et en a abusé pour obtenir ce qu’il voulait. Au détriment d’une jeune docteure, qui n’avait ni l’un ni l’autre. Au détriment aussi de l’université française qui m’a financée pendant 3 ans : tout cet argent investi pour produire un savoir qui, au final, arrive au public via un auteur américain chez un éditeur anglais.
Cette histoire a suscité en moi un profond dégoût, et mis en lumière de nombreux dysfonctionnements qui affectent le monde académique. C’est sans regret que j’ai quitté la recherche.
Je me suis longtemps retenue de publier cette histoire sur mes réseaux sociaux, ayant peur de me voir accuser de diffamation. Du coup, rien ne se passe, et le livre va bientôt sortir.
Pourtant, ce que je raconte, ce sont des faits. Je ne suis pas en mesure d’affirmer aujourd’hui que ma thèse a été plagiée. D’ailleurs, il paraît que la notion de plagiat n’existe même pas en droit français. Mais je peux clairement affirmer que j’ai été victime d’un abus de confiance professionnelle qui m’a privée de ce qui aurait dû couronner 3 ans de travail : la publication de ma thèse.
Vos témoignages et recommandations éventuelles seront les bienvenus.
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Recommandé par LinkedIn
One of the reasons why I quit #research is #plagiarism. I would like to share my story, on the occasion of a related news article published by Alice Raybaud on Le Monde.
As she writes in her piece, 21% of PhD students are victims of plagiarism. When it is not obvious plagiarism, it’s breach of power and trust, or appropriation of knowledge… I have been of victim of this, not long after finishing my dissertation in 2019.
A well-known Professor from a prestigious American university insisted to read my dissertation. I first refused to send it to him, to protect the exclusivity of my text, but later accepted after we spoke directly on Zoom. This professor had mentioned a book project about a particular topic: namely, a concept applied to a group of artists. This is why – so he said – he was interested in knowing more about Chauncey Hare, the photographer I studied in my dissertation and whom I knew personally (worth mentioning, as he was a very private person and died in 2019).
So I sent this Professor my dissertation over email:
1/ out of trust for a peer, who knows the value of personal research and understands the concept of exclusivity,
2/ To have his feedback as a US Professor,
3/ To get contacts in the American publishing business. I had talked to him about my wish to publish my dissertation, as soon as I would have found the right publisher (a quite complex task). This professor, having published many books already, would be able to help me on that.
Do you see what’s coming?
There are no words to express my surprise and utter rage when I found out, a few months later, that this Professor was about to publish a book on exactly the same subject as my dissertation. It had nothing to do with the book project he mentioned before. His book is described on the editor’s website as “the first critical biography of the American photographer Chauncey Hare” – which is exactly what my dissertation is. Which he had had in his computer for months.
NEVER have I been informed of this book project, nor by the author nor the editor. Had I known that it existed, I would NEVER have sent my dissertation, in its entirety, over email.
My research director, all the members of my jury, the members of the Ecole Doctorale and even the Presidence of University Paris 1 Panthéon Sorbonne were all shocked by this behavior.
Yet, none of my complaints at the publishing house were successful. Nothing worked. To go further now, I would have to start a legal procedure which is risky, complex and costly, and I do not have the means to do so.
As a response to my worried emails, the author explained to me that I needed not to worry, there was no plagiarism as he quoted me in the footnotes of his book.
Fair enough. There is most certainly no plagiarism, as in “copy-pasted” sentences from my text. One thing remains certain: my book project has no sense or value anymore, since he stole the exclusivity of my work and dissertation.
This man relied on his power and network to achieve his means, to the detriment of a young PhD student, who had none of that. To the detriment, also, of the French university who funded my work for 3 years: all this money invested in the production of a piece of research, which in the end comes to the public through an American author and English publisher.
I was profoundly disgusted by this situation, which shed light on several failures of the academic world. I quit research with no regrets.
For a long time I have restrained myself from sharing what happened on my social network pages, because I feared a backlash and libel accusations. So nothing happened, and the book is about to come out.
Yet what I have just told are plain facts. Today I cannot tell that my dissertation was “plagiarized”. It came to my attention that plagiarism does not even exist in the French law. But I have clearly been the victim of a breach of professional trust, which took away from me what should have been the final step of my PhD journey: the publishing of my dissertation.
Your testimonials and recommendations will be much appreciated.
Prof au 2nd degré et Coordinatrice de français | J'accompagne les jeunes pour réussir leur bac 🇫🇷
2 ansVous avez mon soutien. Ceci me révolte foncièrement !
Quelle tristesse... Soutien.
Doctorante chez Université Paris 1 - Institut National d'Histoire de l'Art
2 ansQuelle tristesse, je t’envoie tout mon soutien. On est tellement nombreux à vivre des choses pareilles ... quel dommage que rien ne soit fait. Mais le système comporte un problème majeur : les enseignants d’université sont les seuls fonctionnaires de France à n’être jamais inspectés. Je t’invite à te rapprocher de Céline Berchiche, qui a réussi à transcender son horrible histoire de manière incroyable, mais peut être qu’on pourrait créer quelque chose pour se soutenir entre nous de type associatif ? Car certains n’en font pas le deuil et la totale impunité des encadrants est infâme.