Pourquoi le taux d'emploi baisse fortement après 60 ans ?
La Dépêche

Pourquoi le taux d'emploi baisse fortement après 60 ans ?


Tout débat sur les retraites débouche logiquement sur un autre débat, portant sur la fin de la période d’activité professionnelle, et plus largement sur la question du travail. C’est ce qui rend ce sujet particulièrement complexe d'un point de vue politique, économique et social... alors qu’il est particulièrement « simple » sur le plan « comptable » .

Un argument utilisé contre le relèvement de l'âge de la retraite revient en boucle : « à quoi sert d’augmenter l’âge de la retraite lorsque la moitié des personnes ne sont plus en emploi à 60 ans ? ». Le Président de la République a lui-même considéré lors de sa conférence de presse du 25 avril 2019 qu'il était « hypocrite » de bouger l'âge... compte tenu du faible taux d'emploi des seniors. Cette idée apparaît ainsi largement partagée.

A la réflexion, deux questions me semblent se percuter. Tout en étant évidemment proches, elles restent différentes :

  • première question, l'image, la considération et la place donnée (ou laissée) aux seniors dans les entreprises, c'est-à-dire leurs possibilités de développement, de carrière, ainsi que les adaptations qui sont faites/pourraient être faites/ne sont pas faites par rapport à l'organisation du travail. Encore convient-il de préciser que sont visées ici des personnes en emploi. Pour celles confrontées au chômage, retrouver du travail passé un certain âge peut s'avérer particulièrement compliqué ;
  • deuxième question, l'emploi des seniors, situation objective appréciée à partir de l'indicateur du taux d'emploi.  

Commençons par rappeler l’un des faits économiques et sociaux les plus marquants depuis le début des années 2000 : l’amélioration du taux d’emploi des seniors (55-64 ans), passé à plus de 51 %, alors qu’il se situait à 37-38 % quinze ans plus tôt. Il suffit de se référer à ce qui devrait être la référence de tout discours sur les retraites : le programme qualité et efficience « retraites » élaboré chaque année dans le cadre des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Un tel résultat s’explique en raison de mesures prises par les pouvoirs publics : les différentes réformes des retraites bien sûr, mais aussi et avant tout la fin des préretraites « publiques » et la taxation dissuasive des préretraites « privées », engagées il y a maintenant près de vingt ans. Même si des résistances demeurent, on peut également ajouter une évolution des mentalités, y compris chez les employeurs comprenant que se priver brutalement d’une main d’œuvre formée et qualifiée n’est peut-être pas la meilleure façon de gérer les « ressources humaines »… 

Certes, le taux global des 55-64 ans reste à un niveau plus bas que la moyenne européenne (51,4 % en moyenne sur l’année 2017 contre 57,1 % dans l’Europe des 28). Mais un tel résultat s’explique parce que l’on ajoute deux catégories d’âge dont les résultats sont bien distincts :

-         pour les 55-59 ans, le taux d’emploi est supérieur à la moyenne européenne depuis 2011 (72,4 % en 2017 contre 70,3 % dans l’Europe des 28) ;

-         tandis que le décrochage s'observe chez les 60-64 ans (29,2 % en 2017 contre 42,5 % dans l’Europe des 28).

Donc, nous sommes pénalisés par la tranche d’âge 60-64 ans. Même avec un âge légal porté à 62 ans, et même si la moyenne de l'âge de la liquidation de la retraite est désormais à 63 ans, c'est bien notre législation retraite qui reste « la cause » de ce faible taux d’emploi, premier facteur d’explication de la différence entre la France et la moyenne européenne.

Trois possibilités existent en effet pour éviter de travailler au-delà de 62 ans, voire après 60 ans :

-         la possibilité de partir en « carrière longue », essentiellement maintenant à partir de l’âge de 60 ans, dispositif largement ouvert par le décret Hollande de juillet 2012 confirmé et complété par la loi du 20 janvier 2014, et qui a bénéficié en 2017 à 160.000 personnes ;

-         la possibilité pour une partie des fonctionnaires faisant partie des "catégories actives" de partir avant l’âge de 60 ans avec une retraite sans décote ;

-         et surtout la possibilité pour tous ceux qui atteignent l’âge légal (62 ans) et qui satisfont à la durée d’assurance pour le taux plein de partir à la retraite, avec un bon niveau de retraite. Il faudra vérifier si l’abattement temporaire mis en place depuis le 1er janvier 2019 à l’AGIRC-ARRCO - 10 % pendant trois ans en cas de départ à l'âge de 62 ans- est efficace pour décaler les départs à la retraite de 62 à 63 ans… ce qui pourrait être au passage constituer une contribution positive pour les finances du régime général.

Les générations qui vont partir à la retraite dans les toutes prochaines années (nées entre 1957 et 1962) n’ont pas connu de difficulté majeure d’insertion sur le marché du travail. Elles ont commencé à travailler, pour une grande partie des effectifs, avant même le second choc pétrolier. Les conditions de déclaration des entreprises sont plutôt nettement meilleures que celles constatées sur des générations plus anciennes. Les périodes de chômage indemnisé ont été prises en compte. Pour la plupart, les personnes concernées disposent ainsi de la condition de durée d’assurance à l’âge légal, et peuvent ainsi liquider une retraite d’un montant satisfaisant.

Les personnes qui travaillent en France au-delà de l'âge légal de 62 ans -ou plus exactement qui n’ont pas encore fait liquider leurs droits à pension (calculer leur retraite, si l’on veut moins jargonner)- correspondent essentiellement à :

-         des cadres supérieurs étant entrés tardivement sur le marché du travail en raison de leurs études supérieures ;

-         des non salariés ne voyant pas l’intérêt d'arrêter leur activité professionnelle dès l’âge légal ;

-         des femmes (souvent divorcées, séparées, veuves) ayant connu des interruptions d'activité trop importantes pour être compensées. Un point intéressant est ainsi à noter : si les femmes de 50-54 ans ou de 55-59 ans ont moins souvent un emploi que les hommes du même âge, la situation s’inverse à 60 ans : en 2017, 29,8 % des femmes de 60-64 ans occupent un emploi, contre 28,6 % des hommes.

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Lorsque l'on se penche sur la très faible proportion de seniors travaillant après 65 ans, on observe un frémissement à partir de 2006, mais essentiellement limité à la fraction 65-69 ans. Et ce taux d'emploi ne fait que revenir au niveau constaté au début des années 80 (entre 6 et 7 %)... on reste très loin des taux encore constatés au milieu des années 70.


Les flux de liquidation de retraite au régime général sont parlants : un flux conséquent dès 60 ans, un gros flux à l’âge légal (62 ans), un petit flux à l’âge du taux plein (65 ans ou 67 ans selon les situations). Ce qui fait bien une moyenne à 63 ans : ce chiffre utilisé dans le débat public, et qui laisse penser que les assurés continuent en moyenne de travailler au-delà de l'âge légal, est d'ailleurs un chiffre calculé hors carrières longues. Bref, une moyenne qui -comme souvent les moyennes- ne veut rien dire... mais à qui un grand nombre d'observateurs veut faire dire beaucoup !

Reprenons maintenant la statistique « 4 personnes sur 10 travaillent à 60 ans » ou « 1 personne sur 2 est sans emploi à 60 ans ». Elle est approximativement exacte : en fait, 44 % des personnes âgées de 60 ans travaillent (source INSEE novembre 2018). Mais surtout, il convient tout d’ajouter immédiatement que sur les 5 à 6 personnes qui ne travaillent pas (et qui sont donc inactives)… 3 ne travaillent pas tout simplement parce qu’elles sont déjà à la retraite (carrières longues dans le secteur privé, retraites anticipées et catégories actives pour les régimes de la fonction publique, régimes spéciaux d’entreprises publiques).

Restent donc grosso modo 2 à 3 personnes sur 10 qui sont réellement en inactivité. Cette catégorie très hétérogène comprenant à la fois des personnes au chômage -bien évidemment- des personnes en situation d’invalidité, des personnes exclues durablement du marché du travail, mais également des personnes (essentiellement des femmes) qui ont travaillé sur une durée parfois très limitée et qui vont faire valoir leurs droits à l’âge du taux plein, pour éviter la décote. C’est une des approximations de langage les plus fréquentes et les plus courantes : confondre l’âge de départ à la retraite (dans le sens : âge de cessation d'activité) et l’âge de calcul des droits à la retraite. De fait, contrairement à ce qui est dit, certains assurés ne sont pas obligés de travailler jusqu'à 65 ans ou 67 ans en raison d'un report de l'âge de la retraite… parce qu’ils ne travaillent plus depuis longtemps. Ils vont être en revanche obligés, s’ils souhaitent échapper à la décote, d’attendre un an ou deux ans de plus avant de procéder au calcul de leurs droits.

Bien entendu, l'usure liée aux conditions de travail ou de manière plus générale l'usure au travail constituent des sujets de préoccupation majeurs. Selon les métiers et le positionnement au sein de l'entreprise, nous sommes placés dans des situations différentes, rendant un prolongement de l'activité professionnelle plus ou moins possible ou plus ou moins facile. Pour beaucoup de salariés, la retraite est aujourd'hui vécue comme une libération ou une évidence. Disposer d'un taux de remplacement retraite nette/salaire net de l'ordre de 65 à 85 %, sans les contraintes liées au travail reste suffisamment attractif.

L'avancée en âge des salariés est un facteur qui pousse et poussera à inventer de nouvelles formes d'organisation du travail. Mais se contenter de demander aux entreprises de faire des efforts en la matière -même si c'est très souhaitable qu'elles le fassent- n'améliorera pas significativement le taux d'emploi des seniors... Pouvoir "prendre sa retraite" reste particulièrement séduisant, d'autant plus que les possibilités de cumul emploi retraite ont été globalement assouplies depuis vingt ans (et donc rendent possible sans pénalisation la reprise d'une activité partielle pour compléter un revenu et/ou s'occuper).

C'est bien parce que nous avons le système de retraite le plus généreux du monde, permettant de partir massivement dès 60 ou 62 ans -avec un bon niveau pour des personnes ayant une carrière complète- que les seniors sont peu nombreux à travailler après 60 ans. L'augmentation de la durée prévue par la loi du 20 janvier 2014 -importante pour les générations nées après 1965 qui -elles- sont rentrées tardivement sur le marché du travail- aura bien pour effet de décaler l'âge moyen de liquidation à 64 ans... mais en 2040, comme vient de le rappeler le Conseil d'orientation des retraites. C'est donc beaucoup trop tard, si l'on souhaite utiliser le levier de l'âge pour équilibrer le système.

Il convient de garder ce constat en tête alors même que le Conseil d'orientation des retraites, pour le moyen long terme, reporte désormais le retour de l'équilibre à -au mieux- 2042 (il faut donc bien déterminer comment va-t-il survivre d'ici là...)... d'ailleurs la question du déséquilibre comptable de la CNAV et du FSV se pose à court terme.

Nous assistons ainsi à un nouveau débat. Transparaissant dans la presse, il fait état de deux solutions pour réduire le besoin de financement : la création d'un âge d'équilibre (expression utilisée par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du 12 juin dernier) et/ou l'accélération de la durée de cotisation :

  • la création d'un âge d'équilibre (ou d'un âge de référence ou d'un âge pivot) au dessus de l'âge légal peut être à la fois un moyen de contourner l'impossibilité (politique) de relever l'âge légal et de préparer le futur régime à points ; elle risque de pénaliser les salariés modestes et moyens, qui disposent massivement de la condition de durée à l'âge légal, et qui pourraient choisir de ne pas continuer jusqu'à l'âge d'équilibre ; reste à déterminer bien sûr au passage si l'abattement est temporaire ou permanent ;
  • l'accélération de l'augmentation de la durée d'assurance apparaît en apparence plus facile à "faire passer"; mais elle rapporte peu avant 2025 (très peu avant 2022) et présentera pour conséquence, par l'application de la proratisation pour le calcul de la pension du régime général, de baisser les pensions des personnes ne disposant pas d'une carrière complète... c'est-à-dire justement celles dont la réforme systémique annoncée propose d'améliorer la retraite !

La coordination de cet effort paramétrique et de la réforme du système dit universel de retraite reste naturellement à déterminer. Mais c'est un autre débat. A suivre.

Merci Monsieur de cette analyse si complète, étayée..oui les séniors sont prêts à travailler au-delà de l'âge légal sauf si on leur fait comprendre par des manoeuvres managériales diverses qu'ils sont de trop . A l'observation des départs précipités notamment des managers ces faits sont avérés. L'expertise des séniors peut-être utile et la transmission de l'expérience et des compétences doit être valorisée et pas ignorée. C'est cette considération qui incitera les séniors à prolonger leur activité et au moins en optant pour la retraite progressive . Merci de votre analyse et d'avoir été un grand Directeur pour la Cnav et les Carsat .

michel monier

Je regarde autour de moi

5 ans

Merci de cette analyse... même si je compte parmi ceux qui «  prennent leur retraite » au mini légal ( ce qui semble être aujourd’hui irresponsable 😊)

Edouard de Hennezel

Président-fondateur du Cercle Vulnérabilités et Société

5 ans

Très instructif. Merci Pierre.

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