POURQUOI L’URBANISME ? COMMENT L’URBANISME ? #10
II me faudra écrire un jour prochain sur la décennie 80, qui correspond à mon entrée « en architecture », par les études, que je relie a posteriori à une marche en crabe, tant je n’avais nulle idée du métier d’architecte et encore habitée par l’idée de faire du cinéma. Pour l’heure, le flashback porte sur la décennie 90 (du XXe siècle ;-), pour dire quelque chose du moment où je suis entrée, professionnellement « en urbanisme ». Car dans l’univers urbain, j’y ai été plongée dès ma naissance ; avec délices au fur et à mesure que j’étais libre d’en faire mon terrain de jeu ; près du domicile familial durant l’enfance et la prime adolescence, mais dès ce moment avide d’explorer et d’arpenter les trottoirs et pâtés de maisons entre la place de la Bastille et la rue Saint-Gilles à Paris. Puis peu à peu je partais beaucoup plus loin jusqu’à concevoir avec quelques amis de l’école d’archi, l’inventaire systématique (resté inachevé) de ses rues. Le cinéma, les livres nourrissaient encore, même transposés dans d’autres pays, d’autres continents ma passion pour les espaces urbains.
Les débuts non pas urbains mais urbanistiques pourraient s’intituler : « creux de la vague dans la capitale de tous les possibles ». Je suis en effet partie m’installer à Marseille où j’entre à l’Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Marseillaise (AGAM) en 1989, d’abord en stage puis en CDI. J’y resterais 10 ans.
Cette structure d’agence publique d’urbanisme est née, comme dans d’autres métropoles françaises, 20 ans plus tôt dans la période planificatrice de la Loi d’Orientation Foncière (LOF) qui instaure la production des documents réglementaires le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) ancêtre du schéma de cohérence territoriale (SCOT) et le plans d’occupation de sols (POS), ancêtre du plan locale d’urbanisme intercommunal (PLUI) et d’une fonction permanente d’observation urbaine. L’État est encore puissant et peut imposer l’idée du partenariat avec des collectivités qui vont être marquées localement à des degrés très variés par les initiatives de coopération intercommunale et de liens avec les forces locales de développement.
Ici, et précisément à côté de Marseille plutôt qu’associant la ville, l’État (de Gaulle) a créé une zone industrielle et portuaire de rang mondial à Fos-sur-Mer et une Ville Nouvelle, sur les rives de l’Étang de Berre, qui sera d’amblée multisites.
Ici encore, il y a une résistance à la planification comme à la coopération territoriale. Chacun habite et campe irréductiblement sur sa (rente de) situation, et ce qui ailleurs s’assemble, ici se récrie de sa dissemblance. Ce seront les communes de l’Étang de Berre entre elles, ce sera Aix contre Marseille, Ce sera Marseille sud contre Marseille nord, etc. On excelle ici dans les justifications de l’opposition girondine et de la fragmentation façon puzzle, sans que s’invente un quelconque contre-modèle d’actions efficient.
Le centralisme français est-il trop broyeur, l’indolence politique est-elle trop flattée ? c’est un peu comme si les lois de décentralisation de 1982, dites Lois Defferre (pour rappel, Ministre et maire historique de Marseille) n’avaient pas imprimé (à) Marseille…. Paradoxe apparent ou logique implacable, la décentralisation se traduit par un recul de l’État, dans l’impulsion des réflexions plongeant les structures publiques du territoire, comme l’agence d’urbanisme, prolongeant ainsi les effets de récession économique du Port, de la démographie de la ville-centre au profit des communes de l’aire métropolitaine, dans une période de profond désarroi du projet politique, social, collectif et donc urbain.
À l’orée de ces années 90, tandis que je suis dans l’enthousiasme de la découverte passionnée d’un lieu et d’un métier, je ne vais que très progressivement ressentir les effets de ce changement d’ère qui laisse les professionnels un peu désorientés et orphelins des certitudes d’actions que conféraient les grands desseins des décennies précédentes, les fameuses « trente glorieuses ».
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De l’invention et du génie de lieux, il y a eu à foison cependant dans cette ville méditerranéenne, où se sont stratifiés tant de « mondes » : artistique, industriel, portuaire, ouvrier, de migrations. Où l’on va expérimenter, être à l’avant-garde dans les domaines de l’habitat social, de la participation, de la culture, de la friche….
J’y fais donc de très formatrices rencontres et prend très tôt le goût des chemins et démarches de traverses, assemblant aménagement, recherche-action, culture, expérimentations, pour à partir de questions complexes contribuer à des réponses hybrides plutôt que formatées. Je veux rendre hommage à quelques-uns, inoubliables à mes yeux, que j’ai eu la chance, même brève parfois, de côtoyer : Michel Anselme, Jean-Pierre Daniel, Georges Demouchy, Marcel Roncayolo,
Et puis comme Marseille est immense, j’ai aussi nombre de souvenirs de rencontres belles, parfois fort émouvantes, avec des habitant.e.s, des associations de quartier, au Nord particulièrement, qui m’ont eux aussi formée.
Les années 2000 correspondent à l’affirmation d’un renouveau planificateur. Est-il effectif ? Tant, sous le prétexte, certes vertueux, de l’attention à la diversité des situations territoriales, il ne peut s’empêcher de laisser poindre le nez d’une mise en cause déjà un peu caricatural de l’urbain.
Les lois Voynet et Chevènement sont désignées comme un acte II de la décentralisation (après l’acte I des lois Defferre) et je suis sollicitée pour intégrer la Région, tandis que semble encore long le chemin de l’émergence d’un éthos métropolitain qui nécessiterait une ingénierie solide et ouverte.
Me voilà donc en route pour l’inconnue ou la très mal connue institution régionale pour laquelle je travaillerais comme chargée de mission durant 5 années au tout début du XXI° siècle. C’est une autre histoire….