POURQUOI L’URBANISME ? COMMENT L’URBANISME ? #12
(Laisser) Dire pour (mieux) faire ET Faire pour mieux (laisser) dire. Pourquoi à ce « ET » essentiel s’est substitué un « OU » : Dire pour dire (= se montrer) OU Faire pour Faire (= produire à tout prix, chosifier) ?
Ce petit texte est une ode à l’écriture, un éloge du flou potentiel. Rêver. Formuler. Écrire. Les mots sont notre peau ; gardons leurs souplesses et leurs fragilités.
Je voudrais que ne soit pas écrasée, ou pire retranchée, outrepassée, évincer l’écriture ; qu’il ne soit pas fait abstraction de la formulation.
Je voudrais ne pas voir mettre les paroles sous le règne de la seule image.
Je voudrais que par des dialogues sincères, raisonnables et rigoureux entre ces deux formes d’écrire, avec des mots ou avec des figures, se construise une conversation utile à l’action de transformer.
Ce pourquoi j’aime tant le cinéma !
Pour cela, Il faut, je crois, perdre des parts (de marché ? ) pour gagner des fragments de vie, pour faire la différence entre le préconstruit et les ressorts du hasard.
Questions
Qu’y a-t-il derrière cette confusion des significations, des mots galvaudés de simplification à l’extrême du processus de production ? Seulement les propagations de l’inculture et du culte de l’instantanéité, qui sont les exacts contraires d’un laisser-place au travail des possibles ?
Ou bien y a-t-il une peur de l’apparition, de la surprise, de l’inouï, qui irait de pair avec un mépris, du temps long, de la permanence ?
Ou bien encore, y aurait-il une terreur, un traumatisme collectif maquillés sous un appétit enseigné et désormais marchandisé du provisoire, du temporaire, de l’immanent, de l’apparent qui sont l’exact inverse encore une fois du souci patient de l’apparition ?
Comment faire pour que ce qui tranche, choisit, décide ne soit pas oubli, négation de ce qui l’a permis : l’infini des possibles encore impalpables car non séparés, triés, formalisés ?
L’apparition est un choix, l’exécution capitale plus ou moins consciente des possibles, des hypothèses, vers une univocité.
Encore vive et non pas artificialisée par sa reproductibilité, hier mécanique et aujourd’hui numérique, cette univocité pourrait au lieu d’être seulement glorifiée, promue, célébrée exponentiellement, laisser une place au sentiment de deuil, d’inachèvement, d’insatisfaction, d’irrésolution dont elle procède : celui de ces chimères, de ces errements, de ces hypothèses qui ont finalement à une sélection et à une matérialisation !
Inutile profondeur ? Perturbatrice diffraction ? Sans doute, pour la plupart. Mélancolie fondamentale pour quelques autres, dont je suis, teintant de mille reflets mordorés l’apparence de l’œuvre, de l’objet , du produit.
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Indices
La peur viendrait, d’une trop grande croyance dans l’unicité des goûts et des idées, de l’inutilité d’en débattre une fois mises sur le marché., vu comme le tremplin d’une vulgarisation à laquelle chacun se persuade de sa contribution « innovante », « positive », « inclusive », « attentive » car « bienveillante » … Et j’en passe !
Peut-être ce qui m’intéresse le plus, est le mystère de l’apparition : apparition d’un sentiment, d’une forme, d’une idée, d’une rencontre, ou comment ce qui n’était pas, devient.
Et, devenant, révèle qu’il advient précisément parce qu’il contient une forme d’existence préalable de conception ou de projets que chaque être humain porte en lui.
Cet espace de la conception ou des projets, contrairement à ce qui est couramment véhiculé, est radicalement différent de l’espace de l’apparition, de la visibilité commune.
Il procède par discontinuités. C’est un lent travail d’articulations des dissemblables, d’essais et d’erreurs. Il est insaisissable, incompressible et incompréhensible souvent. Son irréductibilité – on peut l’appeler rêve, créativité, imaginaire, monde intérieur- en a fait une cible idéale des marchands de la mise en données du monde et, paradoxe ultime, des marchands de « contenus » !
C’est une indifférence à la forme du monde par sa gadgétisation, sa réification. Car des objets, des produits, des marques, du désigné partout, ne procèdent pas d’une attention aux êtres ni aux formes, à l’espace, ni aux lieux. Bien au contraire. Et les mots, le langage témoignent de cette inattention.
Ce que l’on a à exprimer, ne se trouve pas en pièces détachées dans un magasin de concepts. Et je ne voudrais pas que les « posts » des réseaux sociaux le fassent croire à une trop large majorité, désormais. Rien n’empêche que ces textes, quel que soit leur format aient une forme !
Rien n’empêche qu’ils soient travaillés, polis avec l’attention et l’attachement que le contact d’un matériau noble – ici, l’expression des idées – procure à l’artisan.
Propositions
Peut-être est-ce à partir d’une meilleure reconnaissance collective de ce passage et de ses ramifications – ces autres voies possibles - de ce qui n’a pas été jusqu’au bout mais qui pourtant a étayé ce qui est devenu « produit », que l’on pourrait étendre la confiance de chacun à cheminer.
J’aime que l’on documente ces boucles, ces torses de l’imaginaire, qui me semblent plus dignes d’une recherche de dévoilement, d’écriture, même fragmentaire, que de faire croire à une production magique, rapide, facile et qui serait le fruit d’une seul être et d’une seule voie toute tracée.
Écrire, c’est la liberté fondamentale à la fois de formuler (évoquer, métaphoriser, raconter ce qui n’a pas de formes visibles) et de formaliser (dessiner, saisir, décrire, proposer).
Et, même si la formalisation revient souvent à une disparition des formulations possibles, on peut avec plaisir faire l’enquête, chercher les indices et les traces de ce qui a été formalisé avant, est presque effacé et les considérer comme l’écriture d’une formulation à venir, de quelque chose qui peut faire advenir un formalisé différent.
Ce pourquoi mémoires et histoire sont des matériaux du présent et non du passé !
L’idée d’un cycle et d'un enrichissement, entre (les fils du ) formulé et (les fils de la ) forme (ou formalisé) et le gribouillis nodal mystérieux qui les relient et les séparent m’a fait repenser à ce petit crobard tracé pendant le confinement covidesque (cf. en début du texte).
Je voudrais que chacun puisse assumer une fantaisie de la tristesse, du deuil, de la perte, et que ne soit fait la morale (c’est pourtant très à la mode) à personne, mais qu’écrire, tracer ses chemins s’assumer dans des appart-errances plutôt que les appartenances et l’identité - mot absolument à fuir par ses présupposés comme dans ses conséquences ! - qui de toute part assignent.
Je voudrais que soient révélés à chacun des impasses fabuleuses, des buissons ardents d’idées non défrichées, laissées pour compte, non pas pour se complaire dans un orgueilleux inaccessible mais pour donner envie de chercher, puis parfois de trouver « ce que l’on ne sait pas déjà » (John Cassavetes).