Pourquoi Rafael Nadal et Serena Wiliams feraient de piètres formateurs…
Les échanges avec certains participants en formation peuvent être sportifs. Rentrer dans le jeu des échanges musclés est-il pour autant la meilleure stratégie ? Cet article vous dévoilera une approche alternative pour sortir des rapports de force en toutes circonstances.
(Temps de lecture : 4 minutes - Synthèse illustrée en fin d’article)
Posons le décor : le participant difficile en formation
Tout formateur ou toute formatrice a déjà rencontré des participants difficiles en formation. Bras croisés, yeux rivés sur leur téléphone ou leur ordinateur, discussions incessantes avec leur voisin ou leur voisine, ricanements, débats incessants pour exprimer leurs réserves ou leur désaccord… Bref : des participants semant un certain trouble dans la formation, allant parfois même jusqu’à exercer une influence négative sur le reste du groupe.
Mais alors que faire ? Accepter leurs remarques ou leurs chuchotements ? Après tout, peut-être qu’ils se rendront compte par eux-mêmes que leur comportement est déplacé ou qu’ils font perdre du temps au groupe ?
Malheureusement, faire la sourde oreille arrange rarement les choses, les participants difficiles ayant au contraire tendance à redoubler d’intensité pour être entendus. Et en même temps, si vous ne faites rien, le temps passe et votre irritation monte inévitablement… jusqu’à approcher l’explosion.
La tentation alternative : gérer un participant difficile en jouant le jeu des échanges musclés
Mais alors, doit-on assouvir la tentation, parfois grande, de rentrer dans un rapport de force ? D’aller à la confrontation et de … :
⁃ … débattre comme un beau diable en voulant les discréditer ?
⁃ … chercher à les rallier à sa cause en enchaînant les arguments ?
⁃ … se soulager momentanément en les confrontant directement (avec parfois en option un soupçon d’agressivité (« Dis donc Untel, ça te fait c*ier ce que je raconte ? »))
⁃ Etc.
Mauvaise nouvelle pour vous : si rentrer dans un rapport de force face à son adversaire peut être une stratégie gagnante pour Rafael Nadal ou Serena Williams, elle le sera rarement pour vous.
En effet, au tennis comme en formation, le rapport de force entraîne souvent la même chose : la surenchère. Au tennis : des coups toujours plus forts, plus rapides, plus musclés, jusqu’à que le plus fort gagne. Mais en formation, pas de gagnant : davantage de débat, davantage d’arguments, davantage d’agressivité… ne génèrent que davantage de perte de temps et de participants insatisfaits.
La solution avec les participants difficiles : jouer la balle molle
Face à ces situations, une stratégie en particulier m’a été des plus utiles : la stratégie de la balle molle. Je précise qu’elle m’a été partagée chez CUBIK lors de mes débuts en tant que formateur-consultant (rendons à César ce qui appartient à Jules 😉).
Son idée est brillamment simple : face à une balle musclée que vous envoie un participant, répondez-lui par une balle molle, un amorti qui vous fera gagner le point sans pour autant rentrer dans le rapport de force.
Formulé différemment : il s’agit bien de jouer le jeu que les participants veulent vous faire jouer et sans les ignorer, faute de quoi ils ne se sentiraient pas entendus et continueraient à vous envoyer des balles de plus en plus fortes. Mais vous le jouez en respectant les règles (sans vous emporter : après tout, vous êtes le gardien du groupe et devez rester exemplaire) et en réduisant la force des propos tenus pas votre adversaire.
Quelques exemples :
⁃ Participant (balle musclée) : « De toute façon, vos techniques, on sait où ça mène : à plus de stress et à plus de mal-être au travail ! »
⁃ Balle molle : « Les autres, qu’en pensez-vous ? Quelle est votre expérience à ce sujet ? » (Vous impliquez les autres et vous voyez : si tout le monde est d’accord, vous savez à quoi vous en tenir et pouvez agir en conséquence. Sinon, votre joueur de tennis musclé verra que le groupe n’est pas d’accord avec lui et se tiendra tranquille)
⁃ Participant (balle musclée) : « Ce que vous dites, ça fait déjà des années qu’on le fait, vous n’avez rien inventé. »
⁃ Balle molle : « Oui, c’est vrai et il est tout à fait possible que tu saches déjà le mettre en œuvre. Comment fais-tu cela au quotidien ? Comment l’appliquerais-tu dans tel contexte ? » (Si le participant sait déjà, vous le valorisez et le mettez en position de partager son expérience. Sinon, vous l’aidez à se rendre compte qu’il a peut-être encore des choses à approfondir sur le sujet)
⁃ Participant (balle musclée) : « C’est super en théorie, sauf que dans la pratique ça ne marchera jamais. »
⁃ Balle molle : « Ah oui ? Quelle expérience passée t’amène à penser cela ? Est-ce un sentiment partagé par tout le monde ? » (Vous saurez ainsi si le participant s’invente des excuses pour ne pas passer à l’action et vous donnez aux autres participants l’opportunité de vous aider à lui ouvrir les chakras si jamais)
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Ce ne sont là bien sûr que des exemples, mais qui illustrent bien l’idée de la balle molle. En pratique, je ne réfléchis maintenant quasiment plus aux questions à poser. Un participant est d’humeur joueuse ? Presque instantanément, je dégaine la question : « Les autres, qu’est-ce que vous en pensez ? ». Elle n’est peut-être pas parfaite, mais elle permet de temporiser, sans rentrer dans l’échange musclé et sans ignorer le participant joueur 🙂
La balle molle, une philosophie
Le plus beau dans tout ça ? C’est que la balle molle ne s’utilise pas qu’en formation ! Une fois que vous y avez gouté, vous ne pourrez plus vous en passer ! Tonton Phil cherche à imposer ses idées politiques pendant le repas de famille ? Balle molle*. Un collègue vous explique une énième fois en quoi son travail est horriblement compliqué ? Balle molle**. Et ainsi de suite… (faites votre propre liste 😉)
Vous verrez rapidement qu’il y a un côté satisfaisant à savoir éviter les débats stériles et les confrontations, sans pour autant ressentir la frustration de ne pas être intervenu ou le regret de s’être laissé emporter. Vos options sont multiples et vous verrez que cela deviendra presque un réflexe à force de pratiquer 🙂
* Par exemple : « Mais dis-moi : pourquoi es-tu aussi animé par cette question politique ? Qu’est-ce qui t’a amené à t’y intéresser ? Est-ce que d’autres personnes à cette table s’y intéressent autant ? »
** Par exemple : « Oui, j’imagine que ce n’est pas facile. Est-ce que tout le monde rencontre les mêmes difficultés que toi ? »
Balle molle et lâcher-prise en formation
Notez pour finir que la principale difficulté de la balle molle réside dans votre capacité à lâcher prise. Si vous voyez que vous avez du mal à « amortir » et qu’il est important pour vous de rentrer dans les échanges musclés, voici différentes questions pour vous aider à en sortir :
⁃ Pourquoi ce sujet vous tient-il autant à cœur ? En quoi est-ce que cela vous coûterait de passer outre ?
⁃ Quel est votre objectif quand vous rentrez dans un échange musclé ? Vous convaincre vous-même ? Gagner en légitimité auprès du groupe ? Autre ?
⁃ Comment jugez-vous l’efficacité des échanges musclés quand vous les menez ? Sont-ils la stratégie la plus efficace pour vous ?
Si vous n’avez pas la réponse à ces questions maintenant, peut-être viendront-elles avec le temps. Une chose est sure : la balle molle et le lâcher prise ne seront pas simples pour les sujets qui vous touchent directement et pour lesquels vous faites une affaire personnelle.
En tous cas, notez que la balle molle n’est pas la panacée et que certaines fois, elle peut ne pas être suffisante. D’autres astuces peuvent être utilisées en complément, comme celles vous aidant à mettre fin en douceur à une discussion qui dure. Mais c’est un autre sujet, que nous aborderons peut-être dans un autre article 😊
Synthèse illustrée
Pour conclure, je vous propose une synthèse illustrée pour clore cet article. Très utile en formation pour aider les participants à digérer une journée, ces synthèses sont souvent très appréciées, j'espère qu'elle sera pour vous aussi 🙂
Et maintenant, la parole est à vous !
Cet article (et ceux qui suivront) est né de l’idée de partager des pratiques entre formateurs (merci à Nils Wohrer de m’avoir fait prendre conscience de ce besoin à travers nos échanges de mails via Les Joyeux Gribouilleurs !).
Étant souvent seul face à ses groupes de participants, difficile en effet d’avoir un effet miroir ou de s’inspirer des pratiques d’autrui quand on est formateur.
Je suis donc (et sans doute pas le seul !) curieux : quelles difficultés ou quelles bonnes pratiques avez-vous sur ce sujet ? Comment faites-vous pour gérer les participants difficiles au quotidien ?
Répondez en commentaires, afin que votre expérience soit partagée avec le plus grand nombre 🙂
Merci d’avoir lu cet article et à bientôt pour un prochain !
Laurent
Responsable conseil chez Bpifrance
1 ansTout à fait d'accord ! Au moins depuis que tu m'as fait la démonstration de cette technique lors que tu me formais à la formation il y a quelques années maintenant. Une référence, Laurent Létang !!!
Senior LEAN Expert - Consultant Formateur Coach chez CUBIK
1 ansMerci pour ce riche article Laurent Létang , il me rappelle en effet des échanges entre formateurs chez CUBIK
Responsable Supply Chain / Amélioration Continue
1 ansMerci pour ce partage d’expérience. Ces situations peuvent effectivement être assez difficiles à gérer parfois.une technique que je note et que je n’hésiterai pas à mettre en œuvre ! Merci Laurent
Étudiante en M2 au PGE de TBS Education, MSc Entrepreneurship & Chargée de mission formation / alternance pour l’IFTP
1 ansTrès belle synthèse illustrée qui est extrêmement claire !!