Près de Port-Vendres, cette épave renferme un trésor à retardement
Le 29 mai par Alix Wilkie
Sur France 5, le documentaire* « Vert de Rage » revient sur les déchets militaires enfouis ou immergés sur le littoral français. Focus sur l’Alice Robert, cette épave située près de Port-Vendres.
Lundi 27 mai 2024, Franceinfo publiait un recensement inédit des décharges d’explosifs immergées. Les journalistes Martin Boudot et Mathilde Cusinen, spécialisés dans les enquêtes environnementales, reviennent sur les tonnes de déchets obsolètes délaissés par l’armée. Au programme : TNT dégradée et métaux lourds aux dosages alarmants, cancérigènes et pouvant causer des malformations génétiques.
Il y a quatre ans, à Port-Vendres, l’épave de l’Alice Robert avait fait parler d’elle lorsque des démineurs étaient intervenus sur cet ancien bateau militaire. Aujourd’hui ouverte à la plongée de loisirs, elle renferme une histoire forte en rebondissements.
Du bananier au navire militaire
Bercée par les courants méditerranéens, l’Alice Robert repose dans les fonds marins entre Argelès et Port-Vendres. Construit au Danemark en 1934 pour compléter une flotte de bananiers, ce navire naviguait sous pavillon français. « La construction de bananier est typique des années 30 », nous confie l’historien-plongeur, François Brun. « Avec pour objectif l’acheminement de bananes en France, ce bateau avait pour spécificités des cales réfrigérées à 13 degrés », explique-t-il. Les conditions de transport de ce fruit fragile, de la Guinée vers Bordeaux ou Nantes, étaient à l’époque réglementées.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands envahissent la zone sud. En novembre 1942, le bananier est alors réquisitionné par l’ennemi. Équipé de canons de 90 mm, il est transformé en escorteur allemand et part pour la Méditerranée. Il participera à l’évacuation des Allemands en Corse, lorsque les Alliés s’attèlent à la libération de l’île de Beauté.
À Port-Vendres, le bateau est chargé de surveiller les sous-marins anglais qui patrouillaient sur la côte méditerranéenne. Le 2 juin 1944, il est torpillé par le sous-marin britannique, Ultor, au large du littoral français. Coulé sous pavillon allemand, il se situe aujourd’hui, entre Argelès et Port-Vendres, immergé à 50 mètres de profondeur. Le navire est scindé en deux, la partie avant du bateau étant privilégiée des plongeurs.
L’Alice Robert, cette bombe méditerranéenne
Il y a neuf ans, l’État lançait une campagne de sécurisation sur la zone de l’épave de l’ancien bananier. C’est ainsi qu’en 2015, le chasseur de mines Lyre et les équipes de déminage du Pluton de Toulon mettent le cap sur les Pyrénées Orientales. Les premières vagues de déminages commencent.
C’est pourtant en 2020 que l’épave est interdite à la plongée de loisirs par arrêté préfectoral. Les raisons ? La découverte de nombreuses munitions allemandes datant de la Seconde Guerre mondiale suite à la tempête Gloria survenue quelques mois auparavant. En effet, sous l’effet de l’agitation marine, le mât emblématique de l’Alice Robert cède, entraînant une rupture des cales. Elles renfermaient un trésor militaire conséquent nécessitant l’intervention des démineurs.
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En 2022, la Marine Nationale comptabilisait « 333 obus de différents calibres et 6 grenades » détruits suite aux opérations de déminages. « Stockées auparavant dans les cales, ces munitions ont été dévoilées et donc accessibles aux plongeurs. »
En 25 ans d’exercice, Alain Meyer, moniteur de plongée au Scuba Passion, n’a jamais rencontré le moindre souci avec l’épave. « Sur des photos datant de plusieurs années, on peut apercevoir des explosifs apparents. Pourtant jamais rien n’avait été fait », nous explique-t-il. Pour le directeur adjoint du parc marin de Banyuls, Bruno Ferrari, « le problème, c’est qu’après la tempête, on est passé de quelques munitions à toute une artillerie ».
« Quand j’ai rencontré les démineurs pour l’Alice Robert, ils m’ont informé que l’élimination des munitions allait prendre plusieurs années. L’épave est à 50m de profondeur, donc les plongées sont courtes. D’autant que les plongeurs spécialisés sont présents sur un temps très limité et seulement une fois par an ». Un déminage qui prendrait entre 10 et 15 ans selon le directeur adjoint du parc du Golfe du lion.
« La plus belle épave de la côte occitane, ça c’est sûr »
Au printemps 2023, le spot de plongée est réouvert. Trois ans après l’interdiction de plonger, les acteurs locaux et surtout les clubs de plongée ont trouvé un accord avec les autorités pour pouvoir continuer leur activité. Pour éviter une nouvelle perte économique importante, des conditions sont posées.
Établies par un arrêté préfectoral de mars 2024, « il existe toujours deux zones interdites avec un rayon de 200 mètres où la navigation, le mouillage, l’arrêt des navires, la plongée, […], sont interdits. Mais une dérogation existe pour les navires appartenant à des clubs de plongée professionnels ou associatifs. Les plongeurs autorisés ont négocié des dispositifs d’amarrage. Sans jeter l’ancre, deux corps-mort permettent d’amarrer les bateaux », nous confie Bruno Ferrari.
S’il est interdit de rentrer dans l’épave et de plonger sur la partie arrière, le bananier garde le titre de « la plus belle épave de la côte occitane », selon François Brun. Pour l’écrivain-plongeur, « même si le bateau commence à s’abîmer, il faut comprendre qu’une épave est vouée à disparaître. Nous devons rester vigilants sur les risques d’affaissements et prendre en compte les recommandations des professionnels de la plongée. Mais la zone reste très riche en découvertes et je continuerai de la chérir. »
Le bananier de Port-Vendres est le seul recensé par France Info comme « navire avec munitions », sur la côte occitane. D’autres régions françaises, comme la Bretagne et la Normandie, restent des zones sensibles du fait de la présence conséquente de décharges de munitions et d’épaves avec cargaison militaire. À ce jour, il est difficile d’estimer le nombre exact de munitions immergées en France. Aucune cartographie officielle et exhaustive n’existe, malgré la promesse du ministre de la Transition écologique d’en produire une.
*Documentaire disponible en replay sur France TV.