Prendre, ou reprendre conscience, de la condition des travailleurs forestiers
Préambule: Avec les jours un peu courts j'ai le temps de mettre noir sur blanc ce qui me taraude dans le métier. Je ne doute pas que vous saurez me faire savoir si j'agace et s'il convient de me taire.
D'autres avant moi ont rêvé leur retraite avec la rédécouverte des activités de leur jeunesse. L'un d'entre nous, bien connu de notre communauté forestière, en a même fait un livre savoureux ou il détaille la somme des déconvenues que la réalité s'est chargée de lui rappeler. De la même façon, j'ai rêvé durant ma vie professionnelle de revenir à une plus grande maîtrise des travaux à réaliser dans les parcelles forestières familiales. En effet, décider pour soi et assumer les risques qui en découlent, notamment pour se prouver que les solutions en lesquelles on croit sont des réalités tangibles, représentent un challenge motivant. Pour aller au bout de son rêve, on s'engage alors physiquement et on redécouvre, en mouillant sa chemise la dure réalité des travailleurs de la forêt.
Comme on voit la vie différemment dans ces moments de pleine transpiration, quand le souffle se fait plus court et les muscles douloureux! Comment est ce possible se dit-on, de si peu considérer ces professionnels? On les regarde à peine et pourtant chaque jour de leur vie ils renouvellent une "épreuve physique" que nous n'accomplissons que rarement ou juste sur une durée quotidienne réduite. Certes, d'aucuns rétorqueront que la plupart des tâches sont maintenant mécanisées, d'autres iront même jusqu'à dire que le travail manuel relève d'une ère moyennageuse. Pour moi, penser cela est une erreur car si la mécanisation est d'un grand apport à la fois pour la productivité et pour le bien être au travail, force est de constater qu'il est des opérations ou la machine ne fait jamais aussi bien que la main de l'homme.
On pourrait en désespoir de cause se satisfaire d'un pis aller au prétexte de ces deux éléments productif et de santé. Peine perdue, car la réalité montre que le "tout mécanisé", surtout mal maîtrisé entraine des effets dont on a pas encore estimé la somme des conséquences négatives. Massification, obligation de rapidité et de programmation, poids des engins, rigidité des méthodes, autant de caractéristiques qui nuisent au respect de la diversité, à la nécessité de prendre le temps du choix, à la préservation des sols et à la souplesse nécessaire à la conduite de travaux sylvicoles.
C'est pourquoi, l'action manuelle devrait être consacrée là ou elle présente les plus grands avantages au regard de la mécanisation, et avec elle la nécessité de respecter la valeur du travail humain. Mais attention, cette reconnaissance ne réside pas seulement dans une considération gratuite, elle doit aussi passer par une valorisation des métiers. A nous propriétaires et autres partenaires de la filière de prendre conscience de cette injustice et d'assumer la nécessité d'abandonner chacun quelques euros à la cause des opérateurs manuels. Cessons de considérer les bûcherons et ouvriers forestiers comme des outils en alignant le prix de leurs prestations sur celui des machines et redonnons leur les lettres de noblesse qu'ils méritent et dont on n'aurait jamais dû les priver.
B PALLUET Décembre 2016
Responsable commercialisation résineux Bois d'oeuvre / bois d'industrie / bois énergie chez Coopérative PROVENCE FORET
8 ansBonsoir Bernard. J'interviens dans une région (PACA) où la mécanisation n'est pas forcément une obligation (souvent à cause de la conformité des tiges à traiter, sur la partie littoral de la région). J'adhère parfaitement à ton ressenti et je te rejoins. J'ai aussi constaté le vieillissement de mes intervenants, le non renouvellement de ceux-ci et l'inexistance d'une classe de jeunes qui pourrait prendre le relais... Je suis très attentif à la productivité de mes bûcherons mais aussi à leur condition de travail et j'essaie d'en tirer un ratio "performance/confort" (qui reste très subjectif pour le moment car pas chiffré et pas encadré) mais que je tente de mesurer lors des échanges avec eux sur le terrain, lors des visites de chantiers. Je suis un convaincu des "couples" Bucherons-porteur par exemple qui par habitude de travail se facilite mutuellement les taches quotidiennes. Tu parles de massification et d’obligation de rapidité mais sache que ces "performances" nous sont aussi imposés par une certaine catégorie de propriétaires qui ne jurent que par le revenu du bois (si petit et dérisoire soit-il en PACA !), sans occultant si facilement la juste rémunération de ces intervenants (qui n'est pas forcément en adéquation avec la rémunération qu'il attende de leur bois...) Subtil exercice d'équilibrisme s'il en est ! Ayant un papa qui a été bûcheron, qui m'a transmis énormément, qui est aujourd'hui tout cassé physiquement, il est en effet indispensable de leur rendre (je te cite) "les lettres de noblesse qu'ils méritent et dont on n'aurait jamais dû les priver".