Projet fiscal 17: un tremplin pour d’autres réformes ?
A l'heure où la Suisse doit faire face à des pressions internationales toujours grandissantes, notamment en lien avec ses statuts fiscaux privilégiés pour les sociétés (statut holding, société auxiliaire, etc.), elle se doit de réagir et ne peut plus faire marche arrière. Partant, après le refus en votation populaire de la RIE III, il est important que le PF 17, son successeur, puisse représenter un compromis helvétique répondant aux attentes de la communauté internationale tout en préservant l’équilibre économique du pays.
Dès lors, un abandon pur et simple de ses statuts fiscaux privilégiés ne saurait être envisageable. En effet, les sociétés jouissant de ces régimes seraient alors soumises à l’impôt sur le bénéfice prélevé aux taux ordinaires. Or, les taux ordinaires pratiqués actuellement – jusqu’à plus de 24% (taux effectif à Genève) – ne permettraient pas à la Suisse de rester compétitive sur le plan international.
Cela est d'autant plus vrai que d'autres Etats ne sont pas restés inactifs en la matière. Citons à titre d’exemple les Etats-Unis, dont le Président Donald Trump a fait du rapatriement de l'argent des multinationales l’un de ses thèmes favoris. La réforme fiscale américaine, votée fin 2017, offre la possibilité aux entreprises de rapatrier les bénéfices réalisés à l'étranger à des taux attractifs (8 à 15,5%). La presse a fait état ces dernières semaines de la volonté d’Apple de jouir de cette opportunité, ce qui permettra de (re)fiscaliser plus de USD 200 milliards aux Etats-Unis. Et les deux parties sont gagnantes: Apple (re)trouve une situation fiscale claire à un coût raisonnable et l’Etat bénéficie d’une rentrée d’argent non négligeable, tant directement avec les impôts perçus qu’avec les retombées positives indirectes d’un tel retour. La Grande-Bretaqne devrait emboîter le pas à l'Oncle Sam et d'autres pays ne sont pas en reste, à commencer par l'Irlande et les Pays-Bas.
Forts de ce constat, nombre de cantons, dans le cadre de la mise en œuvre du PF 17, ont décidé de diminuer leur taux d’impôt ordinaire sur le bénéfice et ceci pour toutes les entreprises. Les taux qui seront choisis devront l’être en tenant compte de ce qui se fait à l’international, afin de permettre à la Suisse de garder son attrait pour les sociétés qui se trouvent déjà sur son sol mais également pour les sociétés qui pourraient envisager de s’y établir. Bien que le mouvement doive être général, il est important que les cantons puissent disposer d’une marge de manœuvre suffisante quant à la fixation de ces taux, dès lors qu’ils seront les principaux concernés. A titre d'exemple, le canton de Vaud a annoncé qu'il pratiquerait un taux de 13,79% dès le 1er janvier 2019 et Genève s'achemine vers un taux de 13,49%.
En contrepartie de cette baisse des taux de l’impôt sur le bénéfice, le PF 17 prévoit que l’imposition des dividendes sera légèrement augmentée. Si aujourd’hui les dividendes sont pris en compte à hauteur de 60% dans la fixation de la base imposable (au niveau fédéral), le PF 17 entend augmenter ce pourcentage à 70% tant au niveau fédéral que cantonal. Rappelons qu’actuellement les cantons connaissent, en substance, deux mécanismes d’atténuation de la double imposition économique différents – influençant le taux ou la base imposable – et avec des proportions de réduction variables selon les cantons (mais généralement plus avantageux que ce qui est prévu par le PF 17). Ainsi, un entrepreneur pourrait être content de voir moins taxée sa société (avec la baisse des taux relatifs à l’impôt sur le bénéfice susmentionnée), mais il risquerait, en revanche, de grincer des dents pour ce qui est de son imposition personnelle. Le relèvement de l’imposition des dividendes est ainsi vu, notamment par les propriétaires de PME, comme un élément négatif du PF 17.
De plus, il est important de souligner que cette hausse constituerait un pas en arrière par rapport à ce qui avait été voté par le peuple lors de la RIE II en 2008 et aurait, au demeurant, un impact différent selon les cantons. En effet, les cantons alémaniques se verraient plus péjorés que leurs voisins romands, ces derniers connaissant actuellement des mécanismes d’atténuation de la double imposition économique, notamment en ce qui concerne les taux, plus proches de ce qui est proposé par le PF 17.
Un autre aspect problématique, du point de vue des entrepreneurs, est l'imposition de la fortune. A ce sujet, il faut garder à l'esprit qu’une très large majorité d'Etats ont aboli cet impôt ou ne le connaissent pas. La Suisse est ainsi l'un des derniers pays à encore taxer la fortune. Même la France, pourtant connue pour son ISF, exonérait l'outil de travail – contrairement à la Suisse – afin de ne pas prétériter les entrepreneurs. Elle a en outre - sous la récente impulsion du Président Emmanuel Macron - revu l'imposition de la fortune, limitant celle-ci aux seuls biens immobiliers.
A cela s'ajoute le fait que les taux d'intérêts, et les rendements en général, suivent une tendance fortement à la baisse actuellement, ce qui rend l'impôt sur la fortune plus lourd à subir que par le passé. Nous pouvons citer l'exemple de Genève, où l'impôt sur la fortune peut atteindre 1% du patrimoine, ce qui est difficilement supportable en comparaison avec les rendements que l'on peut attendre aujourd'hui de sa fortune.
Ce poids de l'impôt sur la fortune est, en théorie du moins, compensé par le mécanisme dit de bouclier fiscal, limitant la charge d'impôt cantonale et communale à une certaine proportion des revenus (60% actuellement à Genève, ce qui correspond à 71,5% en intégrant l'impôt fédéral direct). En pratique toutefois, ce mécanisme considère, pour les besoins du calcul, que la fortune génère un rendement minimal de 1%. Ce rendement notionnel est illusoire selon les actifs détenus, notamment les titres des PME, qui réinvestissent leur éventuel bénéfice afin de se développer, plutôt que de le distribuer aux actionnaires. La gauche genevoise a, au début de cette année, déposé plusieurs projets de loi visant à remettre en cause le bouclier fiscal. S'il est certes imparfait, ce mécanisme apparait néanmoins nécessaire pour contrebalancer, d’une certaine manière, le poids grandissant de l'impôt sur la fortune.
Par ailleurs, les cantons romands pratiquent, dans l'ensemble, une imposition de la fortune plus lourde que celle de leurs homologues alémaniques, rendant la situation d'autant plus difficile pour les propriétaires de PME de ce côté-ci de la Sarine.
Il est aujourd'hui trop tard pour intégrer une réforme de l'impôt sur la fortune dans le paquet de mesures prévues par le PF 17. En outre, l'impôt sur la fortune reste de la seule compétence des cantons et sa suppression, dans le cadre du PF 17, pourrait ne pas emporter leur aval. Or, un échec du PF 17 en votation populaire pourrait mettre la Suisse dans une position délicate car elle ne pourrait plus respecter ses engagements vis-à-vis de la communauté internationale en ce qui concerne l’abandon de ses statuts fiscaux privilégiés.
Néanmoins, l'imposition de la fortune relève d'un autre temps et participe à rendre la Suisse peu compétitive sur le plan mondial, notamment pour les entrepreneurs qui voient leur outil de travail (lourdement) taxé.
En conclusion, afin de ne pas se retrouver en porte-à-faux avec partenaires internationaux et particulièrement avec l'Union européenne qui vient de remettre la Suisse sur la liste grise des paradis fiscaux, la Suisse se doit d’abolir sans tarder ses statuts fiscaux privilégiés. Ceci étant, rien ne l’empêche de penser à d’autre outils ou alternatives, acceptables au niveau international (par exemple la taxe au tonnage), qui pourraient permettre à la Suisse de renforcer son attractivité sur la scène internationale, tout en générant de nouvelles recettes fiscales.
Par ailleurs, il est important de relever que le PF 17 pourrait être intéressant pour les cantons romands. En effet, ce projet permettrait de lisser certaines différences qui existent à l’heure actuelle avec les cantons suisses alémaniques, par exemple en ce qui concerne le mécanisme d’atténuation de la double imposition économique ou l’impôt sur le revenu, domaines où les cantons alémaniques sont généralement plus attractifs que leurs voisins romands.
Selon les dernières informations, le Conseil fédéral devrait soumettre le projet au Parlement en octobre. Afin d’éviter, d’une part, un nouvel échec en votation populaire et, d’autre part, de représenter un mauvais compromis helvétique, il est indispensable que les derniers aspects du PF 17 soient pensés minutieusement d'ici à cet automne.
Cependant, conscients que le PF 17 ne pourra pas aborder certains thèmes importants, tels que celui de l’impôt sur la fortune, faute de temps notamment, nous estimons essentiel que l'imposition des personnes physiques fasse à son tour l'objet d'une réforme prochaine. Dans ce cadre, une réflexion en profondeur devra être menée, englobant d'autres impôts et taxes, dont l'imposition des gains en capital privés, voire la TVA.
Gregory Clerc, avocat / LL.M. Tax
Aurélien Flückiger, avocat / expert fiscal diplômé
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Team Head Real Estate Romandie at UBS Switzerland AG
6 ansExcellent article intéressant et accessible, bravo aux auteurs!