Promenades philosophiques et culturelles : mon ami sid’Ahmed Lamine, l’ingénieur centralien et moi : Histoire de l’antisémitisme.
Mon ami et voisin sid’Ahmed Lamine, l’ingénieur centralien, avons une conception commune de la promenade. Pour nous, se promener c’est doper notre activité intellectuelle par la discussion. Je crois que nous sommes des péripatéticiens. À l’image d’Aristote nous aimons nous promener en discutant. Nous prenons plaisir à éclaircir notre pensée intellectuelle en la connectant à la déambulation dans un environnement animé et imagé. Nous flânons sans but, d’un endroit à un autre, développant une pensée par çi, commentant un évènement par là. Ce faisant, nous différons des scandinaves qui inventèrent le terme « flana » pour désigner l’action de marcher oisivement, en s’ennuyant. Ce jour, nous sommes à quelque mètres du stade de La Marsa, cheminant, tranquillement, mais soucieux, vers le café D…
La guerre bat son plein à Gaza, tuant chaque quart d’heure un gamin. C’est la première fois de notre longue vie que mon ami et moi assistons à une telle horreur. Alors, évidemment nous parlons peu. Soudain, sid’Ahmed, s’arrête de marcher et dit :
- C’est le Juif autrichien Moritz Steinschneider qui a inventé, en 1860, le terme antisémite qui, est entre dans le langage courant en Europe, puis s’est étendu à l’ensemble de la planète.
Toujours immobile, sid’Ahmed rétorque :
- Le mot antisémite serait resté banal, si les extrémistes antijuifs ne l’avaient pas affectés d’une connotation raciste.
Il réfléchit, une minute puis ajoute :
-Remarque qu’à l’époque personne ne s’en offusquait, tant les juifs étaient déconsidérés en Europe. En 1886, Edouard Brumont, rédigea le livre (La France Juive,), dans lequel il décrivait les juifs comme des « parasites » et des « capitalistes ».
Surenchérissant ses propos, je dis :
-Maurice Barrès utilisait les mêmes qualificatifs. De son côté, Charles Fournier, affirmait, sereinement, à propos du peuple juif « que le tort de cette nation est de s’adonner au trafic, à l’usure et aux dépravations matérielles »
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Secouant la tête, sid Ahmed se remet à cheminer, en disant, de la voix neutre de l’historien :
-Quant à Proudhon, il écrit en son âme et conscience : « Le juif est l’ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou l’exterminer ».
Apercevant le café, vers lequel nos pas nous conduisent, il accélère le rythme de la marche, tout en disant :
-Il faut attendre l’affaire Dreyfus et l’explosion en 1896 des émeutes meurtrières antijuives dans toutes les villes de France, pour que le sentiment antisémite s’atténue, tout au moins en France et qu’une loi interdisant l’antisémitisme, soit votée, en 1990.
je dis :
-C’est « la loi tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite loi Gayssot (du nom de son initiateur le député communiste Jean-Claude Gayssot). »
Le café en question surplombe la chaussée sur laquelle défilent des voitures, à grande vitesse. Nous grimpons les quatre marches conduisant à la cathédrale de la fève de cacao dissipant son arôme dans une atmosphère emplie de vapeur qui sont à la fois parfum de viennoiserie et de « chichas ». Les deux salles aux boiseries lustrées sont presque pleines. Avisant une table, quasi isolée, située près du couloir qui conduit aux pièces de service, nous l’investissons sans nous consulter. Je dis à sid’Ahmed :
-C’est dans la foulée de la loi que tu viens d’évoquer que fut créée, plusieurs décades plus tard, en 1948, l’Etat d’Israël, en terre palestinienne. Quelques années plus tard, on vit apparaître dans les journaux et on entendit dans les radios, pour la première fois le terme d’antisionisme. C’est alors que se produisit dans la conscience collective occidentale une métamorphose soudaine : l’amour des juifs et la haine des arabo-musulmans. Depuis le venin des démocraties occidentales se déverse sur les peuples arabo-musulmans, sous forme de bombardements, de pillage, de déplacement des populations…, au nom d’une idéologie nouvelle qu’on pourrait qualifier d’anti-islamo-arabe à l’instar de l’antisémitisme.
Une jolie fille stylée apporte les deux cafés et la bouteille d’eau minérale, alors que nous continuons de deviser sur l’avenir du monde.
Slaheddine Karoui