Psyché & Déclic : Mona Luisa
Il n'a pas fallu beaucoup de temps, pour que les soignants surnomment Louise Mona Luisa, l'appelant parfois même La Joconde, tant son attitude figée et son pseudo-sourire, renvoient à l'incontournable tableau exposé au Louvre. Il n'est d'ailleurs pas étonnant qu'elle ne l'ouvre pas, plaisantent les lacaniens, qui malgré leurs airs supérieurs, au fond d'eux-mêmes n'en mènent pas large face à cette psychotique ne pipant mot.
Le diagnostic a par contre pris beaucoup plus de temps, car les psychiatres n'arrivaient pas au consensus. Ce pseudo sourire que certains qualifiaient de niais, les conduisait à la schizophrénie hébéphrénique, alors que d'autres le qualifiant d'énigmatique, penchaient plus pour la schizophrénie paranoïde. Bien que leurs approches variaient quant à la forme, les praticiens se retrouvaient toujours sur le fond, grâce à ce bon vieux noyau schizophrénique.
Les soignants, rendus moqueurs par ces querelles de puristes, taxaient Mona Luisa de schizophrène hébéphrénoparanoïde, une nouvelle entité nosologique que les plus facétieux disaient savoir en bonne voie de reconnaissance officielle par l'OMS. Mais que le sourire de Mona Luisa soit niais ou énigmatique, le cancer psychique rongeant méthodiquement son esprit, n'en était pas plus ou moins grave, car comme certains soignants l'avaient compris, c'était au néant qu'elle souriait de façon niaise et énigmatique.
Dès lors comment empêcher quiconque, de s'abîmer dans le néant, quant tout semble l'y contraindre ? Peut-être en célébrant la vie, d'une façon prétendue propre à l'homme : en riant. Oui ce rire venant des temps bibliques, opposant Guillaume de Baskerville à Gorge de Melk dans le scriptorium de l'abbaye médiévale d'Il nome della rosa, instrument de soins et moyen de distanciation des soignants en psychiatrie aux XXeme et XXIeme siècle.
Le rire médecin de Molière, que les profanes et les coincés prennent pour de l'irrespect, alors qu'il permet de prendre suffisamment de hauteur, pour ne pas se laisser emporter par la folie de l'autre, tout en demeurant au plus près de sa souffrance. Ce rire, même immotivé selon la doxa clinique, créé toujours le lien entre la psychose des schizophrènes et la névrose des soignants.
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Alors quand des soignants, investis dans leur mission, donnent des surnoms non-désobligeants aux patients, ce n'est pas afin de se moquer d'eux, mais pour faire jaillir et cultiver l'humanité dans une relation que la maladie tend à déshumaniser.
Avertissement : L'unique ambition de cette série est de contribuer à la réflexion collective sur le sens du soin en psychiatrie. Construites sur le modèle des chroniques de Baptiste Beaulieu, ces vignettes cliniques synthétisent plusieurs situations pour en restituer une version romancée. Ainsi aucune des personnes présentées ici, dans des contextes au demeurant plausibles et réalistes, n'existe ou n'a réellement existé en tant que telle.