Quali chez le caviste

Quali chez le caviste

Une observation menée chez les cavistes nous a permis de déceler trois leviers actionnables parmi d’autres en terme de stratégie sur point de vente :

  1. Le manque de « terroir telling »
  2. L’absence de verbal branding autour d’une appellation
  3. L’absence de réflexe d’association autour des cuisines world

 

1. Le manque de « terroir telling »

Pour 70% des consommateurs, le facteur local est une raison d’acheter un produit de consommation (CREDOC 2015). Si en milieu urbain, vierge de vignes, il est impossible d’acheter un vin local, la clientèle des cavistes de + de 30 ans recherche de plus en plus l’authenticité à travers un contact direct avec le producteur, à la manière de ce qui existe pour l’achat de fruits et légumes (« le panier du producteur »). Cette recherche d’authenticité les pousse à s’informer, à s’organiser, à apprendre, à fantasmer l’origine du produit. Certains cavistes indépendants savent satisfaire leurs clients avides d’expérience par leur travail en amont auprès des petits producteurs, les rendant capables de remonter des informations, de nourrir le story telling du produit, de contaminer leur interlocuteur par l’enthousiasme du viticulteur.

Si les mots sont importants, ils sont peu entourés. La mise en scène du terroir n’est pas favorisée en magasin (PLV, vitrine), laissant le caviste seul messager hormis la carte d’une route des vins pour soutenir visuellement le récit de l’origine. Les autres récits du savoir-faire et des valeurs ne dépendent que du bon vouloir du caviste et se retrouvent nivelés avec les autres choix. Autant la mythologie et la poésie sont sciemment véhiculées par des documentaires formatés à la télévision, autant la sacralisation du travail de la vigne, l’image du patrimoine ancré dans la terre, le savoir-faire et l’application profitent au segment sans différencier une appellation d’une autre. Chaque terroir a son histoire à mettre en exergue et son avenir à signer auprès de nous. Ce travail nécessite une recherche approfondie (design, look and feel, wording) pour promouvoir l’immersion géographique, environnementale et humaine.

2. L’absence de verbal branding autour des appellations

Par sa stratégie discursive, un caviste parvient à exprimer les qualités des vins avec des mots de tous les jours. En tant que client lambda, il nous est difficile d’imaginer ou de ressentir la « minéralité » ou la « note de cerise » mais nous pouvons nous accrocher à ce que nous en intuitionnons pour évaluer notre appétence sur les caractéristiques de telle ou telle bouteille. Cette langue d’expert fondée sur les mots les plus usuels a le génie d’être parlante sans être parfaitement signifiante. Si cette argumentation fonctionne à merveille, en donnant l’illusion au client d’apprendre et de le faire entrer dans un cercle d’initiés, elle est construite dans une phraséologie qui ne dépend également que du caviste. Les séances de dégustation permettent certes un focus ponctuel sur un produit mais l’argumentaire du vin au quotidien ne bénéficie pas des expressions, des signatures ou des punchlines qui personnalisent. Une charte verbale spécifique est toujours à mettre en place au service des technico-commerciaux et des revendeurs, inspirée du travail des base/head/taglines, pour véhiculer l’indispensable spécificité d’une appellation dans les communications de proximité.

3. L’absence de réflexe d’association autour des cuisines world

Prenons l’exemple de la cuisine asiatique. Côté client, la démarche intentionnelle de marier son plat thaï, japonais ou chinois avec un vin français est quasi-inexistante. L’usage reste rivé à la cuisine française. Un bloc minimal de représentations et d’idiosyncrasies traditionnelles est bien présent et constitue le bon sens général (poisson-vin blanc, foie gras-moelleux…). Face à l’accessibilité et au développement des cuisines mondiales, un nouveau rituel est à inventer ou à véhiculer, missionnant la publicité ou les RP. Dans le secteur des gums, Freedent avait eu cette idée directe, un peu abrupte, d’associer l’insight consommateur avec l’usage produit:« Un repas, un café, un Freedent ». Pourquoi pas ? Le défi est de taille : inciter à un mode de consommation stéréotypé. Les enjeux sont commerciaux et sociologiques ; l’ancrage d’un nouveau rituel, quant à lui, présente un défi anthropologique qui passe de toute évidence dans la relation entre expert et consommateur pour se crédibiliser.

Ces trois points ne constituent que des possibilités d’évolution parmi d’autres sur un marché qui se métamorphose, secouant les rentes de situations et brandissant les armes de la désintermédiation. Messieurs les négociants, les producteurs, les distributeurs, les marketeurs, les brand managers, soyez sûrs que l’imagination n’est jamais décevante !

Mayeul l'Huillier

Co-fondateur du label Vivre, premier label indépendant des retours d'expérience des résidents, proches et personnels en établissement senior

8 ans

Hello Xavier. Passionnant ! La difficulté pour les appellations est de passer à un fonctionnement de label (respect du cahier des charges) à un réflexe de marque avec une histoire, un univers et un storytelling pertinent et évocateur pour le consommateur : créer une véritable identité qui tilte chez le conso. Autre difficulté : une appellation ce sont des dizaines voire des centaines de producteurs (240 en Graves pour 450 noms de châteaux) qui veulent chacun continuer à exister sans se fondre dans l'appellation. Il faut que chaque producteur soit dans un réflexe de spécificité et non de différenciation vis à vis de l'appellation. Des nuances qui comptent construire une marque collective à 240 est un exercice complexe mais fondamental pour continuer à exister dans un univers du vin où la concurrence mondiale joue à plein.

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