Quand la tonte d'un gazon (re)deviendra une activité stratégique...

Quand la tonte d'un gazon (re)deviendra une activité stratégique...

Les amoureux des gazons anglais impeccables, des greens irréprochables et des espaces enherbés ouverts à diverses pratiques de loisirs l'ont bien remarqué : ces espaces sont de plus en plus souvent fréquentés par des robots tondeuses, ces machines qui exécutent une tonte de manière autonome, c'est à dire sans l'intervention directe d'un humain. Beaucoup s'en félicitent : on évite ainsi une tâche répétitive voire pénible; la motorisation électrique et la faible vitesse de déplacement -le temps de travail n'est pas une ressource rare pour un robot- permettent d'effectuer la tâche dans une ambiance sonore sereine qui confine parfois au silence; l'absence d'exportation organique permet la mise en oeuvre de mulching et rend possible la tonte par temps humide. Bien sûr, on peut reprocher à cette technologie déjà vieille de 50 ans -le premier brevet de robot tondeuse remonte à 1969 aux USA- de ne pas traiter les limites de terrain et les obstacles animés ou animés de façon optimale; mais les progrès technologiques viendront rapidement à bout de ces insuffisances.

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Libérer la plus-value intellectuelle

Non, le principal intérêt d'un robot tondeuse ne réside pas uniquement dans sa capacité à automatiser une tâche routinière. La robotisation des tâches répétitives a certes permis de libérer l'humain des travaux les plus éreintants, mais elle a aussi permis la diversification des missions qui lui sont confiées (ce que les anglo-saxons appellent le job enrichment) : les exemples sont nombreux dans l'agriculture ou l'industrie automobile, pour ne prendre que des cas bien connus. En effet, le chef d'une flotte de robot-tondeuses peut ainsi se consacrer un peu plus à la relation qu'il entretient avec les clients et les usagers, aux problématiques de maintenance de l'espace engazonné dans toutes ses composantes agronomiques et écosystémiques, aux projets connexes qui peuvent être imaginés en lien avec ou à proximité de l'espace entretenu; en résumé, il s'agit de réintroduire de la complexité et de la créativité dans le métier.

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De l'automatisation à la robotisation

La collecte automatisée de données - à commencer par les données météorologiques - sur site est pratiquée depuis longtemps déjà. Face au caractère fastidieux de l'enregistrement régulier et routinier, les stations automatisées proposent des prises de mesures fréquentes, précises, dégagées des contingences humaines. Les stations automatisées en extérieur ont peu à peu investi les espaces agricoles (pour la météorologie) et les abords de réseaux routiers (pour la pollution de l'air); laissons de côté les appareils dédiés à la vidéo-surveillance et à la sécurisation des espaces. De telles stations automatisées sont d'ailleurs d'ores et déjà proposées en agriculture par des sociétés telles que Sencrop, Meteobot et Instacrops. Cependant, ces stations souffrent d'un défaut majeur : leur sédentarité. C'est précisément ce dont les robots de tonte se sont affranchis.

L'apparition des véhicules autonomes ne date pas d'hier. Y compris pour le transport des personnes. Le métro lillois - entièrement automatique - a ainsi trouvé sa place dans la capitale nordiste au début des années 1980. Il ne faudra pas longtemps pour perfectionner les déplacements des robots tondeuses actuels. La généralisation des robots de tonte (ou du moins leur usage commun) ne s'arrêtera donc pas là où elle en est, bien évidemment. Dès lors, pourquoi demander à un robot (qui reste néanmoins à ce jour une machine assez difficile à mettre en oeuvre lorsqu'il s'agit de le déplacer en autonomie sur un terrain inconnu ou presque) de se contenter d'opérer à une tonte alors qu'il peut embarquer bien d'autres instruments de mesure ou d'intervention ? Après tout, il ne s'agit que d'une adaptation de technologies déjà développées pour l'exploration spatiale depuis plusieurs années.

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(c) Fendt

On peut dès lors aisément imaginer un robot doué de mobilité autonome, muni de capteurs de couleurs (ou plus précisément de capteurs de longueurs d'ondes, le spectre visible étant assez restreint) et de capteurs d'humidité - pour ne citer que ceux-ci - qui permette de collecter in situ et en temps réel de précieuses données agronomiques : humidité du sol, texture du sol, luminosité, pH, températures, teneurs en azote (dans le sol et dans la plante), etc.

Les technologies basées sur la conductivité électrique se sont enrichies d'autres approches capacimétriques (construites sur la permittivité diélectrique) et de réflectométrie temporelle (TDR). Autant de développements ingénieux qui autorisent des mesures quasi-instantanées - ou presque - et ainsi le mouvement des appareils qui les produisent. Ce sont ainsi de véritables petits laboratoires embarqués qu'on peut installer sur un engin autonome pour effectuer des mesures locales, avec un maillage plus ou moins serré et en quelques instants.


Vers la massification des flottes de robots

A la faveur de la réduction des coûts de production des instruments de mesure et des véhicules autonomes, les robots vont ainsi constituer des flottes entières d'engins déployés en divers endroits. Les données, transmises régulièrement et à peu de frais via la technologie SigFox, pourront être agrégées en bases importantes. Ces flottes de robots vont donc produire des masses de données qui pourront être exploitées par des systèmes experts - dans un premier temps - puis par l'intelligence artificielle de type deep learning. Elles autoriseront par conséquent les gestionnaires d'espaces plantés à optimiser leurs interventions techniques (tontes, amendements, arrosages, traitements de remédiation, etc...) en terme de pertinence temporelle, de fréquence, de dosage, entre autres choses. La mécanisation devrait avoir pour conséquence économique une hausse de la productivité accompagnée d'une baisse des coûts des services rendus. Finis les contrats d'entretien qui prévoient d'emblée 14 tontes par an, quels que soient les conditions réelles de croissance du gazon. Place aux abonnements ouvrant droit à l'utilisation d'un service à la carte.

Les entreprises du paysage - encore très largement dépendantes de leur main d'oeuvre de chantier - devraient ainsi voir leur rapport travail/capital se déplacer vers une plus forte intensité capitalistique - appelant de ce fait une restructuration et consolidation du secteur d'activité. Elles devront adapter leurs forces vives pour renforcer leurs compétences en robotique, électronique, programmation informatique et télématique.



De la redéfinition de certains métiers d'entretien des espaces verts

Les métiers n'intégrant qu'une faible part de plus-value intellectuelle seront probablement voués à évoluer vers d'autres plus engageants en termes cognitifs. L'implication physique laissera place à la curiosité et la sagacité. Les connaissances agronomiques seront un peu plus mises à l'épreuve des réalités de terrain; elles deviendront de plus en plus précises, complexes et fournies. L'intelligence artificielle obligera les intervenants à développer des systèmes critiques destinés à contrôler les productions d'informations nouvelles avant de les traduire en actions bien concrètes.

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Verra-t-on encore des "jardiniers" ? Oui, mais d'un genre nouveau. Ils seront dotés d'un nouveau profil et auront vraisemblablement une approche renouvelée de la gestion des espaces dits "verts". Programmation, modélisation et robotique seront leur nouvelle grammaire. Chaque matin, l'attention ne portera plus sur la manière d'occuper de la manière la plus productive possible les équipes de terrain et de réaliser les meilleurs "rendements" journaliers mais elle se concentrera plutôt sur les tâches qui créent le plus de valeur dans un horizon de temps étendu à de nombreuses années. Les espaces seront - enfin - considérés pour ce qu'ils sont réellement : une micro-société d'êtres vivants cohabitant dans un périmètre restreint et nécessitant tous les soins dûs aux individus voués à vieillir.

Au-delà du scientifique et de la vision technologique (au passage, soutenue par les injonctions générées par le changement climatique), il s'agira de recréer une nouvelle poétique qui apporte aux humains l'élargissement de leurs horizons et de leurs pensées.

Jérôme CAREL

Victor MARCON

Helping organizations to meet their goals | Schneider Electric

3 ans

Excellemment articulé : robotique, technique, data, économie... sujets vastes dont le dénominateur commun, la data et l'utilisation de la data, risque effectivement de couper l'herbe sous le pied de certains métiers de paysagistes. Et comme je suis un fan de la phytosociologie j’apprécie cette analogie entre nos sociétés humaines et végétales.

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