Quand ma raison d’être flingue tout mon savoir-être !

Quand ma raison d’être flingue tout mon savoir-être !

En tant que philosophe, j’ai été très intéressé par la mise en place d’une disposition législative relative à la question de la raison d’être des organisations. Pour l’avoir longuement exprimé dans un précédent article, il s’agit là d’une avancée majeure qui permet d’inscrire dans l’ADN des organisations une conception des valeurs qui dépasse le seul champ économique, permettant de relire d’autres questions : celle de la performance par exemple. Je témoignais dans cet article d’une double tendance : les valeurs peuvent être le lieu d’une pensée monolithique visant à uniformiser la pensée collective ; elles peuvent aussi être le lieu d’une dynamisation de la vitalité de l’organisation autour d’une interprétation toujours continuée de ces mêmes valeurs, permettant à l’esprit critique (par distinction de l’esprit decritique) d’être un levier de performance pour nos organisations. En d’autres termes, « penser » est à mes yeux une manière de répondre au grand défi de notre époque : l’automatisation grandissante de tout ce qui peut l’être. 

Essayons toutefois un petit exercice de pharmacologie : le poison d’une approche par l’idéologie, c’est qu’elle se présente comme un remède intellectuel à une problématique d’action : une entreprise ne peut se contenter de penser, il faut qu’elle réponde à ses enjeux stratégiques. Or c’est là tout le piège… approcher la « raison d’être » par une réponse « idéologique », c’est tendre à produire une approche substantialiste : nos collaborateurs verront dans les valeurs et dans les discours des « étalons de référence », à partir desquels mesurer et juger l’action de l’organisation. Or qui dit « substance » dit, « de toute éternité ». Et alors que vous aviez une organisation « en mouvement », vous prenez le risque d’obtenir in fine… un socle inamovible. Ou pire… vous avez souhaité mettre en mouvement votre organisation à partir d’un questionnement sur la « raison d’être », mais c’est cette mise en mouvement qui crée, pour demain, des conditions de sanctuarisation des discours qui vous interdira toute évolution future.

C’est la raison pour laquelle Noetic Bees se réclame d’une approche pragmatiste, en insistant sur le fait qu’une idéologie est un système de croyances momentanément fonctionnel, et qu’il est donc dangereux de structurer la pensée critique de l’organisation autour d’une approche seulement théorique : on tombe alors dans le piège de la rationalité théorique, à boucler la réflexion à l’infini pour mieux s’éloigner de l’action et des changements réels – essentiellement parce que, comme le dit St Exupery… « le langage est source de malentendus », et qu’on va y passer des heures… !

En d’autres termes, structurer la raison d’être d’une organisation pour qu’elle permette à la pensée critique d’exister, ce n’est pas d’abord structurer un discours commun, c’est d’abord structurer ses normativités d’actions pour qu’elles autorisent une autonomie dans les modalités du faire sans contredire aux exigences de finalisation d’action de l’organisation.

Jean-Luc Dagron

De l'énergie pour faire des transformations d'entreprises des aventures... et des résultats ! 💫 Consultant, marketeur BtoB, communicant, cerveau droit...

5 ans

Merci Baptiste CANAZZI pour cette analyse érudite - on s'éloigne du champ lexical de LinkedIn :-). Vous soulevez le paradoxe d'une raison d'être qui, se voulant fédératrice, pourrait finalement brider le collectif. Je rencontre très souvent cette situation de l'équilibre entre la liberté d'action individuelle et la cohérence d'un collectif : comment assumer l'une tout en préservant la solidité de l'autre ? Passionnant ! Merci !

Jean-Baptiste ETIENNEY

Facilitateur de convergence et générateur de solutions 💡 - Conseil en Organisation, Management et Innovation - Management de Transition

5 ans

Merci Baptiste pour cette réflexion mais je soulèverai 2 autres axes de réflexion : - la trajectoire de la réflexion - la résilience de la raison d'être Je m'explique. Un des principaux bienfaits de cette approche "raison d'être" réside selon moi dans le chemin nécessaire pour exprimer cette raison d'être. Amener les personnes à se questionner sur le sens de leurs actions, le sens de l'entreprise pour lesquelles elles génèrent ces actions... Ce chemin permet de toucher du doigt, si ce n'est de résoudre, de nombreuses problématiques de l'entreprise. La finalité (exprimer sa raison d'être) est moins importante que le chemin pour y parvenir. Mon second point est sur la résilience de cette raison d'être. En effet, une raison d'être n'a de valeur que si elle est en perpétuelle réadaptation avec son environnement. Je ne parle pas de tout remettre en question, mais l'épaisseur des lignes, la trajectoire vers le phare... doivent s'adapter ! Clin d'oeil à l'approche de ce bon vieux Deming, difficile d'avoir une raison d'être gravée dans le marbre sans réajuster après apprentissage par l'expérience et la confrontation au monde réel. L'aspect monolithique de la raison d'être me semble moins risqué en prenant en compte ces 2 dimensions.

François-Xavier F.

Consultant en Management | Auteur : l'esprit subtil du management

5 ans

"normativités d'actions" ou bien "principes" ? 

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Baptiste CANAZZI

  • "Faire confiance à ceux qui savent", ou les limites de l'épistémocratie ?

    "Faire confiance à ceux qui savent", ou les limites de l'épistémocratie ?

    « Faire confiance à ceux qui savent » ; « Interroger ceux qui savent » ; « Nous appuyer sur ceux qui savent ». Ces…

    13 commentaires
  • Le management écologique : Faire moins, avec plus de pertinence.

    Le management écologique : Faire moins, avec plus de pertinence.

    Réduire les temps d’échanges et être plus efficaces ? Faire moins avec plus de pertinence grâce au management…

    2 commentaires
  • Questions ouvertes aux assureurs ?

    Questions ouvertes aux assureurs ?

    - Une assurance est fondée sur un principe de répartition et de mutualisation. Autrement dit, cela fonctionne parce que…

    1 commentaire
  • Les 5 maximes d'une visioconférence efficace...?

    Les 5 maximes d'une visioconférence efficace...?

    Michel Socrate est en visio. Il ne connaît pas bien les règles de ce jeu et, tout de suite, cette sensation : il hésite…

    2 commentaires
  • Pour une économie du temps (libre) ?

    Pour une économie du temps (libre) ?

    Ceux qui me connaissent savent mon attachement à la Provence, cette terre natale que j’appelle « ma terre », où j’ai le…

    2 commentaires
  • « Par-delà les valeurs ? Penser ! »

    « Par-delà les valeurs ? Penser ! »

    La loi pacte a récemment proposé de distinguer la valeur au sens économique, des valeurs, au sens de la raison d’être…

    3 commentaires
  • La nécessaire mort de la « satisfaction » client

    La nécessaire mort de la « satisfaction » client

    Un client, c’est d’abord quelqu’un qui nous fait confiance. Ce qui pose la question de savoir jusqu’à quand.

    13 commentaires
  • Philosophie Créative !

    Philosophie Créative !

    On imagine souvent les « créatifs » dans leur monde ; ce même préjugé que l’on a à l'égard des « philosophes », souvent…

    1 commentaire
  • Intelligence interactionnelle ?

    Intelligence interactionnelle ?

    Depuis quelque temps, on voit pulluler sur la toile des contenus toujours plus nombreux sur le "management émotionnel".…

  • Ce que n’est pas la transversalité ?

    Ce que n’est pas la transversalité ?

    On comprend le plus souvent la notion de « transversalité » comme une manière de gérer le management d’une…

Autres pages consultées

Explorer les sujets