Quand nos indicateurs n’indiquent plus rien…
« Vous allez recevoir une enquête, je compte sur vous pour mettre 9 ou 10, parce qu’en dessous ça veut dire que vous n’êtes pas satisfait (entendez par là « et ça va me retomber dessus » )»
Voici une phrase que j’ai maintes fois entendue au sortir d’un achat en magasin ou d’une conversation téléphonique avec un chargé d’assistance.
J’aime le travail bien fait, mais j’ai malgré tout un cœur, et cette réplique me pose invariablement des cas de conscience au moment de ladite enquête… « ce n’était pas terrible, mais le pauvre conseiller, il n’y est pour rien », « si je note honnêtement, je vais lui attirer des problèmes »… bref, me voilà en train de noter 9 tout en pensant « je n’y remettrai plus les pieds ! ».
L’entreprise en déduira que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et continuera à perdre des clients tout en se félicitant de son excellent NPS…
Bienvenue dans le monde merveilleux de l’indicateur pastèque, celui qui est vert à l’extérieur alors qu’à l’intérieur, c’est tout rouge !
Un indicateur sur lequel on met trop de pression ne joue plus son rôle d’indicateur
Quand la qualité de votre travail est principalement évaluée par quelques KPI, quoi de plus humain que de tout faire pour les influencer ?
Prenons l’exemple (fictif, vous l’aurez compris) de l’entreprise Indicateurs De Rêve. Cette entreprise suit consciencieusement le taux de réclamations, avec l’intention de piloter l’atteinte d’un objectif : réduire l’insatisfaction clients.
Voyant que le big boss s’intéresse de près au taux de réclamation, Christian, Directeur de la relation client, décide de tout faire pour le réduire : « Puisque l’objectif est de diminuer le taux de réclamations », se dit Christian, « nous allons évaluer nos fronte à l’aulne du nombre de réclamations »… C’est ainsi que les responsables d’équipe se voient affecter des objectifs de diminution des réclamations suite à un contact avec leur équipe. Dans l’inconscient collectif, la réclamation devient quelque chose de mauvais, qui sanctionne un travail mal fait.
Et au final, que se passe-t-il ? La réclamation est dissuadée, et le client qui veut réclamer doit suivre le parcours du combattant avant d’accéder au graal.
Dans cet exemple, l’entreprise diminue son taux de réclamation (l’indicateur est au vert) mais n’augmente pas pour autant la satisfaction clients et se prive même de belles opportunités pour re-satisfaire ses clients et comprendre comment progresser (la situation est au rouge).
Bref, à trop se focaliser sur la mesure, Christian en a perdu l'objectif : il a polarisé les efforts des équipes sur la réduction du taux de réclamations, et non plus sur la satisfaction des clients.
Les exemples des dévoiements induits par une forte pression sur les indicateurs sont légion :
- Pas plus tard qu’hier, on me racontait l’exemple d’un département formation, évalué au nombre de participants inscrits, qui envoyait des convocations à des collaborateurs ayant quitté l’entreprise depuis plus 2 ans.
- Affichette vue à la sortie de mon magasin Darty :
Est-ce à dire que nous devons tordre le cou aux indicateurs ?
Bien sûr que non ; les indicateurs sont indispensables en entreprise : ils permettent de piloter, d’alerter et d’alimenter la prise de décision… En revanche, nous pouvons réfléchir à ce qu’il est possible de faire pour alléger la pression sur ceux qui génèrent l’indicateur.
Par exemple :
- Animer la performance non plus sur la base d’un indicateur clé mais sur la base d’une scorecard ou d’indicateurs composites.
Un directeur de service client m’expliquait il y a quelques mois être passé d’une logique d’animation sur la base d’indicateurs très précis en matière de vente de certains produits et de NPS, à une logique d’animation sur la base d’une scorecard de type « baromètre », donnant une vision de la performance commerciale (tous produits), de la performance client (sur la base d’un composite issu à la fois du NPS, des réclamations et du taux de réitération) et de la satisfaction salariés.
Cette transformation du pilotage a également transformé les comportements des collaborateurs, qui sont passés de la recherche d’influence des indicateurs (je vends le produit qui me rapportera le plus de points en fonction de la période commerciale, je persuade le client de me mettre une bonne note…) à la recherche de performance (développement de la vente conseil quels que soient les challenges du moment, recherche de la satisfaction client plus que de la « bonne note »…).
- Célébrer les indicateurs « tomates » (aussi rouges à l’extérieur qu’ils le sont à l’intérieur)
Tout dans notre culture nous a habitué à célébrer les « bonnes notes » et à sanctionner les « mauvaises notes ». Si nous voulons redonner à l’indicateur sa vocation d’indicateur, nous devons lutter contre la croyance qu’un indicateur dans le rouge, « c’est mal ». Redonner du sens aux indicateurs, communiquer largement sur le fait qu’un indicateur dans le rouge est positif s’il nous permet de tirer des enseignements et de nous améliorer, accueillir favorablement et avec curiosité l’indicateur tomate plutôt que chercher un responsable et le sanctionner… Voici quelques pratiques au quotidien qui nous permettront de développer une saine culture de l’indicateur.
- Décorréler indicateurs individuels et rémunération.
De plus en plus nombreuses sont les entreprises qui s’interrogent sur la performance des challenges ponctuels ciblés sur la vente d’un produit… Certaines entreprises vont encore plus loin :
Le Crédit Agricole Provence Côte d'Azur et BNP Paribas ont supprimé objectifs individuels et challenges depuis 2002. Les conseillers n'ont plus qu'une part variable collective au niveau de l'agence, équivalente pour tous les collaborateurs.
Dans les Apple store ou les magasins Best buy, les vendeurs ne sont pas commissionnés sur leurs ventes
Avec Zappos, pas de pression sur la DMT…
Et vous, que faites-vous pour redonner toute leur utilité à vos indicateurs ?
Nouvelle tranche de vie...
6 ansQue de souvenirs....
Transformer vos Data en leviers d'actions ROIstes
6 ansDeux points : 1. On ne pilote que ce que l’on mesure. Encore faut-il savoir ce que l’on veut piloter et ainsi choisir le KPI le plus adapté. Le NPS notamment n’est absolument pas un kpi de pilotage opérationnel 2. Les indicateurs seuls ne servent pas à grand chose sans l’analyse des verbatims clients. Au plaisir d’échanger.
Bonjour, Je vous conseille le livre de Maya Beauvalet sur le même sujet:"Les stratégies de l'absurde : comment faire pire en croyant mieux faire" . Voici le 4eme de couverture: "Un club de football met à l'amende un de ses joueurs au motif qu'il rend trop souvent la balle à l'adversaire. Résultat : il ne la passe plus à personne. Un patron décide d'organiser une compétition permanente entre ses salariés. Résultat : une partie d'entre eux commencent à saboter le travail de leurs collègues. Constatant que certains patients victimes de graves complications cardiaques décèdent régulièrement au bloc opératoire, une clinique fixe un quota maximal de " pertes " à ses chirurgiens. Résultat : lorsqu'ils approchent du chiffre fatidique, les chirurgiens refusent d'opérer. Une école décide de sanctionner financièrement les parents dont les enfants arrivent en retard le matin. Résultat : le nombre des retardataires se multiplie.."