Quel potentiel de remontée des taux ?
r* semble être prêt à décoller
Alors que la dynamique positive de l’économie américaine est désormais largement reconnue par les analystes et que l’inflation accélère, la question de la remontée des taux d’intérêt devient de plus en plus pressante. Au cours de l’année écoulée, le taux des bons du Trésor américain 10 ans est passé d’un point bas de 2,04% à 2,89% actuellement et celui des Bund de 16 points de base (pdb) à 56pdb.
Après une si longue période de doutes quant à la perspective de taux plus hauts et tout un débat sur la notion de stagnation séculaire, un certain scepticisme reste de mise. Afin d’évaluer objectivement le potentiel de hausse des taux d’intérêt, nous nous sommes penchés sur les fondamentaux. Notre analyse nous amène à anticiper des taux 10 ans aux Etats-Unis autour de 4% à l’horizon fin 2020 et le taux du Bund proche de 2%.
Explicitons notre démarche sur l’exemple des Etats-Unis. Nous partons de l’hypothèse de base selon laquelle les taux d’intérêt peuvent être décomposés en deux facteurs : le premier lié aux anticipations de la trajectoire des taux directeurs de la banque centrale et le second correspondant à la prime requise par les investisseurs pour porter le risque et l’incertitude liée à la politique monétaire (i.e. la prime de terme). A l’évidence, aucun de ces facteurs n’est observable, ce qui requiert donc une bonne dose de jugement et de modélisation.
Pour ce qui est de la politique monétaire, nous utilisons le cadre théorique de r*, qui estime les taux directeurs à partir de l’écart de production (la différence entre la croissance effective et la croissance potentielle d’une économie) et de la distance entre l’inflation réalisée et la cible de la banque centrale. Nous avons enrichi ce cadre afin de prendre en compte la réglementation post-crise ainsi que l’endettement des agents économiques. Nous trouvons un r* (ou taux réel de court terme d’équilibre) remontant progressivement vers 1,25% d’ici 2020.
En ce qui concerne les taux longs, nous ajoutons les hypothèses sur la prime de terme. D’abord, l’effet de la fin de l’assouplissement quantitatif(QE) et la normalisation des bilans des banques centrales devraient ajouter près de 40pdb à la prime de terme 10 ans. Ensuite, une normalisation de l’incertitude autour de la politique monétaire alors que la forward guidance se dissipe pourrait ajouter 60pdb. En tenant compte des anticipations d’inflation, cela mène le taux 10 ans américain à près de 4% d’ici 2020. Si par ailleurs on considère que le déficit américain se creuse à 5% du PIB d’ici 2020, nous pourrions envisager d’ajouter 30pdb.
Où cela nous amène-t-il ? Trois considérations
La dynamique économique très favorable a finalement dissipé l’ombre d’une inflation basse pour toujours, permettant à la politique monétaire de quitter graduellement la scène. Aux Etats-Unis, les enquêtes de conjoncture, telles que l’ISM, ont atteint leur plus haut niveau depuis 2004, et la tendance est la même de l’autre côté de l’Atlantique en Europe. Ces éléments nous confirment dans nos prévisions de croissance plus optimistes que le consensus en 2018, à 2,9% et 2,7% respectivement aux Etats-Unis et en zone euro (comparés à 2,3% et 2,5% en 2017). Le consensus devrait s’ajuster graduellement à la hausse, comme il en est coutumier dans cette phase du cycle économique. L’inflation devrait elle aussi remonter, à 2% en 2019 en zone euro mais bien au-dessus aux Etats-Unis. Nous voilà de retour dans le bon vieux paradigme du cycle économique standard, même si cela a pris plus longtemps que prévu.
Les risques sont néanmoins plus palpables qu’avant la crise financière. Nous devons commencer par admettre notre faible compréhension des dynamiques d’inflation qui, si elle accélérait, notamment du fait de la hausse des barrières douanières, pousserait les taux plus haut que prévu. La performance de Mario Draghi lors de la dernière conférence de presse de la Banque Centrale Européen (BCE) a été remarquable dans sa capacité à ne pas brusquer les marchés en dépit de la normalisation de politique monétaire. Mais il demeure que les banques centrales sont bel et bien en train de réduire leurs achats d’obligations, ce qui aura un effet important sur l’équilibre offre-demande, notamment aux Etats Unis. En ajoutant les risques politiques en Italie et géopolitiques en Asie et au Moyen Orient, que nous ne pouvons que mal quantifier, le potentiel de disruption sur les marchés reste élevé.
Enfin, un regard vers l’avenir ne peut que laisser mal à l’aise avec la ‘nouvelle norme’ : un monde de taux qui remontent mais qui resteront même en 2020 bien inférieurs à leur niveau d’avant crise mais où les stocks de dette sont plus élevés et la marge de manœuvre budgétaire très mince – en 2018, la dette publique devrait être supérieure à 100% du PIB aux Etats Unis et 90% en zone euro en moyenne selon le Fond Monétaire International. La pression sera probablement plus forte en Europe cependant, où la France et l’Allemagne peinent à trouver un terrain d’entente sur l’usage des politiques monétaire et budgétaire en récession. Aux Etats-Unis, l’ordre du jour est plutôt à la question de l’indépendance laissée à la Fed par l’administration en place.
Espérons seulement que le cycle économique va se poursuivre sans s’essouffler ni se laisser perturber par la politique.
Pas de changement pour notre positionnement pro-croissance
Dans ce contexte, notre allocation d’actifs reflète à la fois la dynamique économique, nos attentes de remontée des taux et cette incertitude difficile à quantifier. Nous restons surpondérés en actifs de croissance, tels que les actions, le crédit à haut rendement et la dette émergente, avec quelques nuances. Sur les actions, nous avons clôturé notre position tactique sur les actions américaines après l’épisode de volatilité de février. Nous restons surpondérés sur les banques européennes et les marchés émergents.
Avec la hausse des taux d’intérêt à long-terme de 30 à 40pdb depuis décembre, notre positionnement court en duration a payé. Il est possible que le marché se consolide aux niveaux actuels, voire légèrement plus bas à court terme. Pour autant, le risque de taux reste asymétrique, favorisant un positionnement structurellement sous-sensible en duration, comme le reflètent nos scénarios alternatifs qui envisagent une correction plus nette.
Sur le marché du crédit, nous prévoyons un léger élargissement des écarts de taux dans les mois à venir. Les taux d’intérêt américains à long-terme étant désormais 75pdb au-dessus de leur moyenne sur trois ans, ils se rapprochent de niveaux qui historiquement pénalisent les écarts de taux. Nous prévoyons que la dynamique relationniste dans laquelle le haut rendement surperforme le crédit de qualité continue, mais la direction des rendements totaux devrait être fortement influencée par les mouvements de taux d’intérêts sous-jacents.
En l’absence d’événement particulier, et étant donné qu’aucun changement n’a été apporté à nos perspectives macroéconomiques, nous n’avons pas modifié nos vues sur le marché des changes et conservons un biais positif sur le yen japonais et l’euro. Nous maintenons notre cible de fin d’année pour l’euro-dollar à 1,28.
Lire la note complète de l'équipe recherche (anglais)
Senior Insurance Professional
6 ansMerci pour cette très belle analyse
SOC Analyst (Apache Kafka Elastic & beats Logstash Kibana) - Backend python developer
6 ansMerci pour cette analyse que je partage très largement. Lorsque vous dites rester sur pondérés sur les EM, conseillez vous l'ETF EEM ou des pays emergents plus ciblés ? Cdt,
Project team manager | CACIB Finance Department
6 ansMerci, très intéressant