Quel sera le rôle des juges et des avocats si un algorithme est capable de déterminer l'issue d'une procédure ?
Un excellent sujet de France Culture a récemment aborder cette question.
Je cite ici l'article de Catherine Petillon. Le numérique et nous. En réécoute en podcast cliquer ici, ou lire la suite. Références en fin de texte.
" En un clic, notre algorithme calcule les probabilités de résolution d'un litige, le montant des indemnités"
Voilà la promesse de la start-up Prédictice. Il y a quelques jours, elle vient de signer un partenariat avec le barreau de Lille.
A chaque nouveau marché son anglicisme, les legal tech, déjà implantées aux Etats-unis émergent en France. L'idée de ce qu'on appelle la justice prédictive, c'est que les big data permettent de prédire l'issue d'une procédure judiciaire. Comment ? Avec des algorithmes qui fouillent dans toute la jurisprudence et calculent les chances de réussite d'un dossier, la fourchette d'indemnisation.... Et même ressortent les arguments qui ont le mieux marché.
Si ces pratiques restent balbutiantes, cela ne va pas durer, car les données vont être davantage disponibles. Chaque citoyen peut déjà demander accès à une décision de justice, mais en pratique cela reste difficile si l'on n'est pas un professionnel du droit.
Or la loi sur le numérique d'octobre 2016, prévoit la mise à disposition de toutes les décisions de justice dans un format ouvert. Le décret d'application est encore sur le bureau de la Chancellerie.
Ces innovations commerciales bousculent les acteurs du droit. Et elle induisent "un changement de paradigme", a expliqué Chantal Arens, Première Présidente de la Cour d’appel de Paris dans son audience solennelle de rentrée.
L'utilisation des données pourrait aboutir à des profils de juge ayant rendu tel ou tel type de décision a t elle expliqué.
Le Premier Président de la Cour d'appel de Rennes Xavier Ronsin, a lui souligné que la justice devra être en mesure « d'expliquer pourquoi la chambre A et la chambre B d'une même cour ne disent pas toujours la même chose sur un sujet de droit X ». Savoir s'il existe une récurrence dans les décisions prises par tel ou tel uge, c'est bien cela que permettent potentiellement ces algorithmes. Ce qui entraîne aussi toute une série de questionnement éthiques sur l'usage de ces big data. Ne serait-ce que parce que l'intérêt premier de ces innovations est commercial.
La Cnil a lancé fin janvier une consultations de plusieurs mois sur l'éthique des algorithmes. Et le magistrat Antoine Garapon bien connu de France Culture travaille avec les acteurs de la legal tech, à un comité d'éthique.
Ce rôle prédictif n'est pas nouveau. Et d'une certaine manière, c'est le propre du droit que de définir des règles qui permettent à chacun de savoir à quoi s'attendre, tout en préservant une liberté d'interprétation.
Les stratégies d'évitement, de contournement de tel ou tel juge existent déjà. Elles reposent sur l''expérience et la connaissance des avocats.
Mais la nouveauté, c'est que tout à coup, un algorithme pourrait rendre visible de manière massive les récurrences dans les décisions.
Antoine Garapon a cette expression : cela "révèle l'inconscient des institutions juridiques" . Conséquence, poursuit le magistrat, "la justice prédictive fait s'effondrer le mythe d'une loi impartiale et aveugle". En somme, cela met en cause les fictions sur laquelle s'appuie la justice.
Il n'y a pas vraiment à être pour ou contre les big data dans la justice : c'est là. Mais s'il faut observer de près cette transformation numérique, c'est aussi parce qu'elle est concomitante d'une crise de confiance dans les institutions. Et avec laquelle elle entretient des relations complexes.
D'un côté c'est un moyen de restaurer la confiance, en répondant à la demande démocratique de plus de transparence. Mais le risque c'est de voir un transfert de confiance des juges vers la technologie, en opposant à la justice la certitude scientifique.
Mais une justice rendue que par une machine serait-elle encore humaine ?
Source : sujet de Catherine Petillon in Le Numérique et Nous via France Culture 11.02.2017