Quel temps est-il ?

Quel temps est-il ?


Depuis l’enfance nous expérimentons le temps comme une réalité fluctuante. Cette ressource à la fois si précieuse et parfois gaspillée dans la plus grande vacuité. En ce matin de mi-quarantaine j’ai senti le besoin de coucher quelques une de mes réflexions sur l’étonnante versatilité de mes expérimentations.

Je me souviens enfant de ces déjeuner en famille chez mes grands-parents. De repas débutant à midi et finissant parfois vers 18h, moments de délectation et de douceur familiale. Mais aussi parfois de stupeur face au temps qui semblait ne plus s’écouler lors de certaines conversations. L’énergie alors bouillonnante de l’enfant que j’étais me poussant à fureter tout moyen d’être relâché tel un animal sauvage pris au piège. D’autres instants de grâce ou de #flow* comme on dit aujourd’hui, où l’on peut accomplir des choses excellentes très rapidement sans voir le temps s’écouler et par la suite expérimenter une fatigue sereine de l'accomplissement. Mais aussi des moments où l’on réalise que le bébé que l’on tenait hier dans ses bras est aujourd’hui devenu adolescent et que probablement demain en un claquement de doigts, il sera devenu un homme traçant sa propre route.

En tant que jeune chef de projet, j’ai parfois subi ce temps tel la volonté des dieux grecs, imposant le poids de Chronos, ce temps tayloriste que l’on essaie de mesurer et d’optimiser sans fin. Tout comme Aiôn vous imposant ces releases, ces sprints et ces saisonnalités sans fin.

Et puis il y a eu, ces instants étranges que je n’ai pas immédiatement perçus comme étant un temps à part entier. Ces moments où le temps semble réellement fluide, où l’on anticipe chaque élément, où la production de l’équipe surpasse de très loin la somme des individualités, balayant tous les obstacles et où l’équipe entière s’accomplit au-dessus de toute contrainte ou considération politique. Cette sensation enivrante devenu immédiatement addictive tel une drogue de lucidité ou de pleine conscience. Etait-ce vraiment du fait d'une seule bonne planification?

Est-ce donc chronos et le souhait d’utiliser son temps à bon escient avec les bonnes personnes? Est-ce Aiôn et la bonne saisonnalité des sprints?

On constate alors que dans des moments moins satisfaisants, comme un événement qui plonge un groupe ou une industrie dans la stupeur compliquant chaque nouvelle action à entreprendre (ex : HF case). Cela puisse être le fait d'un autre dieux grec du temps, «kairos», dieux de la fatalité, présentant une mesure subjective et individuelle du temps, un temps opportuniste, comme une chance furtive qu’il faut saisir ou subir mais sur lequel nous n’avons aucune emprise.

Là encore on expérimente professionnellement ces moments et d’autres avec circonspection. Lorsque votre équipe performe et soudain un manager récupère vos collègues les plus aguerris pour travailler sur ses projets. Ou lorsque vous vous retrouver complètement seul pour accomplir un des projets de migration critiques pour le fonctionnement de l’ensemble des opérations de votre banque alors que rien ne semble justifier cette situation.

Mais la encore aucune fatalité à proprement parler, aucun problème qui ne puisse être résolue avec du temps, de l’écoute et de la diligence. Parfois un simple manque de cohérence d’objectifs ou d'absence de compréhension entre humains. L’antidote, n’est alors pas la volonté d’accomplir quoi qu’il se passe ses objectifs avec un orgueil mal placé pour essayer de faire mieux seul que mal accompagné. Mais la capacité à rester lucide, bienveillant entre humains de bonne volonté afin d’accomplir une fois de plus quelque chose de plus satisfaisant que la somme des individualités ou des égos.

J'aime à penser qu'il existe un temps particulier proche de Kairos sans fatalité, tel une loi de Murphy vous rappelant que si le pire peut toujours arriver, en étant lucide et diligent il est possible d’assurer que le meilleur survienne. Avec un rappel qu’obtenir le meilleur ne se fait généralement pas seul.

Tel un bon produit des années 80 issue d’une génération de soixante-huitards attardés écolo anxieux. J’use et j’abuse de ma candeur affichée non dépourvue (je l’espère) d’une certaine lucidité pour expérimenter ces temps de manière optimale, une sorte de néo Homo œconomicus lucide ;-).

Je pense qu’un accomplissement collectif nécessite beaucoup plus d’efforts et d’attention qu’une réussite personnelle. Mais je pense aussi que le gain à la clé est sans commune mesure et justifie bien les sacrifices, obstacles et les critiques que l’on aura pu essuyer.

A la base de cette réussite la nécessité de prendre un temps conséquent pour forger une vision et un objectif commun durable / lucide. L’obtention d’une volonté sincère de compréhension commune afin d'éviter les écueils, gagner du temps et bénéficier du temps opportun Kairos grâce au moteur que sont vos collaborateurs. Celui qui a besoin de livrer beaucoup, celui qui a besoin de livrer l’excellence, celui qui a besoin de confiance pour se surpasser, celui qui a besoin de cadre… dans le respect sans opportunisme. Parce que bien gérer son temps n’exclut pas de passer du bon temps, il faut s’assurer que Keyros reste une notion du temps opportun et non de celle des opportunistes.

Puis remarteler à nouveau à plusieurs mains cette vision pour qu’elle s’adapte à chaque transition ou changement important.

Sans fausse naïveté, sans forcer les choses, en acceptant quelquefois que ça puisse ne pas le faire, que les gens peuvent pour de bonnes raisons ne pas adhérer à une vision commune.

Personnellement, j’ai toujours le cœur léger quand un événement désagréable survient mais que je sais avoir tout fait pour qu’il en soit autrement. Je suis à la fin toujours très heureux de retrouver des personnes avec qui je peux accomplir de grandes choses et partager au moins une vision du monde.

Et vous quel temps êtes-vous ?

 

*L'état de flow est un état de concentration intense dans lequel une personne est totalement absorbée par une activité et où le temps semble s'écouler plus rapidement.

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