Quelle responsabilité pour l’employeur si un salarié contracte le Covid-19 ?
Le 19 mars, le Chef de l’Etat en a appelé à la « responsabilité civique des entreprises pour poursuivre leur activité lorsque cela est possible » « dans le respect des règles de sécurité sanitaire ».
I. L’employeur a une obligation de protection de la santé de ses salariés.
Il lui incombe de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». (Article L. 4121-1 et suivants du Code du travail)
Cette situation n’est pas totalement inédite.
A l’occasion de la pandémie grippale H1N1 en 2019, les autorités publiques avaient actualisé un plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale » prévoyant la mise en place d’un plan de continuité d’activité (PCA).
Le PCA prévoit d’une part des mesures d’organisation de l’activité et du travail dans l’entreprise mais également des mesures de prévention sanitaire.
A l’heure actuelle, la situation d’épidémie en raison de la propagation du Covid-19 oblige les employeurs à pratiquer une évaluation du risque professionnel afin de réduire au maximum les risques de contagion sur le lieu de travail ou à l’occasion du travail. (Article R. 4121-2 du Code du travail)
Cette évaluation doit être conduite au regard des conditions de transmission du Covid-19 qui ont été définies par le Ministre du Travail comme « un contact étroit avec une personne contaminée nécessitant un même lieu de vie, un contact direct à moins de 1m lors d’une toux, d’un éternuement ou d’une discussion de plus de 15 minutes en l’absence de mesures de protection ».
Une fois l’évaluation du risque de contamination réalisée, l’employeur doit prendre les mesures de prévention nécessaires pour maîtriser ce risque :
- Informer les salariés sur les mesures de prévention conformément aux recommandations officielles,
- Mettre à leur disposition les moyens nécessaires pour éviter la propagation du virus : savon, gel hydroalcoolique, masque le cas échéant,
- Mettre en place les mesures de distanciation sociale.
II. Quelle responsabilité de l’employeur si un salarié contracte le Covid-19 sur son lieu de travail ou à l’occasion de celui-ci ?
La première question qui se pose est de savoir si un salarié atteint par le Covid-19 pourrait déclarer une maladie professionnelle ou un accident du travail.
S’agissant de la maladie professionnelle, le Covid-19 ne fait pas l’objet d’un tableau de maladie professionnelle. La maladie ne pourrait donc être prise en charge qu’à la condition qu’il soit établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne soit le décès de celle-ci, soit une IPP d’au moins 25 %. De plus, le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles devra être saisi et rendre un avis favorable motivé.
Deux obstacles sérieux à la reconnaissance d’une maladie professionnelle apparaissent :
- D’une part, la démonstration que le salarié a effectivement contracté la maladie dans le cadre professionnel et non dans le cadre privé. Il sera sans doute très difficile pour un salarié de démontrer qu’à titre personnel, il a rigoureusement respecté toutes les mesures préconisées par les autorités pour en tirer la conséquence que seules ses conditions de travail ont pu donner lieu à une contamination,
- D’autre part, le taux d’IPP : si le salarié ne décède pas (IPP de 100%), il n’aura, en l’état des connaissances scientifiques actuelles, pas ou peu de séquelles une fois rétabli. Il semble peu probable que le taux de 25% d’IPP soit atteint.
La reconnaissance d’une maladie professionnelle au titre d’une infection au Covid-19 apparaît donc très improbable.
Une déclaration d’accident du travail aurait-elle plus de chances d’aboutir à une prise en charge ?
Pour être reconnu comme accident du travail, l’événement subi par le salarié doit présenter un caractère soudain, être survenu par le fait ou à l’occasion du travail et donner lieu à une lésion corporelle.
On voit immédiatement que le caractère de soudaineté (qui distingue notamment l’accident du travail de la maladie professionnelle) pourrait être considéré comme faisant défaut.
Toutefois, le ministère du travail rappelle que la transmission du virus se fait par un « contact étroit avec une personne déjà contaminée, par l’inhalation de gouttelettes infectieuses émises lors d’éternuements ou de toux par la personne contaminée ».
L’hypothèse d’un salarié contaminé sur le lieu de travail par un autre salarié en période d’incubation n’apparaît pas comme purement théorique.
La Cour de Cassation a en effet déjà eu l’occasion de reconnaître qu’un salarié qui, au retour d’une mission en Afrique, avait subi une crise de fièvre due au paludisme, pouvait bénéficier de la législation au titre des accidents du travail au motif que la lésion était constituée par la piqûre d’un moustique porteur de la maladie. (Cass. Soc. 17 janvier 1991, n°89-13703)
Il pourrait donc être considéré que l’inhalation de gouttelettes infectées constitue un événement soudain exigé pour la reconnaissance d’un accident du travail.
L’employeur qui recevrait une déclaration de maladie professionnelle ou une demande de déclaration d’accident du travail par un salarié atteint par le Covid-19 devra, bien entendu, émettre des réserves motivées faisant valoir notamment la cause totalement étrangère au travail ou la contamination hors du cadre professionnel.
L’enjeu de la prise en charge d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail est le risque pour l’employeur de voir le salarié engager ensuite un recours en faute inexcusable pour obtenir une indemnisation complémentaire.
Une dernière hypothèse ne peut pas être exclue. Il s’agit des salariés qui ont continué de travailler pendant la période de confinement et particulièrement ceux en contact avec le public qui feraient valoir un préjudice d’anxiété.
En effet, on sait que, le 11 septembre 2019, la Cour de Cassation a jugé que « le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété » peut solliciter une indemnisation par son employeur.
Il semble bien ici que les conditions exigées pour obtenir une indemnisation sont réunies.
Les gouttelettes contaminées pourraient constituer « la substance nocive » à laquelle le salarié se serait trouvé exposé lors d’un éternuement d’un collègue par exemple, et le caractère grave de la pathologie pourrait aussi être retenu.
Mais ce risque pourrait-il être qualifié d’élevé dans le cas où l’employeur a mis en place toutes les mesures de sécurité préconisées ? C’est sur ce point qu’un débat sérieux pourrait avoir lieu pour apprécier le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
En conclusion, les événements exceptionnels que nous vivons actuellement pour une durée encore indéterminée peuvent donner lieu à des demandes inédites de la part de salariés auxquelles il conviendra de porter une attention toute particulière.