Quelles interfaces avec l'Intelligence Artificielle ? Perrine pour AI meets product
INTRODUCTION
Qu’est ce que l’intelligence artificielle pour vous ?
Pour moi, c’est l’ensemble des techniques mises en œuvre pour qu’un logiciel ou un système soit capable d’aider l’humain dans ces taches quotidiennes, de l'accompagner dans ses réflexions, de l’aider dans ses décisions… donc systèmes-expert, machine learning, statistiques, GPS, je mets tout dans le même sac. Après, est-ce que c’est de l’intelligence et est-ce que c’est artificiel, c’est une autre question !
Quand on voit que c’est :
On peut se poser la question de l’artificiel.
Et même la question de l’intelligence, car il ne me semble pas que l’on puisse réduire l’intelligence à de la reconnaissance ou à de la logique. Enfin disons que l’humain a quelque chose en plus.
Qu’est ce que l’UX ?
Et l’UX c’est la discipline qui va permettre de créer une interface entre l’Homme et la Machine.
Une interface à la fois utilisable, intuitive, plastique, sensible… et ce pour des usagers finaux qu’il faut identifier et comprendre. Et je parle d’interface au sens large : le logiciel, certes, mais aussi le contexte dans lequel il est utilisé, environnement jour/nuit, fréquence d'utilisation, systèmes connectés, etc.
C’est une discipline qui a le vent en poupe depuis que l’on a compris que les usagers devaient être au cœur du produit imaginé et qu’un produit ne devait pas être conçu et développé par des ingénieurs pour des ingénieurs…
Car l’ingénieur, malgré toutes les qualités qu’il possède, ne peut pas être à la fois capable de se mettre à la place de l’usager, puis de concevoir et développer le produit… à moins qu’il ne soit schizophrène, sinon comment imaginer qu’il puisse concevoir quelque chose de parfaitement adapté aux besoins de l’usager mais très difficile à développer !
En fait, soit on se place du côté facilité d’usage, soit du côté facilité de développement. Si on fait les deux, le regard du développeur va forcément biaiser la conception.
ICE BREAKER
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je viens du monde de la création, du design produit et pas du design numérique à proprement parlé. J’ai été formée à dessiner des voitures, concevoir du mobilier, etc.
Mais cela fait maintenant 10 ans que je suis UX-UI designer (comme on dit maintenant) pour la société intactile DESIGN.
Nous sommes une société de prestations de service en conception d’interface pour des domaines experts comme l'aéronautique, le médical, la sécurité civile, la défense ou l’agriculture connectée par exemple.
Très peu de produits grand public donc, mais beaucoup de projets qui touchent de près ou de loin au domaine de l’intelligence artificielle.
Un bon produit d’IA, c’est quoi ?
Le GPS est un bon produit d’IA... encore que ces derniers temps, je ne sais pas ce qu’il s’est passé avec les algorithmes, mais prendre un chemin de traverse, voire rouler à travers un champ, n’a pas forcément été la meilleure option pour me faire gagner du temps… des kilomètres peut-être ;)
La reconnaissance d’écriture ou vocale marche aussi de mieux en mieux.
Non mais pour moi, un bon produit d’IA est un produit dans lequel le travail de l'IA ou les résultats que l'IA produit sont interprétés pour l’usager avec son vocabulaire, sa manière de représenter les choses.
Par exemple, ça ne m’intéresse pas que l'on me montre un réseau de neurones numériques pour me prouver que l’on a reconnu mon écriture.
Le tableau de bord à tout prix, qui est super à la mode en ce moment pour présenter des résultats, ça ne m’intéresse pas non plus. Ça parle au geeks, éventuellement au manager de projet, mais pas forcément aux usagers finaux.
Et un mauvais produit à base d’IA ?
Au cours d’un projet, j’ai été amenée à passer pas mal de temps sur les plateformes de prise d’appels pompier. Certains SDIS (Services Départementaux d’incendie et de secours) utilisaient une intelligence artificielle qui aider l’opérateur à définir la nature d’un sinistre par des mots clé et une série de questions. Le but de leur métier est évidemment d’envoyer les bons moyens au bon endroit le plus vite possible.
Cette intelligence était plutôt conçue pour des débutants, ça part d’un bon sentiment.
Mais j’ai un opérateur, 15 ans de métier, qui me raconte une prise d’appel qu’il n’oubliera jamais : une maman téléphone parce que son bébé a avalé une pièce et ne respire plus. L’opérateur tape « OBST », l’acronyme pour « Obstruction thoracique » et là, le système ne remonte rien parce qu’il fallait taper « a avalé un objet ». Et l’opérateur ne peut pas débrayer l’IA.
On se retrouve dans une situation ubuesque. L’humain cogite plus vite que la machine et la machine asservit l’humain alors que c’est une question de vie ou de mort.
Comment améliorer l’UX de ces produits d’IA ?
Je vois 2 choses.
La première, c'est la nécessité de prendre en compte l’ensemble des usagers. Car même au sein d’un même domaine ou d’une même corporation, les usagers sont pluriels et possèdent des fonctionnements cognitifs et des des niveaux d'expertises différents.
Il faut donc penser le produit pour DES usagers. À intactile, on a une règle d’or c’est le « ou bien » : le produit doit pouvoir être utilisé comme ça "ou bien" comme ça "ou bien" comme ça.
Pour certaines fonctionnalités portées par notre application Stemic (que l’on développe à intactile), il y a 3 ou 4 manières d’arriver au même résultat. Et chaque type d’usagers utilise celle qui lui correspond. Il n’a peut-être même pas conscience qu’il en existe d’autres !
La deuxième chose, c’est la nécessité de toujours laisser à l’usager la possibilité de reprendre la main sur le système, sur l’IA au besoin.
PRINCIPES
Qu’est ce que l’IA apporte de nouveau en terme d’expérience utilisateur ?
Pour moi, ça n’est pas l’IA qui va permettre de repenser les expériences utilisateur, mais l’étude des besoins, des usages… Parce que les usages pré-existent (même s’il n’existe pas forcément numériquement).
Par exemple, si votre IA permet d’analyser des images médicales et d’identifier des lésions ou les signes apparents d'une maladie… C’est innovant et c’est génial car le médecin va pouvoir se concentrer d’avantage sur la relation patient… mais avant votre IA, le médecin faisait l’examen, son expérience ou ses manuels lui permettait de poser un diagnostic. L’usage pré-existait.
Avant les moteurs de suggestion sur Netflix ou d’autres plateformes similaires, il y avait les recommandations faites par votre entourage. L’usage pré-existait.
Bien sûr, l’IA peut apporter de nouvelles modalités d’interactions. Comme la reconnaissance vocale ou d’écriture, mais il faudra toujours la challenger, la confronter aux besoin et contextes de travail des usagers.
Je vois donc l’IA comme une aide, et il faut trouver le bon canal, les bons arguments, la bonne représentation pour que cette aide soit parlante aux usagers finaux des outils.
En quoi les techniques d’IA permettent-elles de repenser les expériences utilisateur ?
Le design est le mariage de la technique et de la création, donc oui, l’UX va être influencée par la technique… en espérant que la technique soit elle-même influencée par les usages.
Il faut voir l’IA (ou le numérique plus globalement) comme un matériau. Si je suis designer produit-mobilier et que je conçois un nouvel objet, je peux choisir le matériau principal. Si je choisi le bois, je dois connaître les essences et les techniques pour le mettre en oeuvre afin d’arriver à mes fins, répondre aux besoins identifiés.
Je pense que c’est ainsi qu’il faut aborder l’IA, comme une matière qui peut être expérimentée et qui peut devenir une source d’inspiration.
Sinon vous pouvez aussi créer des produits techno-centré et essayer de les faire rentrer au chausse-pied dans des besoins usagers… Mais personnellement je ne connais pas de bon produit techno-centré.
Comment évaluer ce qui fait un bon produit d’IA ?
Le problème de l’IA c’est qu’on la juge sur ses performances statistiques (vitesse de calcul, mémoire utilisée) et ça c’est très bien pour s’auto-congratuler entre spécialiste de l'IA, mais finalement elle devrait être jugée sur sa pertinence pour l’usager, sur sa capacité à répondre à ses besoins.
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Donc je dirais qu’un bon produit d’IA est un produit qui rencontre son public parce qu’il a été conçu pour répondre à un besoin dans un contexte spatio-temporel identifié.
Quels sont les impacts de l’IA sur les méthodes de conception ?
Si je vous disais que c’est simplement une corde de plus à mon arc...
MÉTHODES
Est-ce que les méthodes de design thinking & co sont adaptées aux produits d’IA ?
Je suis assez critique quant au design thinking, quand je veux faire un peu de provoc, je dis que le design thinking c’est brasser de l’air avec des post-it… (je pense que mon patron est en train de me regarder et à certainement bondi de son siège, mais il a l’habitude avec moi)… Mais je dis ça parce que l’essence du design est plutôt de faire, d’expérimenter, pas simplement de jeter des idées.
Plus sérieusement, le design thinking est très bien en début de projet pour brainstormer, pour souder un groupe de travail, mais ça ne suffit pas.
Car l’étape suivante c’est la mise en forme, c’est abandonner les mots et être capable de mettre en image. Là est tout l’enjeu et aussi toute la difficulté.
Une UX de produit d’IA doit-elle toujours être en rupture avec les UX déjà existantes ?
Absolument pas. D’ailleurs la question d’une UX en rupture est selon moi un positionnement produit qu’il y ait IA ou pas.
Les questions seraient plutôt : Est-ce que je veux vendre une IA très pertinente dans une UX très en rupture au risque que le produit soit incompris ? Est-ce que je suis OK pour adapter mon IA et mon UX au besoin de l’usager avec pour conséquence une prise en main certainement plus immédiate ?
Quelles sont vos méthodes pour concevoir les expériences utilisateurs de vos produits d'IA ?
J’utilise depuis 10 ans une méthode de conception signée intactile DESIGN qui a été imaginée lors d’un projet en controle aérien avec l'ÉNAC et modélisée par Emmanuelle Jacques, sociologue des usages spécialisée dans l’univers des jeux vidéos.
Cette méthode se déroule en 3 temps.
L’observation d’usage
C’est un moment d’observation in situ pour le designer, un moment où on va donc sur le terrain à la rencontre des usagers, voir et comprendre leur environnement de travail, parce qu’on ne conçoit pas le même outil s’il est utilisé individuellement dans un bureau lumineux ou collectivement dans une cale de bateau bruyante. C’est un moment où on s’acculture au métier de l’autre, où l’on apprend son vocabulaire. C’est en regardant les usagers pratiquer leur métier d’aujourd’hui, en identifiant les zones de friction, en les interrogeant sur leurs difficultés, sur leurs rapports aux outils qu’ils utilisent et sur leur tâches quotidiennes que l’on va pouvoir imaginer leur métier et leurs outils de demain.
La conception participative
Nous réunissons autour d’une même table différents acteurs du projet (usagers, développeur, spécialiste en IA, marketing, chef de produit) et nous allons imaginer ensemble le dispositif de demain. Le designer se met au service du groupe, c’est un médiateur, il dessine ou réalise des maquettes de l’outil en papier. L’idée c’est de réussir à rendre créative l’équipe de travail et puisque les maquettes papier sont posées au centre de la table, les participants voient tout et peuvent interagir directement sur nos supports. J’ai l’habitude de dire qu’une séance de conception participative réussite est une séance où un pilote d’essai t’arrache ton crayon de la main pour modifier ta maquette. À l’issue de ces séances nous produisons des storyboards qui présenteront le parcours usager imaginé (une sorte de compte-rendu de réunion façon designer). Il faudra plusieurs sessions de travail pour balayer finement l’ensemble des fonctionnalités que portera le futur produit.
Le design graphique (l’UI)
Qui doit être pensé en cohérence avec l’univers métier et soutenir la conception précédemment réalisée.
Exemples de produits réalisés
Le design de l’expérience utilisateur de produits d’IA doit-il se concevoir sans connaissance de l’affordance des modèles d’IA ? Dit autrement : les designers doivent-ils connaître l’IA ? et concevoir leurs designs en fonction de cela ?
Bien-sûr, les designers doivent connaître la matière qu’ils manipulent ! Il faut avoir conscience des capacités de l’IA sinon on passe à côté de quelque chose. J’ai besoin de savoir ce que l’IA est et sera capable de faire. Maintenant, je ne crois pas qu’une connaissance technique fine soit nécessaire.
Le designer doit connaître l'IA et comprendre les besoins de l’usager, soit pour les faire se rejoindre, soit pour dépasser les usages attendus et se projeter dans un futur possible… mais dans le langage de l’usager.
Doit-on considérer l’erreur de l’IA ? Comment l’intégrer dans l’UX du produit ?
Oui, encore une fois ! Car il y a bien souvent une promesse d’efficacité au travers des produits d’IA. Et l’erreur est évidemment un frein à l’adoption du produit, surtout dans les domaines expert.
Il suffit d’aller à la rencontre des usagers ne serait-ce qu’une seule fois pour s’entendre dire, et je cite, « faites-moi un outil qui va au moins aussi vite que mon cerveau, sinon je n’en veux pas »
Et on ne peut pas forcer un usager à se servir d’une techno, alors…
Comment ferais-tu pour intégrer l’erreur dans l’UX ?
Je dirais que cela dépend des domaines… pour le grand public, penser l’IA comme un petit assistant qu’il faut former peut être une solution, mais je ne suis pas spécialiste des applications grand public.
En ce qui concerne les domaines-expert, l’erreur est beaucoup moins tolérable et mettre une IA qui n’a pas encore appris dans les mains d’un super expert, c’est un peu comme lui proposer un assistant qui serait en classe de CP, ça peut être marrant 30 minutes…
Je proposerais bien de mettre les IA à l’école jusqu’a ce que leur niveau les rendent opérationnelles. Peut-être doivent-elles se former en même temps que les humains apprenant le métier ?
Une fois opérationnelle, si elle se trompe, l’usager va avoir besoin de comprendre pourquoi cette information lui est affichée.
Sur un projet de surveillance maritime avec une IA qui remontait des alertes sur des bâtiments de surface ayant des comportements suspects, nous avions choisi d’afficher à l’opérateur le "pourquoi cette alerte“. Et nous n’affichions pas des statistiques mais bien un synoptique des déplacements projetés par l’IA sur un fond de carte, dans le vocabulaire graphique et métier de l’usager : si ces deux navires ne changent pas de cap et conserve leur vitesse actuelle, il vont se rencontrer dans une zone maritime non surveillée, c’est un probable transbordement. Visuellement sur la carte, on prolonge donc le vecteur vitesse des deux navires en pointillé pour montrer le point de transbordement identifié.
Rendre compréhensible, perceptible une situation, là est tout l’enjeu.
Par rapport aux différents types de technologies (systèmes de connaissances, statistiques…), y a-t-il des UX qui se ressemblent ?
L’IA doit se fondre dans l’usage. Et c’est l’usage qui définit l’UX. Donc oui, des UX peuvent se ressembler sans pour autant utiliser la même techno.
FORMATION
Quelles sont les compétences requises pour construire de belles UX dans des produits d’IA ?
Il faut être un bon designer, c’est-à-dire capable d’être créatif sous contrainte. Il faut être à l’écoute des besoins de chacun, ne pas avoir un égo surdimensionné, ne pas vouloir à tout prix signer son objet ou tirer le projet à soi mais bien être au service du groupe, au service du projet, des usagers.
Il ne faut pas faire semblant de s’intéresser aux usagers pour se donner bonne conscience, il faut concevoir les outils sans arrière pensée, sans espérer refiler un module déja développé pour un autre client ou un vieux template wordpress. Il faut véritablement éprouver de l'empathie pour les usagers finaux.
Et oui, il faut avoir une passion ou au moins un affect pour son matériau, pour le numérique ou l’IA dans notre cas.
Faut-il privilégier des profils experts (ex. DS, Ergonomie, etc.) ou des profils à double compétences (Dev + DS, UX + Créa, etc.) ?
Je dirais qu’il faut toujours privilégier la conception participative, c’est-à-dire un groupe d’experts de profils et formations différents. Les discussions seront riches et l’intelligence collective. Évidemment cela fonctionnera d’autant mieux si les gens sont ouverts, voire curieux des domaines des autres.
En ce qui concerne l’UX plus particulièrement, il est vrai que les profils sont multiples, le monde entier s’est mis à faire de l’UX ! ll y a mon profil que je pense vous appelez les UX créa, mais il y a aussi les UX qui viennent du monde de l’ergonomie, ceux qui viennent des sciences cognitives ou du marketing. À vous de choisir le profil qui vous correspond, sachant que si on veut de l’innovation, il faut peut-être se tourner vers ceux que l’on a formé à être innovant : les créas.
Mais, pour l’avoir testé à de nombreuses reprises, le duo créa-ergo est très intéressant en terme d’apport pour le projet.
Où trouver ces profils ? Qui former ? Comment former ? plutôt cours magistral ou compagnonnage ? Comment évaluer l’acquisition ?
À l’école des designers ;) Prendre en compte les usagers c’est-à-dire ne pas concevoir un outil que pour soi...et arrêter de se passer de designers en réalité !
CRO chez SPILEn. Je suis le responsable de l'innovation de l'entreprise. J'ai pour rôle de transformer les concepts théoriques de la recherche en brique logicielle utilisable.
3 ansUne invite de commande noire et du texte monocouleur
co fondateur BLISS ecospray
3 ansPerrine Pothier Merci de cette article et précisions L'IA n'a rien d'intelligence et tout d'artificiel. Ce qu'on appelle IA n'est ni plus ni moins qu'une capacité de calcul très rapide qui permet d'analyser une énorme quantité de données en appliquant des règles de similitudes pour trouver des correspondances beaucoup plus rapidement qu'un humain. Ceci dit, là où il faut à l'IA des milliers d'images ou de données, certes pour trouver la solution qu'on lui a demandée, l'humain peut , lui par assimilation , expérience ou réflexion se contenter de 3 images. En terme d'IHM, l'IA peut-il remplacer le comportement humain, les habitudes , le mode comportemental? Oui si on le lui a inculqué et non parce qu'il ne pourra jamais interpréter une pensée ou une réaction intuitive Donc plutôt que IA appelons cela Analyse TGV ( trés grande vitesse)
Égeektologue Cheffe de projet en Humanités numériques
3 ansÀ quand le manuel du design pour les nuls ? 🤗