QUELQUES EXPRESSIONS...part 3 et fin
...suite et fin :
"ON EST SUR Paris/un suprême de volaille..."
On connaissait déjà l'erreur, très répandue, qui consiste à se
situer géographiquement en utilisant la préposition « sur » :
« Je suis sur Bordeaux ce week-end. ». En réalité, vous serez
plutôt « à » Bordeaux. Les chances pour que vous soyez
effectivement « sur » la ville sont minces, compte tenu de la
corpulence moyenne d'un être humain (sans commune mesure
avec l'envergure d'une agglomération). Vous pouvez
éventuellement marcher « sur Rome », comme les fascistes
au temps jadis. Mais cela signifierait que vous êtes en train
d'avancer « en direction de » Rome, et non que vous êtes «
dessus ». Une curieuse velléité de conquête nous incite à
vouloir montrer à quel point nous dominons la situation. De
toute notre hauteur, et même si ce n'est pas franchement
crédible. C'est vrai pour les lieux où nous allons, ça l'est aussi
pour ce que nous avalons. Les néobistrotiers s'échinent à
annoncer qu'« aujourd'hui on sera sur un suprême de volaille
», quand il est évident qu'on ne tiendra jamais à plusieurs sur
le pauvre animal. « Tu pars sur quoi, toi ? J'étais plutôt sur les
linguine. » Les cavistes expliquent qu'on est « sur un boisé
fruité », « sur de la fraîcheur » ou « sur quelque chose d'un
peu plus robuste ». Alors qu'à l'évidence nous ne sommes
nulle part. Et plus sûrs de rien.
"CARRÉMENT"
L'emploi de ce mot remonte à la plus haute Antiquité puisque
Alain Souchon, en 1977, chantait déjà « carrément
méchant/jamais content ». Mais, à cette époque, l'adverbe
s'entend au sens plein. Comme un superlatif encore plus super
que super. Le nouvel usage de « carrément » est « carrément
» moins méchant. Tout comme « trop » (trop bien, trop nul,
trop tout), il n'ajoute rien à un vague acquiescement, sinon
une manière d'être enjouée sans trop d'effusions. On y va en
bus ? Ouais, carrément. A dire vrai, le rêve absolu serait sans
doute de ne pas prendre le bus pour ne pas partir du tout. Le
kif, comme on ne dit plus, serait de rester en place, au klm.
Comme disait le grand philosophe Brice (de Nice) : « Hé, ce
soir, je fais une fête, ça te dirait de pas venir ? » Ouais,
carrément.
"PAS DE SOUCI"
Conséquence d'une année 2015 généreuse en abominations,
nous souhaiterions qu'on nous foute la paix, si c'était possible.
Résolution pour l'avenir : éviter la baston. Est-ce pour cette
raison que nous répétons « pas de souci » à longueur de
journée, tels des perroquets lobotomisés ? A « merci », il
convient désormais de répondre non pas « je vous en prie »,
encore moins « de rien », mais bien « pas de souci ». De
même si vous êtes d'accord pour décaler une réunion (« pas
de souci »), si vous n'éprouvez pas de rancune pour celui qui
vient de vous briser le métatarse (« pas de souci »), ou si
quelqu'un vous demande si vous êtes libre pour dîner (« pas
de souci »). « Pas de souci » a terrassé « pas de problème »,
« d'accord », et même « oui ». Près de vingt ans après la
sortie de l'album No Soucy d'Ophélie Winter (visionnaire), les
trois mots règnent en maître dans nos conversations. Tel un
animal qui présente sa gorge à son adversaire pour signifier
qu'il abandonne le combat, nous brandissons « pas de souci »
comme un drapeau blanc, pour neutraliser toute agressivité
potentielle. Pour l'instant, la formule incantatoire n'est pas
follement efficace, mais elle ne mange pas de pain. Tout juste
soulève-t-elle quelques interrogations orthographiques
lorsqu'il s'agit de déterminer s'il faut mettre un s final au «
souci » de « pas de souci » - la réponse est non.
"VITE FAIT"
Quel est le contraire de vite fait, bien fait ? On se voit, « vite
fait » ? Je dois finir un petit truc, là, « vite fait », et j'arrive. «
Papa, tu veux pas me faire le pitch sur les nazis, "vite fait",
parce que j'ai une interro demain ?» Pour la jeunesse à la
coule, mais pas que, hélas, le goût pour les « fast-food » a
déteint en « fast-thought ». Manger rapide, penser rapide, il
faut faire bref. L'excellence n'est pas un objectif ; le Graal se
mesure en secondes grappillées pour passer à une autre
activité. On aimerait bien se poser, mais on préfère encore
mieux passer d'un mec (ou d'une gonzesse) à l'autre, d'une
assiette de tapas à l'autre, d'un écran à l'autre. Pour un
résultat tellement médiocre que « vite fait » a fini par devenir
un synonyme de « bof ». « Il t'a plu, le dernier James Bond ? -
Ouais, vite fait. »
"BELLE JOURNÉE"
Un funeste lobby s'est manifestement donné pour mission
d'éradiquer « bonne journée » de nos échanges quotidiens.
Non seulement nous devons subir les assauts répétés du «
bon courage », mais voilà qu'une nouvelle formule de
politesse, parfaitement gnangnan, se glisse à la fin des emails
et des SMS : « belle journée ». Quelle pression ! Si elle
pouvait être bonne, ce ne serait déjà pas si mal... S'agit-il de
mettre des fleurs dans les cheveux, d'embrasser les passants
dans la rue, de s'émouvoir d'un brin d'herbe poussant entre
les pavés ? « Douce nuit » au lieu de « bonne nuit », «
baisers » plutôt que « bisous » : ces tournures précieuses (et
un chouïa ridicules) sont sans doute destinées à transfigurer
la banalité, à ajouter une dose de délicatesse dans nos mornes
et pénibles existences. On n'en demandait pas tant. N'y a-t-il
donc aucun intermédiaire entre une journée à la mine (« bon
courage ») et la poésie à la portée des caniches (« belle
journée ») ? Si, pourtant, et au risque de se répéter : « bonne
journée ».
"Je le connais, MON Paul "
« Possessiviser » : la pratique est désormais si courante
qu'elle mériterait qu'on lui concocte un verbe. Vous l'aviez
noté ? Non seulement certains se donnent du « mon Paul » ou
du « mon Elodie » - même quand ils n'ont élevé ni cochons ni
bambins ensemble -, mais ils usent et abusent désormais du
pronom possessif dans les conversations, pour marquer leur
proximité avec une tierce personne. Exemple : « Et voilà que
je vois mon Etienne courir derrière le type, qui n'en demandait
pas tant... » Bien sûr, plus la personne dont vous parlez est
importante, plus le procédé vous couronne de lauriers
pronominaux : « possessiviser » son patron dans un déjeuner
avec des collègues vous fera passer pour un fayot, certes,
mais influent. Mieux encore (et véridique) : le faire avec le
président de la République. Ainsi l'auteur de ces lignes a-t-elle
passé un déjeuner avec un député évoquant « [son] François
», les yeux empreints d'une tendresse fraternelle... A ne pas
reproduire chez vous, sous peine de grand ridicule
Hotellerie
8 ansMonsieur Percepied, pourriez vous diffuser vos écrits dans les collèges et les lycées de France ?
Experienced and Creative Multi-Site Hotel General Manager with Global Luxury Expertise Driving Excellence and Engagement for Sustainable and Profitable Growth
8 ansBien ecrit avec beaucoup d'humour