Quelques mots sur la guerre depuis Alep, Syrie

Quelques mots sur la guerre depuis Alep, Syrie

J'essaye de fermer les yeux mais sans cesse cette sensation que le monde autour de moi s'écroule, explosions, morceaux d'immeubles qui s'envolent dans le ciel, mortiers obus bombes balles roquettes qui fusent vibrent résonnent de partout et avec une violence inouïe vous n'avez pas idée, c'est l'enfer sur terre, mon coeur se tord a chaque minute, a chaque explosion qui se rapproche ... des fois je me prépare au cas ou l'immeuble s'effondrerait sur moi ... je veux seulement vous partager quelques mots. http://wearesuperheroes.fr

 

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"Le monde entier n’a pas la moindre idée de votre existence." Ce sont des mots qui font mal mais c’est une réalité. Que connaissez-vous d'Alep sinon la guerre, les bombes, la mort et les buildings détruits dans les zones occupées par les terroristes sinon les terroristes eux-mêmes? Voyez-vous dans les médias les centaines de milliers de personnes qui vivent et survivent ici? Entendez-vous parler de la vie? Malheureusement non, ça ne se vend pas aussi bien que la mort, la vie. À tel point que chaque personne vivant dans cette ville est devenu un fantôme, personne ne connaît leur existence et c’est finalement un sentiment, très présent, celui d’été oubliés, abandonnés. C’est une situation assez étrange, d’un côté, dans nos sociétés en mal de « raisons de vivre », la guerre est quelque chose qui excite et fait parler ceux qui peuvent la regarder de loin, font rêver nos sociétés en paix dont les jeunes font tous les mêmes études avec la même incertitude de vie ou de mort, de reconnaissance ou d’oubli. Courir avec une Kalachnikov à la main à travers les décombres pour mourir en héros quelle que soit la raison qui puisse vous convaincre ou vous auto convaincre semble une vision plus sereine de la vie qui est devenue difficile à assumer en Occident. Ici les jeunes se battent pour échapper à la Kalachnikov et rêvent de pays en paix.

Quand j’entends tout ce que toutes ces jeunes ici ont à raconter ou rêvent d’accomplir, quand je regarde ces gamins qui grandissent et deviennent des hommes et des femmes, quand je vois leurs yeux s’éteindre quand on parle de leur futur, quand je vois la mort flotter autour de nous, le sol qui tremble, les mortiers dont les éclats creusent le sol, les murs, les corps de ceux qui ont le malheur d’être là au mauvais endroit au mauvais moment, quand je vois les roquettes qui volent dans le ciel, quand je vois des explosions et des champignons de fumée qui font la taille de la tour Eiffel, les gens qui courent dans la rue, quand je vois les larmes et la peur dans les yeux de ceux que j’aime ici, quand je vois l’amour et la joie dans les yeux des enfants qui vivent malgré tout et qui ne se sentent pas encore totalement concernés par ce monde qui les avale, quand je vois la force et le courage dans tant d’yeux, je me dis que ce que vit le peuple ici force au respect, à travers la guerre et tout ce qui est arrivé depuis 5 ans, … Alep est un modèle pour le monde, cette situation a fait grandir les gens, des gens dont nous avons tous beaucoup à apprendre et qu’il ne faut pas oublier. Je suis fatigué de voir tant d’âme s’envoler au sein d’une guerre qui n’a aucun sens, que personne ne comprend ou cherche à comprendre. Même si le monde entier semble ne pas connaître l’existence de toutes ces âmes, que cette guerre complique tout … on ne va pas abandonner. De nombreux groupes de jeunes se mobilisent et si vous voulez aider de quelque manière que ce soit, ensemble nous sommes plus forts. We are superheroes / http://wearesuperheroes.fr

Les combats s'intensifient chaque jour et chaque nuit ici à Alep ... depuis Midane, les premières lueurs de la lune se reflètent sur les pierres. L’immeuble d’à côté s’est en partie effondré après avoir reçu une roquette la semaine dernière. Ce ciel incroyable, des étoiles partout, des étoiles filantes, … puis des balles et des roquettes, les canons anti-aériens qui essayent d’abattre les avions Russes résonnent en même temps que leur vrombissement devenu quotidien, les arcs lumineux des explosions des bombes, ... je regarde en bas de la rue, des cadavres de voitures datant de quelques mois à quelques années hébergent des chats errants qui s’en battent la propriété. Les familles qui s’affairent et vivent dans les appartements en face, l’ampère qui coupe et se relance, plongeant dans le silence et le noir total la rue, donnant à la guerre une présence mortelle quasi impossible à dénier. 

Souvent, comme aujourd'hui, j’ai l’impression que le monde s’écroule quand les explosions retentissent, ces vibrations qui sont si profondes dans le sol, ces explosions qui résonnent la nuit et hantent mes rêves ... des fois la nuit je me réveille, je vois des visages, je cours dans la rue et j'ai cette espèce de sensation étrange quand tu cours pour la vie et que tu ressens la mort qui arrive, les moments les plus difficiles ici que j’ai fait semblant d’assumer sur l’instant, reviennent pour que je les affronte. Je dors sur la terrasse, les nuits sont courtes sans électricité et les 40-45° la journée. La tête vers le ciel, 1 obus traçant passe au-dessus avec ce sifflement si quotidien …

Cette incompréhension, la difficulté de trouver des mots et de partager cette réalité. Je l’ai écrit depuis beaucoup de pays, mais ici la guerre et la réalité de celle-ci me change … les gens qui vivent ici ont été oubliés par le monde entier, on vit plongé dans mensonge ici et au dehors, on vous raconte qu’il a des rebelles modérés qui essayent de sauver les Syriens du régime qui massacre son peuple, ceux-là même dont on peut parfois entendre la voix portée par le vent crier Allahou Akbar avant de commencer à tirer, entre autres des mortiers sur nous, civils. La même pour chaque gorge tranchée. Merde, je n’ai aucun intérêt ans cette guerre, vous devriez écouter, l’ignorance condamne.

Comment expliquer ces déjà centaines de souvenirs liés à cette volonté d’aider ici? D’aider alors que l’espoir est devenu si dur à construire, à reconstruire, à encourager. Je regarde les étoiles, je vois les obus qui volent dans le ciel et quoi que je fasse parfois je ne peux pas retenir mes larmes, je marche, j’écris pour moi même, je parle à voix haute … tant de force mais aussi tant de pertes, en allant à la rencontre des familles souvent j’ai besoin de marcher, de réfléchir. Comme partout dans le monde au-delà de seulement collecter les histoires, accompagner et partager ces souvenirs, tu essayes de comprendre, de ressentir au plus profond de tes tripes ce que ça peut faire de perdre ta soeur abattue par un sniper qui vise des civils pour le loisir, de courir en pleine nuit de ta maison et en abandonnant tout pour échapper aux terroristes et en laissant tout derrière toi, … non pas tant de penser que je puisse mourir, oui on a peur de mourir, mais en vrai on accepte, la majorité des gens ici s'en fichent pour eux-mêmes pourvu qu'ils ne soient pas handicapés, ... on a plus peur pour ceux que l’on aime. Cette incompréhension quand je regarde sur Facebook la vie des gens, cette peur d’être inapte au monde tel que je l’ai connu avant, tant de pays, tant de guerres différentes, tant d’histoires, tant de réalité. 

N'oubliez pas ceux qui vivent ici, ils existent et ne demandent qu'à vivre, grandir et voir demain ... si on le leur permet. We are superheroes

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