Quels défis pour la propriété industrielle dans le cadre de la relance ?
Dans le contexte de la Présidence Française de l’Union Européenne (PFUE) qui a débuté le 1er janvier dernier, l’INPI a organisé le 3 février 2022 une conférence internationale sur la propriété industrielle intitulée « Quels défis pour la propriété industrielle dans le cadre de la relance ». A cette occasion 4 thématiques ont été abordées successivement.
De nombreux intervenants ont salué l’initiative de l’INPI d’avoir consacré une journée entière à la propriété industrielle, ce qui envoie un signal fort.
La première problématique abordait : « La juridiction unifiée des brevets et le brevet unitaire : quels bénéfices pour les entreprises ? ». A ce titre, il convient de rappeler que le Protocole sur l’application provisoire de l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet est officiellement entré en vigueur le 19 janvier 2022 à la suite de la ratification de l’Autriche. Il ressort de cette conférence, que de nombreux praticiens du monde du brevet placent beaucoup d’attente dans cette juridiction unifiée. Selon eux, la qualité du brevet unitaire sera dépendante de la qualité des décisions rendues par cette nouvelle juridiction composée de juges expérimentés, spécialisés en brevet. Pour les entreprises, 5 avantages ressortent de ce brevet à effet unitaire : la flexibilité (le brevet unitaire vient s’ajouter au panel de choix existants), la couverture géographique en l’état actuel ce brevet produira ses effets dans 17 États signataires, la sécurité juridique accrue (recours aux langues officielles et système unifié en matière de règlement des litiges), la simplification administrative puisqu’une seule procédure au niveau européen sera nécessaire et enfin la réduction des coûts/taxes.
Des mesures transitoires seront mises en place pour offrir la possibilité aux entreprises de déposer une demande d’effet unitaire avant l’entrée en vigueur du régime, ou bien de déposer une requête afin de reporter la décision de délivrance du brevet européen à l’entrée du nouveau régime pour en bénéficier. Des questions restent en suspens notamment s’agissant du Brexit où des solutions sont en train d’être apportées.
La deuxième problématique traitait de : « Souveraineté et PME : la PI au service de la relance pour les PME » et plus précisément de savoir comment les outils de la PI peuvent rendre service aux PME. Les outils de la PI permettent de protéger les PME contre deux grandes menaces à savoir les géants de l’innovation (GAFAM) et les patents trolls, d’améliorer leur réputation, de gagner en visibilité, d’attirer des fournisseurs et d’organiser des contrats.
Si pour certaines entreprises le recours à la PI parait logique, tel n’est pas le cas pour de nombreuses PME. En effet, un panéliste a relevé que seulement 9 % des PME européennes ont déposé des brevets. Ce petit chiffre s’explique par la méconnaissance de la PI et de ses avantages. Beaucoup d’entreprises pensent encore que la PI est un système complexe et onéreux. Cependant, la PI est indispensable à toute forme d’entreprise que ce soit une start-up afin d’attirer des investisseurs et protéger son innovation, que pour les PME déjà installées qui améliorent, font évoluer leurs produits. Pour combattre ces pensées et éduquer les entreprises des solutions ont été apportées. On peut notamment citer le plan d’action mis en œuvre par la Commission Européenne en 2020 qui, a pour but d’aider financièrement les PME afin qu’elles protègent, gèrent leurs droits de PI. Mais également, la création de plateforme à disposition des PME pour les mettre en contact avec des conseils, avocats gratuitement. Les panélistes ont relevé qu’il est nécessaire que la France et l’Union Européenne évolue dans leur vision de la PI, ce besoin passe par des formations/sensibilisation des salariés des PME, la protection en amont des start-ups, des aides financières, mais aussi par des alliances, collaborations entre les différents milieux.
La troisième problématique concernait la question de savoir : « Comment valoriser des savoir-faire grâce aux indications géographiques artisanales et industrielles ? ». Le recours aux indications géographiques artisanales et industrielles permet d’une part d’éviter les usurpations, contrefaçons. Et d’autre part, cela permet le développement territorial ainsi que le tourisme, c’est cet aspect valorisation du patrimoine qui est recherché au niveau européen. En effet, beaucoup de spécialistes demandent une harmonisation au niveau européen afin d’avoir une protection plus effective des savoir-faire grâce aux indications géographiques artisanales et industrielles. Cela a donné lieu à une analyse d’impact qui a débouché sur 3 options possibles : l’élargissement de la protection actuelle, la mise en place d’un règlement européen avec la création d’un régime sus generis pour les produits artisanaux et industriels et enfin, une réforme du système des marques pour y intégrer les IG (se pose la question de la dénaturalisation des marques). La question centrale, est donc celle de savoir si on souhaite avoir une protection nationale qui se combine avec une protection européenne ou, si seulement on souhaite une protection européenne qui vient remplacer les systèmes de protection nationaux.
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Enfin, la dernière problématique avait pour trait : « La nouvelle lutte contre la contrefaçon : l’innovation au service de la défense des droits ». Si la pandémie a freiné certains secteurs d’activité, tel n’a pas été le cas pour la contrefaçon qui a augmenté de façon exponentielle depuis quelques années. Afin de lutter contre ce fléau, un seul mot d’ordre : la collaboration/coopération. Toutes les entreprises publics/privées, consommateurs doivent participer à cette lutte. Pour les consommateurs, cela passe par leur sensibilisation aux risques et problèmes que la contrefaçon représente.
Au niveau professionnel, la collaboration doit avoir lieu à tout niveau (échelle nationale comme internationale avec la présence d’IP attaché) et avec les différents acteurs des marchés que sont les titulaires des droits, les douanes qui jouent un rôle central, les partenaires en ligne et les plateformes de vente en ligne. Ces derniers, jouent un rôle décisif dans la lutte contre la contrefaçon puisque la grande majorité des produits contrefaisants sont issues de commandes provenant de l’Internet. L’objectif serait d’imposer à ces plateformes la suppression des comptes contrefacteurs, la modification de leurs CGV pour y faire figurer clairement l’interdiction à la vente de produits contrefaisants. A ce titre, des plateformes de vente en ligne ont déjà fait des démarches pour participer à la lutte contre la contrefaçon en élaborant des algorithmes basés sur des mots-clés, des modèles coupés avec des seuils de prix, des catégories de produits afin d’identifier les contrefacteurs. Une panéliste souligne le fait que le système du « notice and take down » est insuffisant. Il conviendrait de créer un programme « handshake » afin de permettre aux titulaires de droits ou à leur service providers d’avoir un compte sur ces plateformes, de signaler les annonces contrefaisantes et de bloquer les comptes en question.
La lutte contre la contrefaçon doit également faire face aux innovations en elles-mêmes, telles que les NFT et le métavers qui posent de nombreuses questions notamment concernant la loi applicable, les modes opératoires pour protéger les droits de PI attachés, questions qui restent pour l’heure en suspens.
Laurine Deschampt