Qu’est-ce qu’une forêt ?
A quelques jours de la journée internationale des #forêts (le 21 mars 2022) :
Qu’est-ce qu’une forêt ?
« The clearest way into the Universe is through a #forest #wilderness.» John Muir, 1915.
Autant de définitions que d’angles d’attaques, pour cette question en apparence simple mais dont la réponse, qui finalement aura des incidences bien au-delà de la simple sémantique, conduit nécessairement à s’interroger sur cet objet, mieux encore cette communauté, que l’on cherche à identifier.
Pour l’écologue la définition est assez simple… Surtout quand on se réfère à une forêt idéale, voire fantasmée. C’est un #écosystème, structuré par une strate arborée - donc avec des #arbres ; c’est quand même un point important ! - qui montre un haut degré de complexité ; c’est une « créature » dirait Richard Powers auteur du magistral livre l’Arbre Monde. Cette forêt est le siège d’échanges de matière et d’énergie et de relations intenses presque infinies entre vivant et non vivant, et entre vivants eux-mêmes. Vous me direz que ce n’est pas l’apanage des forêts de montrer un tel niveau de complexité ; beaucoup d’écosystèmes - à la différence des agrosystèmes - sont aussi complexes. Mais on pourra alors rétorquer que le simple fait d’abriter des arbres leur confère une structure diversifiée, liée à la stratification de l’espace, responsable du fait que la lumière, l’ombre, l’humidité, la chaleur sont réparties différemment d’un point à l’autre, verticalement, horizontalement et temporellement. La présence de plantes sciaphiles, celles qui supportent l’ombre, peut ainsi, pour certains, servir à définir ce que serait un écosystème forestier. La présence d’un sol vivant, dont le couvert forestier assure la pérennité, est aussi une composante fondamentale de l’écosystème forestier, garante de son fonctionnement et de sa résilience.
Les portes d’entrée seront alors multiples pour décrire une forêt. Mais c’est à la fois par la connaissance de la #biodiversité, de la structure, de la dynamique et du fonctionnement de cet écosystème, quatre piliers interconnectés, que pourra être réalisée une approche intégrée, certains diront holistique - il suffit de dire écologique - de cette entité forestière.
C’est paradoxalement plus complexe si on veut une définition purement administrative de la forêt, une définition statique et froide, celle qui permet les statistiques de l’Inventaire Forestier National ou encore, au niveau mondial, de la #FAO.
Car il faut bien s’entendre sur une définition malgré la diversité très grande des forêts et de la manière dont elles sont perçues.
À l’évidence, la présence d’arbres est un prérequis ! Sans arbres, pas de forêts ! Mais l’Office National des Forêts a compétence sur un certain nombre de territoires où l’arbre n’est pas présent, par exemple, des landes de haute montagne où il s’agira de préserver les populations de coqs de bruyère…
Mais du coup, si l’arbre est évidemment indispensable à une forêt, faut-il peut-être d’une part que cet arbre soit d'une taille minimale et d’autre part surtout qu’il soit représenté dans cette forêt avec une densité, un recouvrement minimal. Un seul très vieux et très beau chêne au milieu d’une prairie, ce n’est évidemment pas une forêt ; De même impossible de qualifier de forêt un peuplement assez dense de petits arbustes… Sinon de forêt en devenir ! Et il faut donc mettre des limites quand la nature, où tout est gradient, n’en a pas mis. La Communauté européenne et la FAO se sont entendues sur une définition qui étonne nombre de ceux qui la découvrent, tant elle est, tout du moins pour les Occidentaux que nous sommes, éloignée de la perception que l’on peut avoir de la forêt.
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« Une forêt est une terre ayant un couvert arboré (ou une densité de peuplement équivalente) supérieur à 10 % et une superficie supérieure à 0,5 hectare. Les arbres doivent pouvoir atteindre une hauteur minimale de cinq mètres à maturité in situ. »
C’est surtout cette densité du couvert arboré, seulement supérieure à 10 %, qui interroge. La densité correspond à la projection au sol de la couronne des arbres. Donc 10 % c’est suffisant pour définir une forêt. On est loin de la forêt sombre et dense dans laquelle s’aventure le Petit Chaperon Rouge ou encore de la forêt tropicale sur la canopée de laquelle s’asseyait le radeau des cimes.
Mais c’est ainsi et, à la réflexion, cela permet d’intégrer un tas de formations végétales arborées dans lequel l’arbre joue un rôle majeur sans pour autant occuper tout l’espace. C’est le cas d’un certain nombre de forêts du bassin #Méditerranéen, qui, soit parce que le climat ne le permet pas, soit parce que l’homme en a décidé autrement, ne présentent qu’une densité d’arbres assez faible, laissant des plages de sol nu importantes, propices à l’épanouissement de plantes héliophiles. Pierre Quezel et Marcel Barbero, qui nous ont récemment quittés, les qualifiaient, pour les moins denses, de formations pré-steppiques. Dans ce cas, ces fameuses plantes sciaphiles, qui semblent définir une structure forestière, peuvent simplement se trouver sous la couronne de l’arbre et ainsi la forêt a un tout autre visage avec la cohabitation de deux milieux bien différents mais indissociables. Sous la couronne des arbres, à l’ombre, règne une atmosphère bien particulière, avec un sol très différent, plus riche en nutriments, plus humifère, parfois plus humide. Ce sol particulier strictement limité à la couronne des arbres sera dans certains cas l’unique siège de la régénération de ces arbres. Il abritera une faune et une flore spécifiques que certains utilisent pour définir ce qu’est une forêt. En dehors, c’est un autre monde, un monde de lumière, plus minéral aussi. Mais si, sous l’arbre, c’est plus riche, c’est aussi grâce au milieu hors couvert, car les racines des arbres vont aller prospecter bien au-delà de la projection de leur couronne, vont prélever eau et minéraux dans cette zone sans arbres et les concentrer sous l’arbre quand la litière se décomposera. Les animaux ont aussi pâturé tout l’espace, mais, c’est sous les arbres, où ils sont abrités du soleil, qu’ils enrichissent le sol, par leurs fèces. Les systèmes agro-sylvo-pastoraux procèdent de ce fonctionnement.
La hauteur minimale des arbres, cinq mètres, c’est plus évident ; c’est déjà une hauteur raisonnable, presque un immeuble de deux étages. Mais modeste en comparaison des cathédrales végétales de 40 m de haut. La diversité des forêts est immense ; il n’y a pas qu’un seul type de forêt comme il n’y a pas qu’une seule recette de cassoulet.
Finalement, ces définitions ont quand même leur importance. Les médias se sont fait l’écho, il y a deux ou trois ans, d’une augmentation spectaculaire des superficies forestières en Afrique… C’était avant tout lié à un changement dans la définition de celles-ci. On avait intégré dans les statistiques des formations laissées auparavant de côté du fait de la densité trop faible du couvert. La force de l’Administration avec un grand A, capable de faire pousser des forêts plus vite que dame Nature !
Enfin, il y a aussi la forêt des forestiers, celle des sylviculteurs, la forêt productrice de bois. Ces forestiers qui doivent aujourd’hui intégrer à la fois, le caractère multifonctionnel de ces forêts et l’ensemble des services écosystémiques qu’elles rendent, dont la fixation de carbone, mais aussi le changement climatique ... et qui doivent faire face en même temps à cette idée de « l’arbre sensible » prévenant ses congénères de l’arrivée d’une tronçonneuse.
#internationaldayofforests
Extrait de « Des arbres et des Forêts », T. Gauquelin, L’Harmattan, 2021 https://lnkd.in/dcBDYiZ
professeur, attaché honoraire du Muséum National d'Histoire Naturelle
2 ansMarcel Bournerias parlait de pré-bois pour désigner des formations semi-ouvertes, d'une richesse floristique exceptionnelle, où l'arbre jouait un rôle essentiel par sa fonction d'abri pour les espèces sciaphiles mais où la lumière favorisait les espèces héliophiles. Ombre et lumière ensemble, c'est génial pour la flore. En France ce type de milieu est malheureusement en disparition car il n'a pas d'existence légale, c'était en général sur des terres en jachère ou soumises à une très faible densité de pâturage. Dans le Jura suisse, on a les pâturages boisés, à qui on a fort heureusement accordé un statut légal permettant leur maintien dans le paysage.