A quoi sert une entreprise ?
"Entreprise à mission", "raison d'être"... La question du sens s'invite en entreprise. (La Croix, 30 avril 2019)
Les entreprises du CAC 40 commencent à définir leur « raison d’être »
Par Éric Larpin, le 30/4/2019 à 07h04
La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) vient de créer le statut d’« entreprise à mission ». Opportunité pour les entreprises, il n’apparaît pas assez exigeant aux yeux des ONG.
À l’occasion de l’assemblée générale de ses actionnaires, Atos va devenir mardi 30 avril la première entreprise du CAC 40 à intégrer une « raison d’être » dans ses statuts. Cette grande société informatique entend ainsi réaffirmer à la fois le sens qu’elle donne à ses activités et la responsabilité qu’elle a vis-à-vis de ses clients, fournisseurs et actionnaires.
Sa « raison d’être » tient en quelques mots : « Façonner l’espace informationnel ». Elle se décline en objectifs généraux, tels que le « développement de l’éducation et de la connaissance » ou « l’accompagnement à la transformation numérique ».
« Une entreprise peut fonctionner sans “raison d’être” et n’avoir que des objectifs financiers. Ce n’est pas notre cas, explique Alexandre Menais, secrétaire général d’Atos. Atos veut agir dans l’intérêt de la société dans son ensemble. La raison d’être est l’aboutissement de notre politique au service de l’inclusion et du développement durable. »
L’irruption de la « raison d’être » dans le monde des entreprises est le signe qu’elles ne peuvent plus se désintéresser de leur environnement humain sans dommage pour elles et pour le reste de la société. Cette possibilité offerte aux entreprises de faire figurer une « raison d’être » dans leurs statuts a été votée dans la loi Pacte, récemment adoptée au Parlement. Mais beaucoup d’entreprises, comme Atos, y réfléchissaient depuis un moment.
Un véritable engouement
Veolia vient également de se doter d’une raison d’être (« Ressourcer le monde »), sans toutefois aller jusqu’à la faire figurer dans ses statuts. « Pour nous, il s’agit de mettre en lumière l’utilité de l’entreprise au service de toutes ces parties prenantes, souligne Antoine Frérot, PDG de Veolia. C’est parce qu’elle est utile qu’elle est prospère et non l’inverse. Notre raison sera notamment mise en œuvre par le biais d’objectifs sociaux, sociétaux ou environnementaux auxquels sera apporté le même degré d’exigence qu’aux objectifs financiers. »
Même si ces démarches ont parfois des allures de slogans publicitaires, elles suscitent un véritable engouement de la part des grandes entreprises. Michelin l’a fait et Danone y songe. Sa filiale américaine a le statut de B Corp (Benefit Corporation), qui répond à des exigences sociétales et environnementales, de gouvernance ainsi que de transparence envers le public.
Au travers de la « raison d’être », les grandes entreprises peuvent en effet impliquer leurs parties prenantes, ancrer leurs actions dans la durée et redorer leur image. Ce n’est pas négligeable non plus pour les fonds qui investissent dans ces sociétés et qui sont de plus en plus sensibles aux performances extra-financières (sociales ou environnementales) de ces grandes sociétés.
Veolia va se doter d’une "raison d’être"
Forme plus aboutie d’« entreprise à mission »
Cet engagement des entreprises au service de la communauté a démarré avec des PME, comme Nutriset (compléments alimentaires destinés au pays en développement) ou Camif.fr (vente par correspondance en circuit court de meubles et décoration fabriqués en France). Et parfois sous la forme encore plus aboutie d’« entreprise à mission ». « En adoptant une mission, nous avons simplement mis nos objectifs économiques en cohérence avec nos buts sociaux, affirme Mathieu Nebra, fondateur d’OpenClassRooms, une entreprise de cours en ligne de 170 salariés. Rendre l’éducation accessible, notre mission, cela conforte notre ambition de trouver un emploi à un million de personnes d’ici à 2025. »
La mission, telle que définie dans la loi Pacte, cumule d’autres exigences pour les entreprises par rapport à la simple raison d’être : un comité des « parties prenantes » doit être mis en place dans l’entreprise et la mission doit être vérifiée par un certificateur indépendant.
La loi Pacte va confirmer que les entreprises ont un rôle social
Peu iront jusqu’à modifier leurs statuts
Ce qui fait dire à Alissa Pelatan, avocate spécialisée dans le droit des entreprises sociales : « les grandes sociétés, comme Atos, seront peu nombreuses à aller jusqu’à modifier leurs statuts, car elles risqueraient la faute de gestion si elles ne remplissaient pas leur mission. Et il y a même des risques de “missionwashing”: de déclarations qu’on a une mission, sans qu’il y ait de réelles actions au service de la collectivité. »
De son côté Juliette Renaud, chargée de campagne Régulation des multinationales aux Amis de la Terre, estime que la raison d’être et les entreprises à mission existent déjà : « le statut d’“entreprise à mission” est une fausse bonne idée qui va créer de la confusion avec les entreprises déjà engagées, en particulier les entreprises de l’économie solidaire, qui font attention depuis longtemps à leurs impacts sociaux et environnementaux. »
Éric Larpin