A quoi sert vraiment l’intégration d’Uber dans l’app SNCF ?
Le 15 juin 2020, la SNCF et Uber annonçait un partenariat inédit : les utilisateurs de l’application SNCF pourront désormais réserver un trajet Uber directement depuis celle-ci, sans créer de compte Uber. D’après le Figaro, il s’agit de la première fois qu’Uber accepte que son service soit utilisé sans création de compte, presque une faveur semble-t-il. La veille, Emmanuel Macron exprimait sa volonté forte d’indépendance et même de souveraineté de la France dans les secteurs stratégiques, comme peuvent l’être le numérique et les transports.
A première vue, cette intégration s’inscrit dans la grande tendance du « MaaS », le Mobility-as-a-Service, qui fait l’unanimité dans l’industrie depuis un ou deux ans. L’objectif est de faire tomber les barrières à l’utilisation des nombreux services de mobilité, anciens ou nouveaux, et permettre à chacun de les combiner librement et efficacement. Cela se traduit généralement par une « application MaaS », au carrefour de toutes ces mobilités, donnant accès avec un compte unique à de nombreux modes de transport accompagnés d’un calcul d’itinéraires pour faire les bons choix. Un MaaS vraiment abouti serait la solution ultime au besoin de se passer de voiture.
C’est exactement l’ambition de la SNCF. Intégrer VTC et information voyageur pour le train dans une même application devrait permettre de planifier des trajets « porte-à-porte » et de faciliter la vie des voyageurs. Mais est-ce de cela qu’il s’agit ici ?
Imaginons à qui cette nouvelle fonctionnalité peut s’adresser :
- Les utilisateurs existants d’Uber ne vont pas commander un trajet via l’application SNCF. Réserver sur l’application Uber ne prend certainement pas plus de temps et ils sont habitués à l’interface et au service. Ce n’est d’ailleurs pas ce qui intéresse Uber car la compagnie américaine préfère naturellement mettre en avant son application, qui lui fournit de meilleures données, plus de chances de fidéliser, peut-être même une meilleure commission.
- Ceux qui ne sont pas utilisateurs de VTC et ne font confiance qu’au taxi, continueront de réserver ou d’attendre un taxi. L’intégration peut intéresser Uber pour son effet « placement de produit », la publicité de son service par une institution française de la mobilité leur donne du crédit. C’est peut-être une des principales raisons pour Uber de signer ce partenariat, alors que depuis l’arrivée de Dara Khosrowshahi à sa tête, l’entreprise veut se rapprocher des villes et nettoyer les traces qu’a laissées l’agressivité du fondateur Travis Kalanick.
- Ceux qui utilisent des applications VTC concurrentes : le cœur de cible est là. Ce sont des utilisateurs habitués au principe du service VTC, et qui sans cette intégration, utiliseraient Kapten, Marcel ou encore Snapcar. La promesse de réserver plus facilement leur VTC peut les attirer. Mais surtout, alors qu’on leur promet qu’ils ne créeront pas de compte, ils auront la sensation de ne pas faire d’infidélité à leur service préféré. Pour Uber, c’est une occasion de montrer sa supériorité vis-à-vis de ses concurrents et attirer ces utilisateurs définitivement sur sa plateforme.
L’intérêt d’Uber semble limpide (n’en déplaise au Figaro qui parle de « motivations peu claires »), c’est un coup de boutoir de plus contre ses concurrents bien plus fragiles et un pas de plus vers une situation de monopole. Ceux qui n’utilisent pas Uber aujourd’hui ont souvent fait ce choix presque par patriotisme : Marcel et Kapten font tous deux beaucoup de cas dans leur communication du fait qu’ils sont français et paient leurs impôts en France. Ce sont ces irréductibles qu’Uber convoite. Pour Uber, signer un partenariat avec la SNCF, c’est une véritable prise de guerre.
D’ailleurs, peut-on reprocher à la SNCF de ne pas avoir essayé ? Cela fait longtemps qu’ils cherchent à investir sur l’offre française de VTC : il y a eu le rachat de LeCab et le lancement de LeCab Plus, qui ont tourné au fiasco, la création d’un service « Porte-à-porte » entièrement réalisé en interne, puis la mise en place en priorité d’intégrations avec Karhoo (basé au UK et en France, appartient à Renault-Nissan) pour agréger l’offre de taxis, Snapcar ou encore Alpha Taxis. Elle n’a pas vraiment manqué de patriotisme, au moins en principe. Aujourd’hui, la SNCF se doit d’éviter de ne promouvoir qu’un service, en agrégeant l’offre de VTC concurrents pour ses utilisateurs et comparer les prix, le temps d’attente et l’empreinte CO2. Elle est alors également en position de réclamer une commission aux services VTC et maximise la valeur pour ses utilisateurs. Mais lors d’un rapide test personnel pour un trajet Paris intramuros depuis Gare de l’Est, 5 offres VTC sont proposées : UberX, Uber Green, Uber Comfort, Uber Van et Uber Berline. Chouette, j’ai le choix ! Si d’autres services VTC sont interrogés, ils sont noyés dans la disponibilité écrasante d’Uber.
Ce partenariat ne semble pas servir les intérêts de long terme de la SNCF. Tout d’abord parce qu’aider Uber à atteindre une position monopolistique ne sert personne, ni les clients, ni la SNCF, ni aucune autre entité en France. Ensuite parce que le principe d’Uber reste, et restera, d’attirer les utilisateurs sur son application, où il sait comment les fidéliser. Enfin, cette intégration ne concerne que les voyageurs d’une poignée de villes en France – les plus grosses, certes – mais celles où il n’y a pas de problème de mobilité. Là où le « MaaS » est vraiment utile, c’est quand il permet à des utilisateurs de découvrir des services, de comprendre comment et où ils fonctionnent, de voir qu’ils sont accessibles en 1 clic (autant de choses que personne n’a besoin d’apprendre sur Uber). La SNCF a déjà commencé à intégrer des services de billettique ou d’information de divers réseaux de transport en commun comme à Strasbourg, permettant à un visiteur occasionnel de prendre les transports en commun plutôt que demander qu’on vienne le chercher en voiture.
La SNCF a déjà engagé des intégrations de divers services de mobilité moins connus du grand public, espérons qu’elle pourra en réaliser un maximum pour le bonheur des voyageurs. Uber, quant à eux, n’auront pas attendu un jour après le discours d’Emmanuel Macron pour nous rappeler que nous devrons payer cher notre « indépendance » ou notre « souveraineté » dans le domaine des transports.