Qu'y a-t-il de commun dans les négociations entre Theresa May et l'Union Européenne, l'UE et Donald Trump, Emmanuel Macron et les gilets jaunes ?
L’approche de Harvard appelée « La stratégie des gains mutuels », nous enseigne qu’une des conditions clés pour la réussite de toute négociation est de disposer, avant même de la démarrer, d’une bonne solution de rechange à un accord négocié (MESORE). En d’autres termes, avoir en main une solution viable satisfaisant nos intérêts et que nous pouvons mettre en oeuvre unilatéralement en cas de désaccord . Il existe en fait trois types de MESORE : porte de sortie, coup de poing, tierce partie.
Or, que ce soit le Royaume-Uni dans les négociations pour le Brexit, l’Europe face à l’extraterritorialité de la justice américaine imposée à ses entreprises pour leurs affaires avec l’Iran ou la crise inédite des gilets jaunes qui s’éternise malgré les ouvertures du gouvernement, ces situations ont un dénominateur commun : la faiblesse ou l’absence d’une MESORE solide.
La négociation du Brexit
Dans la négociation marathon concernant le Brexit qui a duré plus de deux ans et conduite côté UE par Michel Barnier (appuyé par une équipe d’une soixantaine de personnes), la frontière avec l’Irlande du Nord fut l’ultime point de blocage. La sortie a été trouvée grâce à un mécanisme judicieux appelé « Backstop » (filet de sécurité) par lequel l’ensemble du Royaume-Uni reste membre de l’union douanière européenne. Or, cette solution hérisse les opposants à l’accord et a entravé sa ratification.
Or, pour le Royaume-Uni, une sortie de l’UE sans accord le 29 mars, parmi bien d’autres conséquences négatives, équivaudrait au retour d’une frontière en dur avec des vrais contrôles douaniers entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Ceci équivaudrait à un risque énorme de remise en question de l’accord historique de paix en Irlande du Nord dit du Vendredi Saint. Il fut négocié il y a plus de vingt ans par l’entremise de Tony Blair entre les unionistes protestants et les républicains catholiques. Un « No deal » renflammerait inexorablement les tensions communautaires. Bien que théoriquement concevable notamment par les Pro Brexiter, il constitue en réalité une PISORE : la Pire Solution de Rechange à un accord négocié. En l’état actuel des choses, personne ne sait aujourd’hui quelle solution négociée pourrait être acceptable par les deux parties.
L'extraterritorialisation du droit américain
Les accords économiques de Bretton Woods signés et acceptés par les Etats-Unis en 1944 ont organisé le système monétaire mondial autour du dollar américain. Dorénavant, toutes les monnaies seront définies en dollars et seul le dollar sera défini en or. Son objectif était de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la guerre. La règle implicite définie était que les pays ne demandent pas la conversion des dollars qui entrent chez eux en or et les américains maintiennent la valeur de leur monnaie en évitant tout dérapage incontrôlé. En contrepartie, ce sont leurs lois nationales qui s’appliquent dans les transactions internationales qu’ils effectuent. Dans les faits, les américains ont fait marcher à fond "la planche à billet" et supprimé unilatéralement la convertibilité-or en 1971.
Or, depuis une quinzaine d’années, l’extraterritorialisation du droit américain ne reconnaît plus la souveraineté des lois nationales dès que les transactions avec des pays sous embargo américain (l’Iran, Cuba, le Soudan) se font en dollars. Malheureusement il est encore difficile de s'en passer dans le commerce international. Du coup, il y a eu des exemples retentissants de sanctions très sévères infligées à l’encontre d’entreprises européennes (BNP Paribas, Crédit Agricole, Deutsh Bank, Alstom …). En ne respectent pas leurs engagements et en obligeant les entreprises européennes à se soumettre à la loi américaine, les USA démontre une volonté hégémonique et de toute-puissance sur le monde sur le plan économique. Ceci est le signe d’une arrogance scandaleuse concernant les pays concernés qui, de surcroît, sont des alliés.
Pourquoi l’Europe est impuissante à protéger ses entreprises ? Là aussi la raison est jusqu’aujourd’hui dans l’incapacité à trouver une MESORE lui permettant de contourner la justice américaine. Conséquences, se pliant aux exigences des États-Unis, toutes les sociétés européennes dont des champions français (PSA, Renault…) ont stoppé leurs activités en Iran pour éviter d’être exclu du marché américain.
Heureusement, cette question a été prise à bras le corps par l’Europe qui cherche depuis des mois à contournerle diktat américain. Pour améliorer leur MESORE et ne plus être démunis, les européens envisagent de créer une structure ad hoc appelé SPV ou « véhicule spécial ». Ce mécanisme financier, encore à finaliser, permettrait aux entreprises européennes de maintenir leurs échanges commerciaux avec l’Iran tout en évitant les sanctions américaines. Comment ? Le SPV « servirait comme dans un système de troc d’intermédiaire entre les entreprises européennes et l’Iran ». Si ce système aboutit, il constituera un super exemple d’une Solution de Rechange « porte de sortie ».
La crise des gilets jaunes
Dans la crise des « gilets jaunes », ce qui est frappant c’est le soutien dont ce mouvement a bénéficié depuis deux mois de la part des français. Les revendications initiales (suppression de la taxe sur les carburants, accroissement du pouvoir d’achat, suppression de l’augmentation de la CSG pour les retraités gagnant plus de 1.300€) avaient été accueilli avec compréhension puis approbation de la part d’une large majorité des citoyens. Selon les moments et les sondages, cette sympathie s’est située entre 51 et 75 %. Par ailleurs, malgré l’évolution dans les revendications devenues pour certaines plus qu’extravagantes (démission du Président, du premier ministre, dissolution de l’assemblée, et j’en passe…) et surtout les violences et les outrances qui ont accompagnées les manifestations, il n’y a pas eu un retournement massif ni un rejet de la part des citoyens.
Donc, contrairement au conflit engendré par la réforme de la SNCF où l’opinion publique a montré une compréhension à 75% en faveur du gouvernement ce qui lui a permis de tenir bon, ce dernier n’a pas bénéficié pour cette crise de l’allié de taille que constitue la majorité dite silencieuse. Quand s’y rajoute la difficulté ou le refus par les différentes mouvances des « gilets jaunes » de désigner des représentants capables d’être des partenaires crédibles de la négociation proposée (avec retard, certes) par le gouvernement, il est facile de comprendre pourquoi ce dernier a semblé déboussolé et plongé dans un embarras total.
Pour le dire autrement, d’un côté le gouvernement a été privé de la MESORE dite « tierce partie » (constituée par le reste des citoyens) qui aurait légitimé ses décisions. De l’autre côté, alors qu’il dispose d’un autre type de MESORE appelé « coup de poing » grâce à la possibilité de recourir aux forces de l’ordre pour assurer la sécurité des personnes, des biens et de la loi, il se doit de le faire avec beaucoup de discernement (malgré les provocations et la violence des casseurs en face). En effet, il fallait à tout prix éviter tout drame qui pourrait ensuite lui être reproché. Or, malgré « la retenue » dont les forces de l’ordre ont fait globalement preuve, certains « angéliques » trouvent à redire et n’hésitent pas à taxer le gouvernement et le Président Emmanuel Macron de répressifs.
Le « Grand Débat » offre certainement la meilleure voie de sortie pour le gouvernement même si la complexité du dépouillement rend l’issue incertaine quand aux attentes qui seront exprimées. E. Macron a toutefois évité le piège de donner les réponses avant la fin de cette consultation originale et inédite dans sa forme.
En conclusion
Ces trois exemples montrent indiscutablement la pertinence de la théorie sur la gestion des conflits par la négociation du Centre de Négociation à Harvard et qui est diffusée en France depuis plus de 35 ans par le Centre Européen de la Négociation. Pour avoir du pouvoir dans une négociation, il est indispensable avant de la démarrer d’identifier et d’améliorer en permanence sa MESORE à un accord négocié. Pour avoir plus de chance de réussite, il faut prévoir et anticiper l’échec. C’est cela le paradoxe.
Very interesting and insightful article! I totally agree with this MESORE analysis. And I would add that in all 3 instances the parties never expected things to go as far as they did - no one thought BREXIT would win, no one (including Trump himself) thought Trump would win and no one thought the gilet jaunes would be so numerous or continue for so long.
Coach - Psycho-Consultante - Formatrice chez Consult'Action
5 ansMerci Michel pour cet éclairage de l'actualité en matière de négociation ! En effet, mobilisation après mobilisation, les gilets jaunes sont toujours là, bravant la pluie, la neige et le gouvernement. Peut-on négocier avec un groupe n’ayant pas de vrai porte-parole ? Malgré le fait qu’il n’y ait pas de leader charismatique et identifié pour aller de chaîne en chaîne plaider leur cause, les gilets jaunes se font entendre et mieux encore, ont la sympathie de beaucoup puisque selon un sondage YouGov diffusé jeudi passé, près de deux Français sur trois (64 %) continuent de « soutenir » le mouvement des gilets jaunes, soit deux points de plus en un mois, et 77 % (+3) jugent leur mobilisation justifiée. La force des gilets jaunes c'est aussi : 1- D’agir selon leurs valeurs profondes 2- De rentrer en empathie avec le peuple ( en condensant des revendications diverses et variées où tout le monde peut se retrouver) « On doit créer les conditions du dialogue », a affirmé François de Rugy. Justement, quelles sont ces conditions ? A-t-on un objectif commun, déjà au sein même des gilets jaunes ? Quels sont les intérêts communs entre les différents partenaires de la négociation ? Y-a-t-il eu une écoute, active si possible, des besoins de chaque partie ? Où est le questionnement qui montre un réel intérêt pour les valeurs qui animent les gilets jaunes ? A-t-on cherché à créer ensemble des options créatives pour avancer ? On l’a bien vu, les modes de négociation traditionnels, plutôt descendants, sont peu efficaces face à ce mouvement original par sa diffusion, son autogestion, ses revendications diffuses, sa conviction profonde, et son refus de rentrer justement dans le moule classique du mécanisme de dialogue social avec les ministères. Quand j’entends Benjamin Griveaux affirmer la volonté du gouvernement de poursuivre sa dynamique de réforme : «Nous devons aller sans doute encore plus loin dans le changement, être beaucoup plus radicaux dans nos méthodes, dans nos manières de faire, dans notre style, nous devons aller au bout de l'envie de changement des Français car c'est cette envie qui nous a portés au pouvoir», je me dis qu’il serait intéressant de voir comment une médiation, du Centre Européen de la Négociation, par exemple, qui reste l’expert en matière de négociation raisonnée, pourrait changer la donne, car l’équation ici est complexe : ce qui peut sembler une faiblesse au départ, comme le manque de leadership et de structure, devient un vrai atout d’adaptation pour les gilets jaunes qui sont de plus en plus insaisissables !
Merci Michel pour ces articles de fond, toujours appuyés sur une analyse pertinente et des outils de lecture éclairants ! De quoi alimenter les débats dans nos formations à la négociation
Président-fondateur d’ALTHEO
5 ansJe suggère à nos dirigeants une lecture appropriée : "Comment négocier avec les gens difficiles", de William Ury (Toujours l'école de Harvard !).
Président
5 ansOui Patrick la MESORE est même la pierre angulaire de toute préparation. Refuser d’anticiper l’échec, fut-ce par superstition, est le plus sûr moyen de le trouver sur son chemin.