Réforme de l'ENA : diversifier pour refonder notre méritocratie

Réforme de l'ENA : diversifier pour refonder notre méritocratie

Ce matin, Frédéric Thiriez a dévoilé ses propositions pour supprimer l'ENA et diversifier le recrutement de la haute fonction publique afin qu'elle soit plus représentative de la société.

On entend déjà les cris de eux qui s'offusquent de ces solutions de discrimination positive telles que la mise en place d'un concours spécifique ou de bonus sur critères sociaux. Il s'agirait d'importations frelatées venues d'outre-atlantique, de solutions qui sont en réalité une entorse fondamentale à nos principes méritocratiques. Ces critiques, on les entendait déjà quand Richard Descoings a courageusement ouvert le recrutement de Sciences Po il y a plus de 15 ans.

Mais de quoi parle-ton en France quand on parle de méritocratie ? L'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen en est le fondement historique. Il dispose : "Tous les Citoyens (...) sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents." Les capacités, les talents, les vertus, voilà ce qu'il s'agit de reconnaître dans une vraie méritocratie ! La question n'est pas de savoir si l'on discrimine car c'est l'essence même du concours que de discriminer, de sélectionner. La question est de savoir comment on discrimine, autrement dit qu'est-ce que le mérite, comment sont évaluées ces fameux capacités, talents et vertus.

Or, tous les rapports d'évaluation menés sur les inégalités scolaires - cf. le rapport 2016 du CNESCO - le montrent : notre système accentue fortement les inégalités sociales. Ainsi, selon leur origine sociale, les étudiants ne sont pas préparés dans les mêmes conditions. Il y a là une inégalité de fait majeure et c'est elle qui fausse les résultats aux concours. Les concours tirent en effet leur légitimité de l'égalité des conditions dans lesquelles concourent les candidats. Si tel n'est pas le cas, le concours devient de fait discriminatoire. Et c'est le cas : on ne peut séparer les conditions de préparation et la sélection.

Imaginez vous un instant membre d'un jury d'admission. Nicolas, fils de cadres né et éduqué à Paris dans le 5ème arrondissement a eu 10,5 de moyenne au concours. Nadia, mère femme de ménage et père sans emploi, ayant fait sa scolarité à la Courneuve a obtenu 9,75 de moyenne au même concours. Qui a plus de mérite que l'autre ? Qui a le plus fait preuve de plus de capacités, d'ambition, de courage, de résilience, de capacité d'adaptation, d'audace ? Comment ignorer que Nadia aurait largement dépassé Nicolas si elle avait suivi une scolarité dans les mêmes établissements ? Comment ne pas voir que, malgré une moyenne un peu plus faible aujourd'hui, elle montrera demain de plus grands talents, de plus grandes vertus ? Au vu de son parcours, la moindre des décences méritocratiques serait de lui laisser le bénéfice du doute.

Il est donc juste de dire que la façon dont sont préparés et organisés les concours aujourd'hui est méritocratique : à capacités, talents et vertus équivalents, les jeunes n'ont pas les mêmes chances d'accès aux concours, y compris ceux de la fonction publique.

La question ne devrait donc pas être de savoir comment favoriser la diversité sans trop contrarier le principe d'égalité devant le concours comme semblent vouloir l'interpréter le Conseil d'Etat ou le Conseil constitutionnel. La question devrait être de savoir comment faire en sorte que les modalités de sélection des concours permettent de compenser ces inégalités de fait pour rétablir la méritocratie, Notre méritocratie républicaine !

Dans notre pays, aujourd'hui, il n'y a pas de choix à faire entre ouverture sociale et méritocratie. Au contraire, c'est en favorisant l'accès des jeunes des classes moyennes et populaires que nous compenserons les inégalités scolaires et rétablirons notre méritocratie. Ce qui peut être un peu perdu en termes de "niveau" - défini dans son acception la plus restrictive - sera infiniment compensé par les gains de capacités, de talents et de vertus dont doivent faire preuve ces jeunes pour arriver à peu près au même niveau au concours.

Que cela n'empêche pas de travailler à la réduction des inégalités scolaires. Article 1 s'y emploie depuis 15 ans, avec plus de 100 000 jeunes accompagnés cette année. Mais il faut une réponse rapide et forte qui reconnaisse l'importance et l'urgence de redresser notre méritocratie.

Maya Atig

Directrice générale de la Fédération bancaire française

5 ans

Bien dit

Mathieu DARNE

Transformation / Financing / Growth

5 ans

Bravo à toute l'équipe d'Article 1. Magnifique projet. Continuez!

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