Réforme des Chèques en Tunisie : Vers une Révolution Économique ou un Choc Inflationniste ?
Sans trop naviguer dans les dispositions de La loi N° 41-2024, promulguée le 2 août 2024, modifiant et complétant certaines dispositions du code de commerce et portant principalement sur la nouvelle réglementation des chèques, focalisons-nous sur les aspects à forte et large influence macroéconomiques directe, à savoir : 1- L’interdiction des chèques antidatés et 2- La réduction des sanctions liées aux chèques impayés.
1- En matière d’agrégats monétaires et Economiques :
Les chèques antidatés constituaient une forme de « Financement inter-entreprises » qui ne figurait pas dans les statistiques monétaires officielles. Cette création monétaire hors bilan, permettait aux entreprises (surtout les PME) ainsi qu’aux ménages, de maintenir des niveaux de liquidité sans que la BCT ait à intervenir directement par ses opérations de régulation de la masse monétaire.
Il en découle, sous hypothèse improbable que tout besoin sera garanti et combler par les institutions bancaires, que les orientations des PME et des ménages se dirigeront davantage vers les crédits bancaires pour faire face à leurs BFR ;
Une Telle augmentation de la demande de crédit, sera de nature à pousser la BCT à ajuster ses politiques de refinancement pour compenser le manque de liquidité qui circulait auparavant via les chèques. A cet effet la BCT qui sera amener à injecter plus de liquidité sera elle en mesure d’altérer les agrégats monétaires et la stabilité du système financier ?
Par ailleurs, l’élimination des crédits informel via les chèques à échoir comme mécanisme de garantie, et l’accroissement des demandes des crédits bancaires impactera les taux d’intérêts par une pression haussière qui se répercutera sur les structures des couts des productions, des biens et des services et alimentera l’inflation assez rapidement.
2- En matière de resserrement des conditions de liquidité :
La normalisation des pratiques commerciales par la suppression définitive des chèques à échoir, entrainera, sans doute, un resserrement des liquidités dans l’économie, du fait que les entreprises en particulier les PME et les ménages qui s’appuyaient sur les chèques antidatés comme instrument de crédit informel, pour préserver un certain équilibre de leurs FDR, vont se retrouver face à des besoins de trésorerie plus immédiats.
Le freinage des crédits fournisseurs qui permettaient aux entreprises de bénéficier de délais de paiement ; avec une seule guise de garanti qui n’est que la sanction pénale accolée à un chèque sans provision ; ne sera jamais sans impact sur les productions, les offres de biens et services, les structures et niveaux des prix…
Il convient de noter aussi que l’offre des crédits en cas de prise de relais par les banques, sera certainement plus sélectives, et dépendra sensiblement aux contextes des risques et garantis.
Donc, en absence du « crédit informel » auparavant matérialisé par les chèques à échoir, la vélocité de la monnaie ainsi que celle de l’économie intérieur vont se ralentir ; Ce ralentissement pourra contrebalancer défavorablement la dynamique inflationniste.
3- Allo … BCT :
L’illumination de la Banque Centrale de Tunisie est indispensable quant aux interventions à prévoir face à la disparition de ce type de création monétaire hors Bilan (dits encore : « crédits informel ») qui, selon le bulletin de la Banque Centrale de Tunisie relatif au Bilan des « Paiements en Tunisie pour l’année 2023 » faisait partie de 54% des paiements télécompensés avec un volume de 123.9 milliards de dinars, soit environ 77.4% du PIB de la même Année 2023 (NB : PIB-2023 = 160 Milliards de Dinars). Et certainement cette ampleur n’est motivée que par le fait que le chèque enrobe l’instrument de crédit informel qu’il est devenu.
Ainsi, est dans l’optique de la prise de relais par les banque pour remplacer l’instrumentation crédit via les chèques à échoir ( à mon avis pas moins de 65% des chèques étaient à échoir), par des crédits bancaires, il y'aura lieu d’estimer l’impact du cout des financements qui s’ajoutera à l’inflation actuelle qui sera égale au (couts des intérêts /PIB nominal) x 100.
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Et non seulement ça …
Au-delà des couts d’intérêts desdits financements, les crédits bancaires de substitution engendreront une augmentation de la masse monétaire associée au Multiplicateur de crédit édicté par le ratio de réserve obligatoire.
Il en découlera que la l’injection massive de liquidités dans l’économie pour substituer les chèques à échoir ou encore les crédits informels par des crédits bancaires formellement établis, pourrait entrainer une forte augmentation de l’inflation bien au-delà du simple impact des coûts d’intérêts.
La matérialisation d’une telle inflation aurait, sans doute, des effets déstabilisateurs très importants sur notre économie.
Par ailleurs, et si la BCT se désengage ???
L’absence de compensation bancaire pourrait créer un effet domino récessif dans un cercle vicieux, et les répercussions seront très grave en matière de :
a- Chute des productions et des chiffres d’affaires ;
b- Un ralentissement de la circulation de la monnaie et une réduction des transactions entre les entreprises et les acteurs économiques.
c- Baisse des recettes fiscales, creusant le déficit d’Etat ;
d- Des pénuries et Augmentation des besoins d’importations, procréant ainsi une inflation par les couts, malgré la contraction de la consommation….
Dans un tel scénario, la récession serait assez sévère et les pressions inflationnistes conjugués aux autres aspects problématiques entrainerait un choc économique.
Conclusion :
Face à des enjeux qui ne tolèrent pas d’expérimentation et dont l’importance déconseille fortement d’aborder les mises en œuvre par des approches non testées ; Il s’avère nécessaire plus que jamais de solliciter l’avis de la BCT et voir tangiblement son implication dans le sujet par une étude d’impact approfondie, et la définition des préalables essentiels avant l’entrée en vigueur de cette réforme.