Répondre aux populismes, retrouver l’esprit du service public : la nécessaire réforme de l’action et de la fonction publiques.
Aucun doute : la réforme dont on parle est nécessaire. Elle n’a en réalité que trop tardé ! La crise sociale couvait depuis trop longtemps. Et parce que non avouée, elle a paradoxalement permis de reculer les échéances. La crise sociale est désormais ouverte, le paysage politique reste ancré dans les partis. La réforme est impérieuse nécessité.
Mais est-ce bien une réforme ? Ne serait-ce pas plutôt une heureuse contre-réforme ! Car la réforme du service public a déjà eu lieu. Sans tambour ni trompette. Le plus naturellement du monde. A pas feutrés, silencieusement, progressivement, de façon déterminée mais surtout elle s’est faite sans le dire !
Cette réforme non dite, c’est celle de l’extension du domaine de l’intervention publique. Réforme glouton, boulimique, insatiable qui s’est développée bien au-delà du noyau dur, le régalien. Elle s’est auto alimentée grâce à un consensus général anesthésiant !
Au sortir de la première moitié du XX -ème siècle, il fallait, c’est l’évidence, relancer la machine économique, inciter et fortifier les acteurs économiques, organiser pour faciliter, accélérer une reconstruction. Commissariat général au Plan, Reconstruction, Plan Marshall… L’Etat mutait sous le poids de sa responsabilité en stratège. Il devenait du même coup providence tant le besoin de protection était criant ! Rien de plus normal…La France ne s’était-elle pas construite depuis toujours à travers l’Etat !
Ainsi, les impérieuses nécessités du moment ont fait naturellement prospérer une sphère publique sur le terreau du jacobinisme qui trouvait dans les pressantes attentes citoyennes l’engrais dont il n’avait pas besoin.
L’Etat est alors devenu omniprésent, omniscient ; il s’est imposé, incontournable, inévitable : moteur, référence, recours !
Dans ce toujours plus vaste domaine de l’Etat, l’ADN du service public s’est progressivement dissout. « Qui trop embrasse mal étreint ». Il est désormais de bon ton de dénoncer « trop de service public » … sans toujours savoir de quoi on parle.
Aucun doute : la responsabilité de ce « trop de service public » est partagée, chacun y a sa part.
Ce serait mauvaise foi, en tout état de cause aveuglement que de pointer du doigt aujourd’hui comme argument unique, fondement central de la réforme, le seul « modèle social » devenu insoutenable. Il n’est pas simplement insoutenable : il est dépassé et à réinventer…Sous peine de disparition de notre démocratie sociale !
Ce serait tout aussi vraisemblablement de mauvaise foi et tout aussi aveuglement que de ne voir aujourd’hui comme cause majeure de la réforme, l’incessante demande d’aides, d’allègements, de subventions pour l’emploi, pour la production, pour …
La demande a créé l’offre qui a créé la demande : spirale ou vis sans fin, peu importe ! Les « gens de l’Etat » ont répondu à ces demandes à la manière d’un « chef de produit » qui voyait là, à chaque fois, un nouveau marché. Le citoyen a muté en consommateur, l’Etat en fournisseur, la dépense publique en puits sans fond…l’avenir devenait radieux !
Ce serait donc, encore et toujours aveuglement de considérer la logique du marché, néo-libérale, comme le déterminant majeur de la réforme en cours.
Bien au contraire la réforme de l’action et de la fonction publiques, c’est la « raison retrouvée » du service public : remettre l’église au centre du village, remettre les fonctions régaliennes au cœur du service public. Heureux retour aux sources ! Remettre, aussi, le service public au cœur des territoires.
Ce n’est donc qu’aveuglement ou corporatisme d’un monde passé, que d’analyser cette réforme comme un démantèlement du service public ! Si démantèlement il y a, c’est celui d’un « bazar à tout » ! Rangeons une fois pour toute ce cabinet de curiosités !
C’est, aussi, incompréhension, que de pressentir cette réforme comme dictée par les seuls objectifs d’assainissement des finances publiques, fruit de la volonté d’une réponse vertueuse aux critères de l’orthodoxie budgétaire. Cet objectif est subsidiaire, tout comme celui de la réduction du nombre des « gens de l’Etat ». La réduction du coût de l’action de l’Etat doit être un résultat collatéral d’un domaine d’intervention recentré.
C’est une vérité, mal exprimée, que de dire « moins d’impôts si moins de services publics ». Plus juste serait d’affirmer et surtout de mettre en œuvre « un service public retrouvé et justement financé ».
Le stade aujourd’hui atteint du développement du domaine de l’action publique et, fatalement, celui du nombre des « gens de l’Etat » est le résultat du croisement des « courbes de l’offre et de la demande de prestations dîtes publiques ». Les deux se sont ajustés à un niveau de … déséquilibre.
On a suffisamment dit l’addiction du français à la « socialisation ». Son paroxysme : la préférence française pour le chômage !
On a moins dit l’addiction des « gens de l’Etat » à l’interventionnisme. Avec un sens du service public affirmé, ils ont agi selon une logique « étatico-néo-libérale-schizophrène » tout entière orientée sur l’offre d’interventions et de services publics. Demande du citoyen devenu client, légitimation du statut d’autre part, la machine s’est emballée à travers un système attrape-tout…La machine de l’Etat s’est auto-alimentée, s’est développée - sans gains de productivité - Elle est désormais en surchauffe. Alors inéluctablement, au sein de la gamme des « produits publics », celle du régalien s’est dégradée.
L’extension du domaine de l’action publique a rebattu les cartes. Des établissements publics se sont multipliés, des « opérateurs » sont nés et prospèrent, le « contrat de délégation » est devenu une forme naturelle de l’exercice du pouvoir et du service public. Souvenons-nous du summum atteint avec la rédaction d’un projet de loi sous-traité à un prestataire ! Les cartes se sont mélangées par le jeu de ces « aller-retour » de hauts-fonctionnaires entre leur corps (!) et le secteur privé, pour en arriver à un entre-soi !
La puissance publique grandement contractualisée, un statut dont on ne perçoit que le caractère protecteur : oui, la réforme est nécessaire et heureuse !
Oui, chacun a sa part de responsabilité.
La réforme arrive donc enfin. Elle est à saluer et avec elle la décroissance de l’Etat : chasse au gras pour retrouver le muscle et reconstruire l’action publique. Reconstruction dans laquelle il faut impérativement penser un autre modèle social et redonner de la visibilité, de la proximité aux services publics
La tâche n’est pas simple, c’est évident ! Elle est ingrate ! De part et d’autre les habitudes sont ancrées : il faudrait que tout change pour que rien ne change.
La responsabilité du moment c’est bien celle de réformer, de contre réformer en fait, pour retrouver l’esprit du service public, le sens de l’action publique, redonner son lustre à la fonction publique. De Haut fonctionnaire, redevenir grand serviteur !
Il ne faut pas se « payer de mots ». Les gouv.tech, démat, guichet virtuel, téléconsultation … un vocabulaire hors sol qui fait oublier, non pas seulement une partie des citoyens, mais la réalité du service public. On a oublié l’alerte du « Paris et le désert français ».
Il faut donner à voir le service public. Les maisons du service au public : voilà qui n’est pas « nouveau monde » mais c’est du concret, c’est du service réellement accessible. Remettre le service public au service du public, auprès du public comme d’autres ont voulu rendre à César…
La « numérisation » de l’économie, l’urgence écologique voilà les enjeux auxquels doit répondre cette réforme de l’Etat - des enjeux qui valent bien ceux de la première moitié du XXème siècle.
La responsabilité du moment, c’est celle d’inventer un Etat qui garantisse chacun dans cet instant de grande transformation : qui incite et facilite les initiatives, qui (re)trouve à aider et protéger ceux pour lesquels cette transition toute schumpétérienne est une difficulté et un risque…
Après sept mois de Gilets jaunes et au lendemain de ces élections européennes, la réforme de la fonction et de l’action publiques ce peut être bien davantage, ça doit être la réponse de l’Etat aux peurs de l’an deux Mil.
Hervé Chapron, Membre du Comité directeur du think-tank CRAPS, est ex- directeur général adjoint de Pôle emploi.
Michel Monier, est ancien directeur général adjoint de l’Unédic.
Directeur de l’Organisation et des Systèmes d’Information -
5 ansUne maison de services au public..:c’est pas déjà une Mairie ??? 😉....!!