Rôle, limites des tiers-lieux dans la ville
Bonjour à toute la communauté,
Notre métier c'est l'immobilier tertiaire dans la ville, ou plutôt l'immobilier tertiaire et la ville. Avec une proposition, optimiser les espaces pour en améliorer les usages et trois effets positifs attendus :
Alors quand je lis le papier de Raphaël Besson (Ville et Innovation) dans le N° 51 de "Territoires en mouvement"(1), je ne résiste pas au plaisir d'en livrer un commentaire à la communauté des LPGI :)
Le lieu de travail est en forte mutation, ça on l'avait vu depuis plusieurs années. Mais la pandémie de 2020/22 a accéléré la mutation. (Le collectif réuni autour de Loopartoo en fera d'ailleurs une chronique dés mardi prochain sur Linkedin). Chacun d'entre-vous s'est très vite rendu compte que le télétravail ce n'était pas le simple déplacement du bureau d'un point à un autre. C'est toute l'organisation du travail qui est mise en question. Ce qui relevait du "Responsable immobilier" a rapidement glissé vers le "RH" ou le "N+1". La cuisine ou le salon s'avérant rapidement inadapté, le tiers-lieu, initialement perçu comme un "machin" pour hipster suscite beaucoup d'intérêt. Et si c'était cela, le bureau de demain ?
Mais, au fond, qu'est-ce qu'un tiers lieu ? Peut-il, en profondeur transformer la ville ? Peut-il exister une politique publique des tiers-lieux ? L'urbanisme fonctionnel et ses documents de planification peuvent-ils absorber ces nouvelles formes urbaines ?
Le travail de Raphaël Besson fait l'objet d'une étude assez approfondie (+ de 50.000 signes) Il se concentre sur une typologie particulière de "tiers-lieu" : les espaces dont la mission est d'agir sur l'organisation urbaine d'un ilot, d'un quartier.
I - QUE PRODUISENT CES TIERS-LIEUX ?
Pas de tiers-lieu sans développement numérique
Au coeur de la naissance des tiers-lieux, le développement du numérique. On est directement en lien avec les processus d'apparition de la ville intelligente, du quartier technologique, de l'ilot dédié aux sciences et à l'innovation qui transforme l'espace public.
"Le numérique impose sa logique aux villes"
La bonne traduction de "third-place", dans l'esprit de l'inventeur du terme, Ray OLDENBURG (1989) devrait être "le troisième espace" qui n'est ni le domicile, ni le lieu de travail.
Ainsi, le tiers-lieu, est part essence, urbain ou en forte connexion avec l'urbain. Lorsqu'il est réduit à la fonction de "bureau partagé", il perd de son essence, de la force du concept. Et judicieusement, Raphaël Besson sélectionne 6 espaces pour son étude sur 6 villes : Marseille, Lyon, Grenoble, Paris, Madrid et Barcelone. La richesse de ces espaces lui permettent d'extrapoler pour une vision plus globale.
Agir sur les infrastructures immatérielles de la ville
Les tiers-lieux questionnent en tout premier les infrastructures immatérielles de la ville : les réseaux numériques, les services urbains, la gestion de la "data", la planification et le patrimoine immatériel.
- Concevoir la ville numérique
L'auteur pointe les questions que ces tiers-lieux sont rapidement amenés à soulever et tenter de résoudre :
- Intégrer les services de la ville numérique
Le tiers-lieu peut être un espace d'expérimentation ou de test à usage des entreprises délégataires de services public. Cela peut être également un espace de délibération permettant de mieux intégrer les habitants dans la décision publique. Ces espaces ne sont d'ailleurs pas décrits comme des "lieux" mais des "interfaces", des "connecteurs", des "espaces hybrides" ou des "concentrateurs". L'idée de la "smart-city" distributrice de services est ici opposée à une conception plus participative pour l'élaboration d'outils mis à disposition. A Marseille, par exemple, il semblerait que face à l'échec des méthodes traditionnelles de "revitalisation du centre-ville", le living-lab vole au secours des décideurs pour expérimenter et devenir un lieu d'interaction. Cette vision s'appuyant sur des expériences antérieures d'innovation ouverte en lien avec la population (Museomix16, le Zinc, PRIMI, Seconde Nature, La Fabulerie, Urban Prod, Noailles Tous ici...)
- Co-produire la ville
Inciter les habitants à co-produire des solutions (par exemple, la lutte contre le bruit à Grenoble ou production de données à Barcelone pour mieux gérer la ville)
Recommandé par LinkedIn
Proposer des infrastructures matérielles pour la ville
Les fab-lab réhabilitent la figure des "bricoleurs" ou des "bidouilleurs" qui résolvent des questions difficiles sur l'organisation de l'espace, la réalisation d'équipements avec des réponses simples, de bon sens et testées.
Les tiers-lieux peuvent être également des preneurs d'espaces "vacants" considérés comme des "vides" ou des "délaissés". L'économie collaborative, l'écologie urbaine et l'urbanisme social ne sont pas très loin. Sont alors associés des espaces clos et couverts (espaces de coworking) et des espaces ouverts (jardins partagés, ferme urbaine....) - NDLR : mais cela peut-être comme on le verra dans un autre papier, une forme d'invisibilisation d'un état antérieur sans que ce dernier soit réellement résolu, comme à Lyon Confluence.
Le tiers-lieu peut également réintroduire des lieux de production au coeur de la ville :
Et ces projets peuvent largement dépasser le l'étape expérimentale. L'auteur cite "Ateneus de Fabricacio", Fab-lab barcelonais l'un des mieux doté au monde qui a donné naissance à quatre autres espaces thématiques dont un dans le riche quartier ouest de "Les Corts". Le même lieu a stimulé la création de plus d'une dizaine de sites dans la ville sur des thématiques sociales, technologiques ou environnementales.
II - UN IMPACT SUR LES POLITIQUES URBAINES ?
Pour l'auteur, il est incontestable que ces tiers-lieux "produisent de la ville". Très hétérogènes, ils oscillent entre le militantisme et la logique purement économique. Ils soulèvent des questions importantes pour celles et ceux qui élaborent les politiques de planification urbaine :
Faut-il les intégrer dans les politiques urbaines ? Alors que les outils de l'urbanisme ne sont pas adaptés à ces formes flexibles. Au risque de les institutionnaliser et donc de voir s'éteindre leur raison d'être.
L'urbanisme de planification n'est-il pas en opposition frontale avec cette nouvelle forme ? L'urbanisme fonctionnel qui décompose l'espace en sections thématiques, érige des oeuvres totémiques qui marquent l'espace. Ces innovations s'insinuent dans la ville à partir de logiques d'usage comme le feraient des objets en pâte à modeler sur un plateau de jeu.
Comment introduire des usages futurs inconnus dans un document d'urbanisme ?
Comment valoriser ces innovations sur le temps long ? Et les transformer dans les documents de planification tels qu'un SCOT, un PLU ou un PLH.
Le changement d'échelle
Pour ne pas être uniquement perçus comme des espaces réservés à une élite de "Makers" maitrisant parfaitement les outils numériques, les liens entre la communauté instigatrice et le tissu social doivent être renforcer. Les exécutifs locaux qui réfléchissent à ces questions parce qu'il comprennent la force du concept (Faire mieux avec moins) envisagent le développement de réseaux. Partout se pose la question de la pérennité économique et des nouveaux modèles apparaissent (le don contre don, l'échange de services, le crowdfunding).
A ce stade de développement, il n'est pas possible de mesurer les effets de long terme. A cela s'ajoutent la problématique de nature des biens produits et le mode d'élaboration de l'innovation. Assimilés à des biens publics, il ne peuvent être soumis au statut de marchandise taxable, généré par la production d'un collectif, la propriété intellectuelle de l'innovation est difficile à déterminer.
En finalité, une politique publique des tiers-lieux ne peut exister sans un processus d'innovation et de transformation au sein même des institutions publiques. Les collectivités doivent investir dans une réflexion sur les modes de gouvernance, les méthodes d'animation et les modes de financement. Surtout, elles ont à absorber le "droit à l'erreur" qui doit trouver sa place. Les tiers-lieux remettent en question le fonctionnement en silo et laissent la place à l'effet d'opportunité par le lien inattendu (effet de sérendipidé). Dans ce cas, les tiers-lieux pourraient devenir des sources de "point de contact" démultiplié avec la société réelle, une autre forme évoluée de la ville et du circuit de la décision. Une forme inversée de la "biopolitique" décrite par Foucault...
(1) : Territoire en Mouvement est une revue de géographie, d'aménagement et d'urbanisme éditée depuis 16 ans par l’Université de Lille
✅ Après une carrière en Rens, en gestion opérationnelle d'entreprise, je me suis retiré pour aider à Sécuriser les ÉCRITS IMPRIMES CONFIDENTIELS avec nos ramettes papiers imprimantes
2 ansMarc Amiot Smart-city. Tiers-lieu, bureau de demain.....autant de concepts émergeant de situation diverses, mais toutes reposant sur la technologie numérique.Sans elle, point de novation a coup sûr ! Très bel article en tous les cas.