Raymond

J'ai à mon cabinet, derrière mon fauteuil, au dessus de moi, une photo qui m'accompagne depuis plus de quinze ans. Peu de gens me demandent de qui il s'agit, sans doute par discrétion mais je vois au regard de ceux qui entrent dans ce bureau qu'elle ne les laisse pas indifférents. Je les remercie de leur délicatesse car je m'en voudrais de raconter trop souvent ce qui est si personnel mais puisque nous sommes fin août et que nous avons un peu de temps, permettez moi de vous raconter brièvement son histoire.

Ce vieil homme à la peau burinée et à la barbe blanche aujourd'hui accroché à mon mur, je suis passé devant lui tous les matins pendant plusieurs années. Je le revois sur la petite place de l'école primaire où j'emmenais mes enfants. Il me regardait. Je lui adressais un salut rapide, je posais mes garçons, j'allais au bureau et puis, un jour, je ne l'ai plus vu et j'ai continué à emmener mes enfants. L'angle de ma rue était juste devenu vide de son clochard.

Quelques mois ont passé et un jour, devant la boutique d'un photographe, j'ai vu cette photo en vitrine. Je me suis arrêté, j'ai examiné ce regard à la fois doux et pénétrant, je suis entré, j'ai posé des questions en disant que je me souvenais de ce vieux mendiant que je ne voyais plus.

Le photographe m'a alors parlé de lui, de Raymond, et j'ai compris qu'il avait pris de temps de parler à cet homme, de le connaitre et de faire cette photo magnifique. Il m'a surtout appris que Raymond était mort.

J'ai acheté le tableau, je l'ai installé au dessus de moi et depuis, Raymond m'accompagne. Il me regarde le matin, je le regarde aussi. Je le salue. Il m'entend au téléphone et parfois même je lui parle. Il me voit partir le soir et je le remercie chaque jour de sa présence car je sais qu'il rend ma journée meilleure. Il n'est plus mais j'espère qu'en parlant de lui, je continue un peu à le faire vivre. Il me rappelle surtout que chaque jour je croise d'autres Raymond et qu'il ne tient qu'à moi de prendre le temps de m'arrêter.