Reader digest de "Futurs énergétiques 2050"

RTE, le transporteur haute tension, constate depuis plusieurs années les incohérences de la planification énergétique française. C’est paradoxalement, un des acteurs-phare de la première Programmation Pluriannuelle de l’Energie -réalisée en 2015 sous la présidence Hollande-, qui est désormais patron de RTE ; Xavier Piechaczyk. Dès sa nomination mi-2020, celui-ci a accéléré ce large travail de prospective et de consultation dont le résumé exécutif a été publié en octobre 2021 et qui permettra à Emmanuel Macron d’argumenter le lancement de nouvelles centrales nucléaires ; sans toutefois prendre des arbitrages marqués. Ce qui est étonnant, c’est que c’est le transporteur qui fait l’état des lieux du mix plutôt que le producteur principal.

L’objet du document est de planifier la sortie des énergies fossiles en trois décennies seulement et l’accélération substantielle des investissements électriques d’ici 2030. Ce document a été finalisé avant la crise ukrainienne et bien sûr l’envolée récente du prix des hydrocarbures (particulièrement du gaz). RTE – après une consultation particulièrement large avec 4 000 organisations qui ont participé- explique au grand public les options sur la table. Ces alternatives présentent des points communs, qui sont la baisse nécessaire de la consommation d’énergie, l’électrification de la société, le recours aux énergies renouvelables ; et quelques différences sur le rythme d’évolution de la consommation, sa répartition par usage, le développement de l’industrie, l’avenir du nucléaire, le rôle de l’hydrogène etc.

La méthodologie est à saluer ; c’est un bon travail d’ingénieurs qui établit clairement les impacts. Le système électrique (production, réseau, consommation) a été complètement projeté sur 2030, 2040 et 2050 tout en modélisant sa résistance aux scénarios climatiques du GIEC. En matière économique, les coûts complets ont été considérés –non par source mais pour l’ensemble du système- et des stress tests ont été faits selon les coûts projetés du capital. En matière environnemental, le travail a été soigneux, tant sur le bilan carbone le long de la trajectoire, le bilan matière (notamment la criticité de la ressource), l’emprise foncière et les déchets produits. Il reste beaucoup d’incertitudes mais la méthodologie est la plus sérieuse qui soit.

Les principaux enseignements tirés de ce travail de prospective sont :

ð Au niveau de la consommation, il faut accélérer rapidement la transition vers une société sobre en carbone si on veut atteindre nos objectifs de neutralité carbone en 2050. La consommation énergétique en France va baisser mais celle de l’électricité va augmenter (et se substituer aux énergies fossiles). La consommation électrique va croître du fait de ce report, mais aussi de la réindustrialisation de la France ; ce qui permettra malgré tout une réduction de l’empreinte carbone du pays.

ð Au niveau du mix de production, c’est la voie du milieu ; il faut à la fois un rythme accéléré d’installation des énergies renouvelables et maintenir un parc nucléaire en état; sans ce dernier, le rythme d’investissement en capacité et les coûts de production seront intenables.

ð En matière économique, il est rappelé que la construction de nouveaux réacteurs nucléaires reste pertinente, que les EnR sont des solutions compétitives –notamment pour les grands parcs- et qu’il faut des moyens de pilotage et de flexibilité. Selon RTE, il y a un intérêt économique à développer des interconnexions et du stockage hydraulique, ainsi qu’à installer des batteries pour accompagner le solaire. Enfin, les réseaux-mêmes doivent être redimensionnés. Le besoin d’un système hydrogène à bas carbone est un atout ; c’est surtout une nécessité impérieuse en cas de développement fort des EnR.

ð En matière environnemental, il est rappelé que le développement des EnR est aussi un sujet foncier. Les éoliennes pourraient représenter entre 14 et 35 000 mâts ! et les panneaux solaires jusqu’à 0,3% du territoire !

En général, la perspective est optimiste et il est rappelé qu’un système électrique de la neutralité carbone peut être atteint à un coût maitrisable pour le pays. En revanche, le relèvement des ambitions d’ici 2030 – baisse des 55% des émissions d’ici 2030, contre 40% initialement- nécessitera une base installée déjà décarbonée ; donc de prolonger les réacteurs nucléaires existants.

Notre problématique la plus urgente est de sortir des énergies fossiles.

En France, 60% de l’énergie est d’origine fossile (40% pétrole, 20% gaz) et les importations sont diversifiées mais proviennent d’Arabie Saoudite, du Kazakhstan, du Nigeria, de Russie… Les combustibles fossiles satisfont une consommation finale de 930 TWh/an (contre 430 TWh pour la seule électricité). Concernant le système électrique français, 56 réacteurs nucléaires constituent le socle de la production de base ; ils ont été construits entre la fin des années 70 et le début des années 90 ; à quoi s’ajoute une capacité de production hydraulique déjà importante (60 TWh). Le nucléaire représente 70% de l’électricité produite en France ; mais ne représente que 20% de l’énergie finale. L’atteinte de la neutralité carbone oblige à renoncer à toutes les énergies fossiles.

La stratégie nationale bas carbone (SNBC) est réévaluée tous les 5 ans. La dernière version publiée en 2020 est à la base du document Futures énergétiques 2050 ; elle a donc été réalisée avant la crise énergétique actuelle. Côté demande, il est anticipé que la demande d’énergie finale de la France baisse de 40% en 30 ans. Côté offre, la stratégie se fonde sur une électricité décarbonée et sur la biomasse produite sur le territoire. Le challenge est le suivant : en l’espace de moins de 30 ans (de 2022 à 2050), il faudrait que notre consommation totale passe de 1600 TWh à 930 TWh ; les énergies fossiles disparaîtront ; la part de l’électricité passera de 25% à 55%. Resteront des réseaux de chaleurs, de déchets, du gaz décarboné…

Pour alimenter sa consommation future de 645 TWh, la France dispose déjà d’une production décarbonée (nucléaire, hydraulique, renouvelable) de 500 TWh. En bref, nous sommes dans une position beaucoup plus favorables que les autres pays européens. Le problème est que notre parc nucléaire est vieillissant avec un âge moyen de 36 ans ; alors que la durée de vie initiale est de 40 ans et ne pouvant être prolongée que de 10 à 20 ans. A moyen terme, à l’horizon 2035, le choix de fermer des réacteurs nucléaires est politique. A cette échéance, il n’y aura que deux options possibles pour accroître le potentiel de production d’électricité décarbonée : maintenir en fonction les réacteurs nucléaires et développer les énergies renouvelables ; tout l’enjeu, correspond à la pondération entre ces deux facteurs. Sans compter que le contexte récent est plus critique : les objectifs climatiques plus contraignants, la moindre sécurité énergétique, la hausse des prix de l’énergie, la baisse des marges du système électrique européen.

Les énergies fossiles ne sont plus une option. Les solutions de captage et de stockage du carbone ne sont pas matures ; in fine le débat porte sur la répartition entre renouvelable et nucléaire. A noter que les réacteurs de 3ème génération (EPR et EPR2) ont vu leur coût s’accroître, tandis que le coût des EnR n’a cessé de diminuer. En fait l’avantage n’est pas aux EnR, car les coûts sont difficilement comparables. Pour les EnR, l’intermittence doit être compensée par des moyens dits de « flexibilité » et leur intégration au système nécessite de renforcer les réseaux. Il faut donc comparer le coût complet des différentes options et non le coût individuel de chaque technologie. A ces questions de fond, s’ajoutent beaucoup d’autres débats environnementaux: l’incidence hydraulique sur la biodiversité, le bilan carbone du photovoltaïque, l’emprise paysagère de l’éolien….

Deux grands scénarios sont établis, avec plusieurs options intermédiaires : ceux avec une majorité ou exclusivement de renouvelable (scénario M), ou un mix plus diversifié avec une grande part de nucléaire (scénario N).

Les trajectoires de consommation électrique d’ici 2050 ;

il est d’abord établi des hypothèses d’atterrissage de la consommation électrique à l’horizon 2050 ; en l’occurrence 645 TWh (contre 430 TWh aujourd’hui). Le scénario de référence qui a été privilégié c’est une électrification progressive, un développement rapide de l’efficacité énergétique et surtout une croissance économique qui reste positive (+1,3% à partir de 2030). RTE ne détaille pas son scénario central. Pourquoi considérer l’hypothèse basse de la démographie ? Peut-on espérer une croissance positive à long terme ? Quel impact de la reprise de l’inflation sur la croissance à long terme ? L’accélération de la sobriété permettrait une baisse de 90 TWh de la consommation, alors qu’une véritable politique d’industrialisation ajouterait 107 TWh ! Les autres variantes sont aussi de grande ampleur : que cela soit le rythme d’électrification des transports, la moindre électrification, la moindre efficacité énergétique, une production trop rapide d’hydrogène….Le jeu est bien de définir un scénario central de consommation pour établir un plan de production ; mais les incertitudes sont telles que l’exercice est rendu difficile.

Agir sur la consommation ! La SNBC prévoit de réduire la consommation énergétique d’ici 2050 de 40% ; tout dépendra donc du rythme d’efficacité énergétique, c’est-à-dire de la réduction des consommations unitaires des équipements sous l’effet d’une progression technologique ; et rien n’est acquis. Cela implique aussi des politiques publiques volontaristes, des financements disponibles alors que la France est confrontée à un mur de dettes. Quant aux progrès techniques, ils ont déjà été importants (dans l’éclairage notamment). Réduire de 40% en 30 ans notre consommation énergétique est un objectif très ambitieux. Cela passe par la rénovation de la plupart du bâti en France, le relèvement des nouvelles normes, l’utilisation massive de pompes à chaleur ; et l’appropriation citoyenne n’est pas assurée. Mais le document va plus loin encore, en notant que des politiques plus ambitieuses pourraient être entreprises permettant un gain supplémentaire de 15% ; ce qu’on appellera désormais « la sobriété ». Le télétravail, le covoiturage, les changements alimentaires sont inclus dans ces 15% supplémentaires et non dans les 40% initiaux. Mais pour cela, il faudra une appropriation citoyenne plus rapide encore – une révolution des mentalités- et des changements coperniciens des modes de consommation. Ce qui sera le plus compliqué sera d’atteindre nos objectifs à moyen terme, en 2030, alors qu’ils ont été encore relevés (la SNBC évoquait -40% d’émissions de carbones, et c’est dorénavant -55%).

Quoiqu’il en soit, c’est la consommation qui est la clé des investissements nécessaires en production. La consommation énergétique va baisser mais celle d’électricité croître. Dans les transports, l’électricité est aujourd’hui marginale (2%) ; idem pour le chauffage des bâtiments (16% contre 56% pour les énergies fossiles et encore 4 Millions de ménages qui utilisent des chaudières au fioul). Les orientations actuelles prises par la France conduisent à une perspective de hausse modérée de la consommation d’électricité de 35% en 30 ans (soit au rythme de la croissance économique). La consommation électrique pourrait donc atteindre 645 TWh en 2050. Le gros de la hausse correspondra au transport (100 TWh contre 15 aujourd’hui), dans l’industrie (180 contre 115) et dans la production d’hydrogène (50TWh). Tout se jouera donc sur notre capacité à électrifier le parc automobile (94% des véhicules légers en 2050 et seulement 21% des camions) et à instaurer des politiques d’efficacité énergétique appropriées !

En matière de mix de production, ce sont 6 grands scénarios qui sont décrits : A un extrême, le scénario tout renouvelable (dit M0), avec 205 GW de capacité dans le solaire (la capacité existante fois 21), 74 GW dans l’éolien terrestre (x4) et 62 GW dans l’éolien off-shore ; mais plus aucun nucléaire.

 A l’opposé, le scénario N03 avec le maximum possible de nucléaire ; c’est-à-dire 24 GW de capacité existante (reportée à 60 ans de durée d’exploitation) & 27 GW de nouvelles capacités nucléaires correspondant à 14 EPR2 et le développement de petits modules SMR (pour un total de 900 MW) ; restent tout de même 70 GW de solaire (le tiers et fois 7), 43 MW d’éolien terrestre (x2,5) et 22 GW d’éolien off-shore ! On resterait sur une base hydraulique de 22 GW. A noter que les « bouquets de flexibilité », c’est-à-dire des besoins de back up augmentent rapidement selon la dose d’énergie renouvelable !

Le nucléaire. Les fermetures des centrales nucléaires (si elles ne sont pas prolongées) seront nombreuses dès 2040 et les nouveaux réacteurs ne rentreront en service qu’après 2035. La proposition la plus haute de la filière consiste à atteindre une capacité complète de 50 GW en 2050 (le scénario N03) –contre 63 GW de capacité actuelle (après inclusion de Flamanville). Disposer de tant de MW implique de prolonger l’essentiel des réacteurs jusqu’à 60 ans (et même plus longtemps pour certains réacteurs), de mettre en service 14 nouveaux réacteurs (EPR2) entre 2035 et 2050 et d’installer en compléments beaucoup de petits réacteurs SMR. Ce parc nucléaire de 50 GW produira 325 TWh, soit 50% de la production nationale. C’est-à-dire, que si la filière fait ses meilleurs efforts, on atteindra au mieux le scénario projeté actuellement dans le cadre de la PPE ! A noter aussi le scénario N1 qui consiste en une trajectoire basse de construction de nouveaux EPR2, c’est à dire 8 réacteurs, et donc une part de nucléaire dans le mix de seulement 26% !

Les énergies renouvelables. Sur le solaire, selon les scénarios, il faut installer entre 70 GW à 200 GW (contre 10 GW actuellement installés en France ; à titre de comparaison c’est 54 en Allemagne). Si on installait 3 000 Wc sur chaque toit en France, il faudrait donc 67 millions de pans de toit ; bien plus que le nombre de foyers dans le pays. Pour gagner en économie d’échelle, il faudrait donc développer des grands parcs, mais l’emprise foncière restera malgré tout significative.

L’éolien devra aussi se développer fortement : a minima, il faudra 40 GW de capacité terrestre et 25 GW de capacité off-shore. Pour mémoire, l’Allemagne a mis 15 ans pour atteindre 50 GW (éolien terrestre). C’est donc largement faisable mais à quel prix ? Pour l’off-shore, cela correspond à 5 000 mâts de 150 m de haut répartis sur toute la côte française? Et peut-être 20 000 éoliennes terrestres ! Soit plus qu’un doublement face à la situation actuelle (16,5 GW installés).

La juste pondération. Se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des EnR plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques. En bref, selon les scénarios on passerait de 2 000 MW/an installés à 7 000MW/an ! Soit deux fois plus vite que les Allemands, champion d’Europe sur la décennie 2010 ! Atteindre la neutralité carbone en 2050 est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables. L’option nucléaire est nécessaire et complémentaire.

La dimension économique. L’étude conclut avec un bon niveau de confiance, que les scénarios incluant du nouveau nucléaire (pour 40 GW en 2050) peuvent conduire à terme à des coûts plus bas pour la collectivité qu’un scénario 100% EnR. L’intégration de volumes importants d’éoliennes ou de photovoltaïque engendre de très importants besoins en flexibilité (stockage, back up, pilotage) pour pallier leur variabilité ainsi que des extensions de réseaux. Mais là, RTE reste très flou ; sur le coût du nouveau nucléaire, les effets de série et la courbe d’apprentissage. RTE affirme pourtant que même au coût de Flamanville, cela resterait compétitif !

Le coût du capital. Les nouveaux réacteurs sont des projets très capitalistiques avec des durées de construction et de vie longues. La variable première est donc le coût du capital. Selon RTE encore, une hausse de 3% des taux de financement n’empêcherait pas le nucléaire de rester compétitif face au scénario 100% EnR. Pour autant, nul ne peut appréhender l’évolution à long terme des taux d’intérêts, de l’inflation, la hausse du prix des matières premières et leur impact sur les énergies renouvelables. Par ailleurs, la hausse des taux aura aussi une incidence sur le financement des EnR (souvent privé et plus cher), qui sont aussi très capitalistiques. Les comparaisons sont peu claires : entre deux scénarios intermédiaires (avec ou sans nucléaire), l’écart de coût est déjà de 10Mds EUR/an. L’analyse des coûts d’investissements est très intéressante parce qu’elle intègre bien le coût des réseaux, des flexibilités, et de la production. Mais elle différencie peu les coûts de connexions entre nucléaire et EnR. Les variantes utilisées pour stresser le modèle ne sont pas toujours très pertinentes. Pour un scénario 100% EnR, le système devra s’appuyer sur un système hydrogène efficace ; ce qui est une variable mal connue. Il faudra aussi réussir le pari de l’éolien flottant alors qu’on a peu de recul sur cette technologie. Il est impératif pour contenir les coûts de production dans un tel scénario 100% EnR, de réaliser des grands parcs permettant des économies d’échelle, de réussir une décroissance rapide des coûts de l’éoliens flottant, de conserver des soutiens publics (tarif favorable) et des coûts de financement bas et de se reposer sur un système hydrogène (réseau et stockage) compétitif !!!

Le bon dimensionnement du parc futur nucléaire. Le gain économique entre un parc à 40 ou 50 GW serait assez faible. Mais rien n’est énoncé pour appuyer cet argument. A contrario, les sorties complètes du nucléaire sont les options les plus onéreuses. RTE fait des analyses de coûts qui sont peu explicitées et considère à horizon 2060 un coût de production EnR de 46 EUR/MWh contre 67 EUR pour le nouveau nucléaire ; mais c’est sans considérer les autres coûts liés aux énergies renouvelables. RTE semble privilégier ses choix selon l’option qui entraîne les coûts de flexibilité les plus bas. RTE affirme aussi que la construction de nouvelles centrales thermiques appuyées sur des stockages de longue durée en « gaz décarbonés » est une nécessité dans les scénarios sans relance du nucléaire. Le système doit pouvoir absorber des périodes de plusieurs semaines consécutives sans vent ; et les stocks hydrauliques sont insuffisants. Au bas mot, il faudrait 30 GW de capacité thermique dans un scénario sans nucléaire et 100% EnR. Pour autant, on ne dit pas avec quel combustible, cela pourrait être alimenté ! D’autres problématiques de flexibilité sont énoncées : des impondérables seront les STEP (stockage hydraulique) et la gestion intelligente de la demande (recharger ses batteries au bon moment). Tout développement du solaire nécessitera de toute façon, des solutions de stockage par batterie.

Interconnexions. RTE affirme que renforcer les interconnexions avec les pays voisins fait sens économiquement. A horizon 2050, un niveau de 39 GW de capacité d’imports (contre 13 GW aujourd’hui) constitue un compromis acceptable entre l’optimum économique et le réalisme technique et politique. La sécurité d’alimentation en France dépendra à 5% du temps de ses voisins contre 1% aujourd’hui. Le problème est qu’on ne sait pas si les voisins auront de la réserve. Ce serait donc principalement pour limiter l’intermittence des systèmes, liés aux seules EnR. Ce coût devrait donc être imputé au coût complet des EnR. Le préjugé de RTE est qu’il n’y a pas vraiment d’alternative possible au déploiement et à l’accroissement des interconnexions ; et cela est mal argumenté.

Quels investissements ? RTE devra continuer d’investir plus de 2 Mds EUR/an et accélérer après 2035 ! Dans la distribution, il faudra au bas mot 61 Mds EUR sur les 15 prochaines années. Quant à la production, c’est un chiffrage de 40 à 47 Mds EUR/an sans considérer les coûts de réseau (et total 63 à 74 Mds EUR/an). Dans la distribution, les seuls coûts d’adaptation du réseau aux nouvelles productions pourraient varier du simple au double. Pour atteindre la neutralité carbone, il faudra en 40 ans investir entre 750 et 1 000 Mds d’euros selon le scénario choisi pour alimenter le pays en électricité, soit 20 à 25 Mds EUR/an ; c’est un doublement du rythme actuel. RTE n’anticipe ni les contraintes futures sur la dette publique ou privée, ni la situation calamiteuse des acteurs du secteur, ni le renchérissement du coût du crédit, ni le fardeau du soutien à l’achat d’EnR. Par ailleurs, pour assurer la transition vers une société bas carbone, il n’y aura pas que des investissements de réseau et de production électrique, mais d’autres priorités que l’Etat devra assurer.

L’hydrogène : Tout le monde parle d’hydrogène mais il faudra d’abord se concentrer sur l’industrie et décarboner les usages industriels; et commencer par remplacer l’hydrogène fossile (vaporéformage du méthane) par de l’hydrogène bas-carbone (c’est-à-dire produit par électrolyse et avec une grande consommation d’électricité). On parle tout de même 50 TWh d’électricité ! A long terme, développer de l’hydrogène pour le stockage permettra de stocker des EnR : mais on n’y est pas encore et le coût est toujours prohibitif ! Quant à développer des larges infrastructures de transport ou utiliser les gazoducs existants, c’est faire fi de nombreuses contraintes techniques. L’AIE estime que la moitié des réductions nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en 2050 reposerait sur des technologies en phase de démonstration ou prototype !

Diverses contraintes. La transformation du système électrique doit intégrer dès à présent les conséquences probables du changement climatique, notamment sur les ressources en eau, les vagues de chaleur ou les régimes de vent. C’est un vrai sujet pour les énergies renouvelables mais aussi pour le nucléaire, où il faudra privilégier les installations en bord de mer ou en bord de fleuves faiblement contraints et avec des aéro-réfrigérants !

Selon RTE, il n’y aurait pas d’enjeux majeurs sur les ressources critiques ; peu sur les terres rares (en l’occurrence seulement pour l’éolien en mer) car il n’y a pas de rareté géologique (pour autant, il y a un coût d’exploitation) ; quelques sujets sur le cuivre, le lithium ou le cobalt pour les batteries, le silicium pour le photovoltaïque. Les arguments sont peu détaillés et sont peu convaincants. A l’inverse RTE fait l’apologie de la stratégie française de cycle fermé et rappelle l’importance des réserves d’uranium.

Questions de coûts ! En quarante ans, le coût au MWh selon les scénarios privilégiés par RTE pourrait augmenter de l’odre de 15% en vision médiane & hors inflation. Le principal facteur d’augmentation du coût moyen sera la prolongation ou la fermeture des centrales nucléaires ainsi que les coûts de flexibilité. Le coût de revient de la prolongation des réacteurs -en intégrant le grand carénage- sera de 30 à 40 EUR/MWh : donc prolonger la durée de vie du parc nucléaire actuel est nécessaire et sera très rentable. 

Conclusion : Le verre à moitié plein : cette stratégie a le mérite de nous rappeler qu’il n’y a pas d’option évidente mais que la voie optimale –tant d’un point de vue économique, environnemental ou technique- correspond à un mix de production conservant une forte capacité nucléaire, via le prolongement de la durée de vie des centrales existantes ainsi que l’installation de nouveaux réacteurs, conjugué à un développement accéléré et gigantesque des énergies renouvelables. Cela inclura de grands parcs photovoltaïques et éoliens ; et il faudra faire face à toutes les réticences de tous les antis ; les anti-nucléaires ou les anti-éoliennes.

Quel que soit le scénario central préféré, il convient de planifier le changement, d’accélérer la baisse de la consommation énergétique, d’initier des politiques publiques adéquates et d’obtenir la mobilisation et l’appropriation de la société civile.

Le verre à moitié vide : cette stratégie n’est pas tant une voie médiane mais la déclinaison du « en même temps ». Elle nous met au pied du mur ; parce que les gouvernements ont sous-investis depuis 30 ans dans notre outil nucléaire, parce que les contraintes juridiques et les recours s’amoncellent sur projets d’énergies renouvelables. La marche à franchir est aujourd’hui incroyablement haute et le risque serait que nous n’en ayons plus les moyens ni la motivation.

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