Rejet de la parole LGBT: mon expérience en école d'ingénieur en 2013, ma colère en 2021
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Rejet de la parole LGBT: mon expérience en école d'ingénieur en 2013, ma colère en 2021

Il y a des colères que l'on pensait traitées, classées et éteintes depuis des années, qui parfois arrivent à refaire surface et à vous bouleverser. Vous avez beau vous dire qu'il y a prescription, elles vous hantent de nouveau et vous poussent à vous exprimer, enfin, car entre nous, il était temps !

Il y a deux jours, en regardant une liste de jurys de sélection dans lesquels je dois bientôt participer, je retombe sur le prénom et le nom d'un étudiant, qui faisait partie de la même promotion d'élèves ingénieurs que moi, et qui était ouvertement homophobe, je dirais même homophobe engagé. A ce moment précis, la colère revient. La colère n'est pas dirigée contre lui, mais contre un système, celui que je n'avais à l'époque pas la force d'affronter.

J'ai intégré l'école des Mines Albi en septembre 2012 pour y suivre mon double diplôme. En arrivant sur place, je suis littéralement scotché par la vie étudiante. De nombreuses activités sont proposées, de nombreuses associations, clubs et autres groupes cohabitent au sein de l'école. Venant de la fac, qui était en ce sens, l'opposé, je suis contemplatif.

A ce moment là de ma vie, je vie pleinement mon homosexualité, après avoir longtemps trainer dans le placard. Je venais d'une faculté où une majorité d'étudiants avaient une mentalité réac', peu ouverte sur les autres. J'avais donc tout pour m'épanouir dans cette nouvelle école.

Fin 2012/Début 2013 : la communauté LGBT est profondément marquée par la violence et l'homophobie de La Manif pour Tous. Je me souviens ce sentiment d'oppression, de mal être: j'allumais la radio, la tv, les actualités sur internet et j'entendais un discours haineux, insultant. J'étais une personne contre-nature, pédophile, incapable de fonder une famille, et j'en passe. J'arrivais, malgré tout, à prendre du recul.

A ce même moment, un groupe de paroles s'ouvraient à l'école autour des religions. Les étudiant*e*s croyant*e*s se retrouvaient pour partager autour de leur religion respective, et parler de leur similarité, de leurs visions différentes. Non croyant, je trouvais l'idée extraordinaire. C'est à ce moment là, que je me suis dit que quelque chose de similaire pouvait se faire avec la communauté LGBT. Mon idée de départ, à l'image d'autres grandes écoles, était de fonder un groupe de parole des étudiant*e*s LGBT et 'LGBT-friendly', pour discuter de nos expériences, de l'homophobie, de l'acceptation de soi, et permettre de donner une tribune à celles et ceux qui n'arrivaient pas à s'exprimer. C'était aussi l'occasion de trouver un refuge auprès de celles et ceux qui vivaient aussi quotidiennement la violence médiatique et la parole homophobe.

C'est alors que je prends rdv avec la coordinatrice des associations et clubs étudiants de l'école, afin de discuter des modalités de création du groupe de parole. La personne me reçoit et est catégorique : elle refuse. Voici l'argumentaire que l'on me donna : "Tu sais, j'ai peur que ce genre de groupe de parole ne vous mette sur le devant de la scène, et que vous vous exposiez à des réactions violentes. Ouvrir un "club gay" ne fera que vous stigmatiser, je pense mieux qu'il faut que vous vous retrouviez en dehors de l'enceinte de l'école, et parlez a votre entourage si vous en avez le besoin". Les bras m'en tombaient, quand je repense à ce discours, j'ai envie de hurler. Je n'étais pas un grand militant à l'époque, époque qui était différente certes, mais je subissais de nouveau ce que j'appelle de l'homophobie passive, du rejet. L'école que je considérais comme un havre de solidarité, me faisait face, et me demandait de me taire et de me ranger. Sans le vouloir, cette personne a mis le doigt sur ce qui n'allait pas : elle avait peur de l'homophobie que cela pouvait déclencher, preuve que l'homophobie était bien présente. D'ailleurs, l'école laissait librement un élève arborer le pull de La Manif pour Tous pour aller en cours. Cet élève, vous l'aurez compris, c'est celui dont je vous parlais au début. Je m'étais d'ailleurs plaint auprès de l'administration, en disant que ce genre de signaux n'avaient pas leur place au sein de l'école, et qu'il pouvait être offensant pour les étudiant*e*s LGBT. L'école n'a rien fait si ce n'est lui dire de faire attention. On laissait s'exprimer une parole violente, on bridait celle de l'entraide, de la solidarité, de l'amour.

Je ne me suis pas battu à cette époque, je ne me sentais pas de porter seul ce combat qui me semblait perdu d'avance. 8 ans après, la colère est revenue. Moi qui prône le pardon, qui comprend que l'époque était différente, qui suis reconnaissant de la formation que j'ai reçu auprès de cette école, j'ai aujourd'hui le besoin d'écrire ma colère, pour l'évacuer. Je ne pointe personne du doigt, je ne suis pas là pour dénoncer un comportement ou discuter du point de vues des autres. 8 ans plus tard, j'ai juste ce sentiment d'impuissance que je dois affronter. Je cherche aussi, plus ou moins inconsciemment, le soutien et le pardon de celles et ceux qui m'ont accompagné ces années là et qui n'ont rien su.

Je me suis demandé si LinkedIn était l'endroit le plus approprié pour parler de cela, mais j'ai écouté mon intuition: "Parle de ton expérience aux autres, ouvre ton cœur pour leur faire ouvrir les yeux, et fait de ta colère un message d'amour et de tolérance".

Aimez-vous les uns les autres

Olivier


Christine BELLOT

Gestionnaire documentaire

3 ans

Très beau texte. Le monde change, mais malheureusement certaines choses ou pensées restent bloquées du côté du cerveau reptilien.j'ai toujours eu du mal avec ceux que la peur de l'inconnu et de la différence rendaient agressifs et harceleurs. Un jour peut-être l'homme saura aimer et accepter 🙏

Très beau texte Olivier. Je pense que ton texte est tout à fait approprié sur LinkedIn comme on peut observer des comportements similaires en entreprise. J'ose espérer que les institutions et entreprises françaises s'engageront un jour réellement face aux intolérances et seront de véritables safe-spaces pour tous et toutes.

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