Relancer la dynamique créative

Relancer la dynamique créative

L’enjeu de la créativité rejoint sous de nombreux aspects celui de l’évolution humaine: porter un regard différent, imaginer un concept novateur, c’est s’extraire du connu et s’ouvrir aux autres possibilités du présent, aux scenarii repliés dans l’instant qui n’attendent que notre regard pour ré-inventer demain.

Cependant, l’enjeu de la créativité va à mon sens bien au-delà de la capacité de faire émerger l'inédit. 

Plus qu’une aptitude, accéder au gisement intérieur de ses ressources personnelles, exprimer et concrétiser ses élans imaginatifs est un enjeu identitaire pour l'être humain. Les animaux s’adaptent. Les humains créent sans limite, portés par leurs désirs, leurs émotions, une imagination prodigieusement fertile… et leur besoin d’exprimer dans le monde extérieur les couleurs particulières de leurs élans intérieurs.

C’est également un enjeu déterminant pour les entreprises qui ne peuvent se priver d’une telle dynamique de développement business autant qu’humain.

Cependant, la vie des grands artistes en témoigne… accéder aux élans créateurs ne coule pas vraiment de source…

Aussi ai-je eu envie d’inviter dans ce débat, l’un d’entre eux, un artiste humoriste, autrefois connu pour ses délicieuses improvisations: John Cleese, des Monty Python.

Selon John Cleese, nous pouvons décrire la façon dont les personnes fonctionnent selon 2 modes: Ouvert et Fermé. De la dynamique contradictoire de ces 2 modes opératoires émergent l’inspiration créatrice, porteuse d'innovations, autant que la capacité de la concrétiser efficacement. Ensemble, ils ouvrent la voie à la performance. En découle une intéressante grille de lecture pour décrypter les dynamiques créatives à l'oeuvre dans l'entreprise et proposer des voies de développement de la performance individuelle et collective.

Le mode de fonctionnement dit "Fermé"

Le mode Fermé privilégie l’action et l’exécution: dans ce mode, chacun exerce son savoir-faire, ses compétences techniques en vue d’atteindre un objectif clair. Délibérément centré sur les tâches à accomplir, ce mode de fonctionnement favorise la clarté de l’action, son efficacité, bref, l’excellence opérationnelle. C’est aussi une façon d’être à soi, à son environnement, dans laquelle le « Faire », une certaine dose d’impatience, voire de tension nerveuse dominent et absorbent la plus grande partie de l’énergie de la journée. Nos fameuses ‘To Do lists’ sont les ambassadrices de ce mode de fonctionnement.

Mais si leur efficacité reste au-dessus de tout soupçon, résistons-nous pour autant à l’impérieuse nécessité de les raturer au plus tôt pour faire quelques détours…créatifs?

Détours en mode Ouvert…

D’une certaine façon, le mode Ouvert est tout ce que le mode Fermé n’est pas: la tension vers l'objectif est faible, les To do Lists absentes, la volonté d’efficacité fait place à l’errance curieuse de ce qui émerge, aux explorations désintéressées, au jeu, aux émotions et autres subjectivités qui nous lient, nous rendent vivants, créent du mouvement, du neuf. Ce sont maintenant l'exploration et la curiosité qui absorbent la plus grande partie de l'énergie disponible.

Le mode Ouvert est d'abord une invitation à la rencontre de son univers intérieur: nos réflexions bien sur mais aussi nos intuitions, ressentis, envies, imaginations, images intérieures, rêves. C'est une invitation à rencontrer cette intelligence non-rationnelle qui s’exprime au-delà des mots et du principe de causalité et à percevoir ce qui cherche à se frayer un chemin vers notre conscience. Quels liens ces matériaux vivants peuvent-ils avoir avec la situation qui les contient? Et si on osait envisager leur intérêt, leur valeur, où cela nous mènerait-il..?

Car l'intelligence non-rationnelle (que certains attribuent au cerveau droit) est bien mieux armée pour gérer la complexité, entretenir les dynamiques d'adaptation, créer des liens et solutions imprévisibles (ne serait-ce pas cela l'innovation...?) que l'intelligence rationnelle (habituellement associée au cerveau gauche) dont la nature causale et linéaire limite l'exploration aux champs de la logique cartésienne.

Le mode Ouvert est aussi une invitation à rencontrer l'univers de l'autre: les interactions agissent comme un catalyseur pour peu que l’on s’affranchisse du jugement et des a priori et que l’on fasse, à chaque instant, le choix de la curiosité: explorer pour le goût d’explorer, par simple jeu, juste pour voir où cela mène, soutenus par un cadre sécurisant… 

Le jeu en particulier permet de rejoindre un espace de détente intérieure, un niveau de stress compatible avec l’émergence d’idées nouvelles. Il favorise la naissance de liens subtils avec l’éco-système (les relations en général s'en trouvent améliorées), liens desquels émergent naturellement confiance et motivation (NB: les neurosciences mettent en évidence que la motivation active le cerveau limbique, dit émotionnel ou encore droit). La cohésion d'équipe est un effet collatéral bien connu du jeu, et plus largement du fonctionnement en mode Ouvert.

Pour que ce mode Ouvert puisse tenir ses promesses dans nos sociétés tournées toutes entières vers l’action, il est nécessaire de lui faire volontairement de la place, de protéger son espace, car notre besoin d’être rassuré par une solution, une action, une décision rapide fragilise le processus d’ouverture nécessaire à la créativité. 

Nombre d’entreprises/équipes/personnes ne sont pas en capacité d’ouvrir un espace de «jeu» dans un contexte professionnel submergé par les objectifs et les challenges, les pressions diverses, de s’y sentir suffisamment à l’aise pour oser rêver de nouvelles voies. D’autres ont naturellement recours à ce type de démarche. La tentation peut être grande de considérer que seuls certains éco-systèmes jouissent de potentiels d'innovation et de s'y résigner. Pourtant, chaque marché est façonné par des réponses plus ou moins originales à des besoins identifiés. Et chacun peut décider de proposer ses propres réponses en s'autorisant à cheminer vers son potentiel créatif.

Sans doute cette démarche requiert-elle quelques sacrifices: certaines croyances et a priori sur ce qui génère performance et efficacité ont certainement besoin d'évoluer, ainsi que l'art et la manière de gérer son stress. Faire l’expérience positive d’autres paradigmes permet de de commencer le deuil de ce qui est devenu contre-productif mais reste solidement ancré dans les habitudes et croyances. Car même si le mode opérationnel en "sur-régime" consume l'énergie des forces vives de l'entreprise, il reste néanmoins plébiscité.

Mon expérience personnelle m'invite à considérer qu’en fin de compte la capacité créative de chacun dépend du niveau de stress toléré et de notre capacité à le gérer efficacement. Derrière ce terme générique de 'stress', se tapit à mon sens beaucoup de vulnérabilité, une allergie à ce sentiment souvent inconscient, un besoin irrépressible de l'éviter qui nous précipite dans des réactions formatées qui finissent par hypothéquer l'avenir. Pourtant, la vulnérabilité peut aussi être considérée comme un panneau indicateur vers nos capacités créatives…

La gestion de sa vulnérabilité: vers notre force créatrice.

La vulnérabilité est inhérente à la nature humaine. Et comme en atteste le prodigieux développement de l’homme sur la planète, elle est un formidable moteur pour devenir puissant et créatif. Les travaux d'A.Damasio mettent en évidence le rôle conjoint de la vulnérabilité et de la recherche de satisfaction dans notre développement (voir son livre: The Strange Order of Things). Continuer à considérer la vulnérabilité comme une intolérable faiblesse humaine ne rend en rien justice à tout ce que cette émotion nous a permis d’accomplir. Les émotions sont de formidables moteurs de changement pour peu qu’on apprenne à les gérer comme une source d’information et d’énergie.

Ce qui nous rend plus humains nous rend plus forts en nous donnant l’occasion d’établir une relation plus consciente avec nous-mêmes et de conquérir par là-même des ressources inédites et singulières, enfermées jusque là en zone inconsciente. 

Il est nécessaire d’apprendre à apprivoiser ce ressenti inconfortable, à le gérer en conscience pour gagner cet espace intérieur où se niche le renouveau. L’ego, le mental ne pensent qu’à fuir cet espace en devenir et retourner dans le connu, aussi asséché soit-il par des tentatives infructueuses de reproduire sans cesse un schéma familier et terne. Y résister permet de se renouveler, de croitre personnellement et collectivement. C'est une source précieuse pour la performance et la créativité.

Conclusion

De la capacité de chacun à fonctionner en mode Ouvert dépend la capacité de l’entreprise à se ré-inventer chaque jour, à développer et exploiter ses richesses (particulièrement ses richesses humaines), à vivre avec une certaine confiance la complexité et l’incertitude inhérentes aux environnements actuels.

La dynamique créative est un gisement d’énergie dont l’entreprise ne peut faire l’économie. Préserver l’alternance des cycles Ouvert-Fermé dans le fonctionnement des équipes, s’attacher à la qualité de chacun d’eux, renforce aussi bien la performance que la motivation et la cohésion d'équipe. C'est une stratégie gagnant-gagnant pour l'entreprise autant que pour son capital humain.

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