Rendons à Abraham Maslow ce qui lui appartient : la pyramide n'existe pas.
La pyramide de Maslow n'a jamais existé, n'a jamais reçu l'aval de Maslow. C'est une invention "des vendeurs de conseils" qui envahissent les entreprises sans avoir lu correctement les auteurs dont ils s'inspirent. C'est pour cela qu'aucune politique RH ne peut se fonder sur la "pyramide".
Maslow parle de hiérarchie des besoins. Tout le monde connaît sa conception : l'individu répond à un ensemble intégré de motivations, les plus fondamentales (liées à la survie) étant physiologiques. Une fois satisfaites, l'individu peut se tourner alors vers des besoins plus élevés : sécurité, amour, appartenance, identité, estime de soi. Et une fois ceux-ci comblés, les besoins cognitifs (savoir, sagesse..) et esthétiques s'expriment. Seulement, bien sûr, si les conditions matérielles, le contexte historique, économique, environnemental, social, le permettent. Et ces besoins se mêlent, se retournent, s'étiolent ou se ravivent selon les circonstances et la vie.
Pour Maslow, l'individu vit pour réaliser son potentiel. C'est parce qu'il pense que l'individu est poussé à chercher la plénitude de son potentiel d'être humain (il est évolutionniste) qu'en référence à sa construction des besoins, l'on a résumé - à la hache - sa pensée par une pyramide. Alors que ces besoins ne cessent de fluctuer tout au long de la vie, et que rien ne peut mécaniquement les faire évoluer de manière linéaire.
Enfin, Maslow - comme Rogers - pense que cette "actualisation", cette quête continue et inconsciente de l'individu vers son épanouissement global d'être humain, constitue un processus naturel de l'organisme humain. Mais selon lui ce processus se déroule sans le recours à aucune structure sociale. Au contraire, pour Maslow, la société constitue un élément d'obstruction à la réalisation du potentiel, de Soi, dans la mesure où "elle contraint souvent les individus à renoncer à leur unique développement et à accepter des rôles inadéquats, figés dans un conformisme étouffant" . (1)
L'entreprise est donc bien le dernier lieu où les besoins les plus élevés de la "dite" pyramide de Maslow - l'état de satisfaction, de plénitude de l'Etre étant atteint - peuvent se réaliser, tant les contraintes, les règles, la "culture" même des entreprises s'opposent toujours à ce qu'il y a de plus profond en chacun d'entre nous.
Par ailleurs, Maslow précise que "l’état de satisfaction se révèle n’être pas forcément un état de bonheur ou de contentement garanti. C’est un état incertain qui soulève plus de problèmes qu’il n’en résout".
Il poursuit par : « Mais nous savons que les individus accomplis, même si leurs besoins fondamentaux ont été satisfaits, trouvent leur existence encore plus riche de sens parce qu’ils peuvent vivre, pour ainsi dire, dans le domaine de l’Être. La notion ordinaire, courante, d’une vie digne d’intérêt est donc fausse ou au moins immature » (2). Ce point de réalisation pleine de l'individu ne peut se réaliser que quand l'environnement extérieur et intérieur a été sécurisé.
Et cet état de plénitude est fragile, incertain, Pourtant, c'est l'état où l'individu selon Maslow est authentiquement humain, En d'autres termes, ce qu'il y a de plus humain en nous est peut-être ce qu'il y a de plus fragile.
Or la fragilité, ce n'est pas ce qui intéresse les entreprise, avouons le! Et l'entreprise, d'après mon expérience, se fout complètement - en dépit de ses invocations aux valeurs - de l'humanité si les résultats sont là, et si l'individu adopte les comportements validés par l'entreprise et non nuisibles dans la société.
Donc, laissons Abraham Maslow à sa place et ne l'invoquons pas régulièrement pour de soi-disant politique managériale : qui a rencontré une entreprise s'appuyant sur ("la pyramide de") Maslow pour motiver ses salariés? Moi, jamais - mais je ne suis pas omniscient.
Alors, contentons-nous de contribuer à créer et maintenir un contexte dans lequel l'individu au travail dans une entreprise puisse vivre correctement de son travail, soit assuré de sa sécurité physique et psychique, soit respecté, reconnu tant par la politesse quotidienne que par l'écoute, ne soit sujet d'aucune manipulation, voit son développement professionnel permis par la prise de responsabilité, la formation, l'émulation créative, l'autonomie. Et évitons les "bullshit jobs" et les organisations bureaucratiques. Ce sera déjà beaucoup!
Michel Bichet
(1) Je dois beaucoup pour la rédaction de cet article à la lecture d'Irvin Yalom et de Thierry Tournebise. (2) Devenir le meilleur de soi-même. A. Maslow
Senior Management Expert, Lecturer "Public policies" ENA
1 moisPourtant elle continue à être enseignée dans le secondaire comme dans le supérieur par bon nombre d’enseignants qui n’ont jamais lu Maslow!
Psychologue.
5 ansJe vois cette pyramide encore très utilisée en formation. Pédagogiquement elle garde un intérêt, simple et facile à intégrer. Elle plait beaucoup aux formateurs et aux stagiaires. Scientifiquement elle est fausse, on le sait depuis longtemps.
Chargé de projet chez ENAC-Ecole Nationale de l'Aviation Civile
5 ansEt puis la pyramide Maslow quel beau modèle. L'idée qu'elle a été faite à l'insu du plein gré de son concepteur c'est quand même la cerise sur le pompon. Excellent... 🍒😜
Conseillère et maîtresse de cérémonie funéraire (« Grande oreille, fine analyste & pédagogue-née », à ce qu’on dit...)
5 ansEt oui... Merci à Michel Bichet et à toi, Grégory, pour cette intéressante mise au point ;-)
Consultante Développement durable des organisations et des compétences i3L Animatrice APM
5 ansOui Michel Bichet, réhabilitons Maslow dont la hiérarchie des besoins, variable tout au long de la vie, est bien plus riche, dynamique, moins inéluctable et moins simplificatrice, que l’ascension d’une pyramide monolithique. Le sujet d’étude prioritaire de A.MASLOW était la santé mentale des individus, hors contexte de l’entreprise. D’où la plus grande prudence dans l’usage de cette théorie pour manager. A mon sens, le sujet de ‘la plénitude’ étant très personnel, il n’y a en fait même pas d’opposition : devoir (parfois) jouer différents rôles ne doit pas conduire à un enfermement ou à un quelconque renoncement, mais bien au contraire à l’exploration de toutes nos possibilités au contact de notre environnement ?