Représentations de la fonction publique et Administration 2.0 : Rien de nouveau (?)
"Les Douze Travaux d'Astérix" Dargaud Films René Goscinny Productions Studios Idéfix (1976)

Représentations de la fonction publique et Administration 2.0 : Rien de nouveau (?)

L'Administration est vue dans la culture comme une entité instrinsèquement complexe et bureaucratique.

Héritage du succès du "Procès" de Kafka, l'Idée d'une administration kafkaïenne absurde jusqu'à la folie, s'incarne dans diverses productions culturelles.

Si les francophones penseront indéniablement à "La Maison des Fous" des 12 Travaux d'Astérix ("Le laissez-passer A38!!"), les anglophones et/ou les passionnés de science-fiction eux auront à l'idée la civilisation Vogonne créée par Douglas Adams.

En plus d'être le plus médiocre poète de l'Univers, le Vogon est une créature procédurière au point qu'aucun individu "voyant sa grand-mère se faire attaquer par une bête féroce ne lèverait [...] le petit doigt pour la défendre « sans un ordre écrit, contresigné en trois exemplaires, expédié renvoyé requis perdu retrouvé, soumis à enquête publique, reperdu et finalement enterré durant trois mois dans la tourbe avant d'être recyclé comme allume-feu".

L'incarnation suprême de cette absurdité se cristallise dans le formulaire, le document à remplir, parfois rempli de formules alambiquées qui causent à l'Administré sinon des cauchemars, du moins un manque d'enthousiasme notable (y compris pour les Administrés ayant la qualité d'agent public, eux aussi soumis, comme chacun, à de la "paperasserie" dans leur vie privée).

Et la "réciproque" interne du formulaire est la note administrative, que l'on apprend à rédiger au sein des IRA notamment.

Sur ce point Balzac fait dire à l'un de ses personnages des "Employés", jugeant les moeurs administratives des pays étrangers : "  Pauvres pays,  je me demande comment ils peuvent marcher [...] sans le Rapport et le Mémoire, sans les circulaires, "

Mais, tout honorable que soit leur analyse, voire leur caricature de la société bureaucratique telle que théorisée par Max Weber, Messieurs Kafka, Adams, et Balzac n'ont pu prévoir :

- D'une part l'arrivée du numérique et des nouvelles technologies permettant la dématérialisation /ou de l'intelligence artificielle dans le monde de l'Administration publique.

- De l'autre, l'émergence de nouvelles formes d'action publique, moins formalisée (Je pense notamment aux "documents de portée générale" tels que définis selon le faisceau d'indice de l'arrêt CE 12 juin 2021 "GISTI") ou en lien avec le numérique (Je pense à Beta.gouv.fr, aux "start up d'Etats" ou des organismes tels que VIGINUM)

Bien que l'arrêt "Danthony" et ses déclinaisons casuistiques ait pu contribuer à donner , d'une certaine manière, une "bouffée d'oxygène" en ne reconnaissant un vice de procédure permettant l'annulation de la décision que si ce vice ait ", une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ", on peut penser que la conception "kafkaienne" (ou "vogonne" si vous êtes "geek/geekette") demeure dans l'inconscient public.

Ceci est d'autant plus renforcé du fait de la dématerialisation et de la fracture numérique, causes, selon le Défenseur des Droits, d'inégalités dans l'accès au service public. Cela alors que tous les citoyens sont égaux devant lui (Conseil d'Etat, Section, du 9 mars 1951, 92004, publié au recueil Lebon Société des Concerts du Conservatoire pour l'arrêt "canonique") , comme devant la Loi (Article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789).

Est-ce du fait de cette image kafkaïenne que l'on ne voit pas de campagne de recrutement pour la Fonction Publique en général? Les Ministères des Armées et de la Justice nous montrent qu'il est possible de faire des campagnes de recrutement pour les métiers de l'Armée de Terre, de l'Armée de l l'Air, de la Marine nationale ou de l'Administration pénitentiaire.

Ces campagnes étant également diffusées sur la voie publique (via des tableaux défilants ou des panneaux de mobilier urbains) et visent métiers étant accessibles à tout niveau de diplôme, du brevet des collègues au doctorat.

Pour ce qui me concerne, j'avais de l'Administration une image d'Epinal, celle que l'on à tous : celle des "Ronds de Cuir" de Courteline. Ce n'est que parce que j'ai été plusieurs fois contractuel et ait fait des rencontres professionnelles et humaines avec des personnes aux parcours riches et variées que j'ai tenté le concours de l'IRA...et ait travaillé pour l'obtenir. Et si j'ai été encouragé par ces personnes, j'encourage aussi, à mon tour, d'autres personnes à préparer des concours, quel qu'en soit la catégorie.

Les "Administratifs" n'ont pas contrairement aux personnels des armées et de la Pénitentiaire, ne portent pas d'uniforme dans l'esprit du public. Tout au plus les agents de la Préfectorale peuvent être identifiés car portant parfois un uniforme distinctif du "costume-cravate" que l'on rattache à tout "cadre" (du secteur public ou privé).

Cet uniforme est fixé par l' arrêté du 11 décembre 1996 fixant la tenue d'uniforme des fonctionnaires du corps préfectoral (modifié)....mais je doute que le grand public maitrise la différence entre :


  • Un préfet de département;
  • Un préfet de région;
  • Un sous-préfet;
  • Un secrétaire général de préfecture;
  • Un préfet de zone de défense;


.

Faut il que les fonctionnaires de la fonction publique d'Etat portent l'uniforme afin d'être bien identifiés?


N'allons pas jusque là: une telle question est déja expérimentée vis à vis des élèves d'âge scolaire et il serait contre-productif de créer une "Table des rangs" à la française : Nikolaï Gogol nous a montré, en riant, les risques d'un tel concept (dans "Le Revizor" notamment)


Cependant interroger l'image renvoyée par l'Administration et comparer cette image avec d'autres "administrations en tenue" davantage identifiées par les citoyens (militaires, forces de l'ordre, magistrats...qui ont un droit restreint voire nul à la grève) me semble une question digne d'interêt.

On pourra me dire que le rôle de l'Administration...est d'administrer et non de renvoyer une image : A ces voix, je rappelerai que tout agent public doit se montrer exemplaire dans son comportement vis à vis du public et de ses collègues (subordonnés comme supérieurs...) et surtout, "L'agent public a le devoir de satisfaire aux demandes d'information du public, sous réserve [...]" (article L121-8 CGFP) du respect de ses devoirs de discrétion et du respect du secret professionnel.

Cette relation avec le public (même lorsque l'agent n'est pas directement en lien avec des usagers) gagnerait à être enrichie par une réflexion autour de l'image générée par l'Administration. Si divers démarches visent à améliorer l'efficacité et perfectionner le travail de l'Administration ("Qual.e.pref", "Charte Marianne" "ServicesPublics+" pour ne citer que quelque noms) cette réflexion peut être utile pour faire évoluer l'image "kafkaïenno-vogonne" d'une Administration souvent méconnue et mal comprise des usagers. Si ceux-ci sont le premier public de l'Administration, ils peuvent aussi constituer un potentiel vivier de recrutement.

A l'heure ou, selon la DGAFP "Le renforcement de l’attractivité de la fonction publique est un véritable enjeu afin d'attirer et fidéliser les talents dans les administrations." cette réflexion, à mon sens, mérite qu'on lui consacre du temps. Ceci bien que "le temps" soit une denrée précieuse qui manque parfois dans la vie quotidienne d'un service.


#fonctionpublique #administration #usagers

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