Requiem Pour une Classe Politique Vieillie, Fatiguée et Sans Projet !

« Je ne reconnais…plus ma terre, jadis rebelle, aujourd’hui travestie, soumise à la terreur des ombres, endormie dans la moelleuse routine et subversive ».(Frankétienne, Fleurs d’insomnie : spirale)

Par Joël Léon

L’histoire des partis politiques en Haïti n’est pas éblouissante. La première expérience de partis politiques en Haïti de 1870 à 1883 fut un désastre. Le parti libéral ayant pour devise « Le pouvoir aux plus capables » et le parti national « Le pouvoir au plus grand nombre», furent de courte durée, laissant derrière eux des cadavres voire la honte. Ils s’affrontèrent en permanence, libéraux et nationaux, et sans répit pendant une décennie pour disparaître dans l’historique boucherie de la ville de Miragoâne. Dans cette localité a eu lieu le premier holocauste inter-haïtien. Et pourtant, ces deux tendances, si elles étaient animées de l’esprit de la tolérance et patriotisme, auraient pu donner naissance à cette Haïti pour laquelle nous nous battons encore aujourd’hui.

La classe politique haïtienne qui, théoriquement devrait être le fer de lance des idées de progrès dans la société civile et synonyme d’élite politique s’est claquemurée dans une circonférence de haine implacable depuis la fondation de la nation. Ce qui a occasionné l’assassinat honteux du père fondateur, Jean Jacques Dessalines, le 17 octobre 1806, soit deux ans après fait d’Haïti, le premier état nègre. Depuis lors, la classe politique haïtienne paraît le principal obstacle au développement du pays.

Les politiciens haïtiens, toutes tendances confondues, à part quelques rares exceptions, sont des adeptes incontestés et avérés du pouvoir personnel. Ceci explique le morcellement à profusion du paysage politique à travers la multiplication d’une bande de chefs tribaux, rendant ainsi impossible toute émergence d’institutions politiques crédibles au niveau national. En plein 21e siècle, Haïti ne s’est toujours pas dotée d’organisations politiques capables de la mener à la démocratie et au progrès. En résumé, ce sont des chefs féodaux qui contrôlent encore l’arène politique en Haïti.

Dans ce cas, peut-on parler d’une potentielle classe politique en Haïti ?

Oui. Cependant, elle est gangrenée par des années de dictature qui réprimait toute pratique démocratique et organisationnelle hypothéquant ainsi le fonctionnement d’une vie politique normale. L’homme politique haïtien se trouve prisonnier d’un héritage politique personnellement profitable dont il refuse de se défaire. Donc, la politique est devenue un domaine réservé aux adeptes du statu quo, c’est à dire des coquins qui la perçoivent comme « la science de l’opportunité». Que peut- on attendre d’une pratique politique pareille ?

Absolument rien. D’abord, la notion collective est totalement inconnue du vocabulaire des politiciens haïtiens. Le seul concept qui est véhiculé et maîtrisé dans son art consommé dans le milieu politique, c’est le clanisme (tikoulout). Avec cette vision limitée et archaïque, les politiciens locaux sont incapables de concevoir la nation comme «une» et «indivisible». D’où l’incapacité de la classe politique de produire des théories universelles, voire un plan national, intégrant tous ceux qui vivent à travers l’espace géographique et juridique de l’entité qui s’appelle Haïti.

Restons après les événements de 1986. Plus besoin d’aller plus loin. Une dynastie avait été contrainte à prendre la fuite sous la menace d’un peuple mécontent et furieux. Moins de 30 ans après, le dictateur Jean Claude Duvalier retourna triomphalement en Haïti et posa une question pertinente aux politiciens du moment « Qu’avez-vous fait de mon pays?». Aujourd’hui encore, sept ans après, on n’est pas en mesure de donner une réponse à cette question, pourtant très facile : les hommes politiques ont, à l’unanimité, conduit le pays à l’échec.

Le pouvoir personnel, le tribalisme, l’incompétence et la gloutonnerie n’ont jamais rendu aucune nation fonctionnelle. Je viens de démontrer que la classe politique d’Haïti est incapable de percevoir la nation comme un bien collectif. De ce fait, elle est logiquement incompétente de pouvoir formuler des politiques publiques favorables à l’ensemble du pays. Mais, qu’en est-il des exilés qui vivaient dans les grandes capitales occidentales pendant des décennies qui retournaient au pays après Duvalier? S’agirait-il d’un mal haïtien?

Oui, ils étaient retournés massivement au pays après le 7 février 1986. Cependant, ils ne l’avaient pas effectué de façon organisée. C’est à dire en fonction d’un plan préétabli par une organisation quelconque ni avec un objectif clair de reconstruction nationale. En guise d’amélioration, ces politiciens avaient contribué à rendre le climat politique beaucoup plus explosif et polluant, en emportant avec eux la haine traditionnelle. Ils avaient transformé Haïti en un dangereux terrain de confrontation du type Est VS Ouest, au détriment d’une «pensée haïtienne». Quoique la guerre froide eût bel et bien terminé 3 ans après la fin de la dynastie duvaliérienne, une expérience de 40 ans, dont Haïti n’avait rien bénéficié, sinon que des milliers d’assassinats politiques et la fuite massive des cerveaux vers l’étranger. Les politiciens maintenaient un climat similaire dans le pays, une façon de soutirer de l’argent et de l’influence des États-Unis d’Amérique, qui vivaient encore dans la paranoïa communiste.

Au 21e siècle, rien ne bouge. La classe politique haïtienne a un seul projet/plan politique pour tout, une sorte de passe-partout: le «déchoukaj» systématique de tous les gouvernements, légitimes ou non. Pas question de négocier une sortie honorable et pacifique d’une «crise», parce qu’ils sont tous animés par le même esprit de pillage de l’état. En 2018, ils proposent à la nation le même remède improductif de 32 ans qui a foutu le pays là où il s’enlise: le renvoi de l’actuel exécutif. En passant, il faut admettre que c’est « le ridicule qui est au pouvoir» en Haïti, ces messieurs et dames qui sont aux affaires ne font rien d’autre que donner le dernier coup de grisou aux masses populaires en détresse. Ces politiciens s’octroient un nouveau nom, le dernier en date, pour poursuivre leur forfait: « opposition démocratique et populaire».

L’opposition c’est quoi en Haïti?

Une bande d’opportunistes, sans foi ni loi, qui s’impatientent d’accaparer le pouvoir pour piller le trésor public. Haïti est l’un des rares états ou l’opposition ne représente pas une alternative viable à la nation sur laquelle on pouvait compter, mais la continuité dans les dérives traditionnelles. On dirait qu’il y a un concours à savoir qui peut voler plus d’argent du trésor public ou réprimer plus de personnes, ou ridiculiser le peuple haïtien le plus pour qu’on soit le champion national de la bêtise. Après 32 ans, certains pensent que les Duvalier n’étaient pas trop voleurs que ça. Quelle ironie!

Oui, si les Duvalier ont pu gaspiller et voler deux milliards de dollars pendant 28 ans, René Préval, Michel Martelly et Jocelerme Privert le font dans sept ans, et ceci deux fois plus, soit quatre milliards de dollars. La classe politique haïtienne, droite et gauche, appauvrit le pays sans aucune retenue. Si dans le temps, les dilapidateurs du trésor public se rendaient à l’étranger pour jouir de leur crime, tout simplement par pudeur, les politiciens d’aujourd’hui l’exhibent devant tout le monde. Ils roulent en Ferrari à l’intérieur du pays. Ils construisent des châteaux dans les hauteurs. Ils sont tous propriétaires d’hôtels en Haïti, en République dominicaine, à Costa Rica et à Honduras.

L’opposition haïtienne, dans son écrasante majorité, est contre la nation. Elle ne croit pas à un autre avenir pour le pays. C’est pourquoi presque tous ses membres envoient leurs épouses et enfants vivre à l’étranger. Maintenant, ils sont libres de tout démolir. Opposition d’aujourd’hui, pouvoir de demain, ils font la même chose: détruire les institutions nationales, dilapider les caisses de l’État, prostituer la jeunesse et salir l’image du citoyen haïtien dans le monde. C’est un cercle vicieux. Le peuple est au milieu tout désespéré et confus, victime de 200 ans d’histoire sordide, ne sachant à quel saint se vouer, car la peste affecte tout le monde.

Voilà l’ossature de l’opposition qui revendique le pouvoir aujourd’hui. Elle est composée d'anciens présidents, ministres, Premiers ministres, directeurs généraux, conseillers présidentiels, sénateurs de la république, députés du peuple, maires…Tous ont laissé derrière une administration échouée, sans aucune décence, pitié et pudeur. Ils veulent reprendre le pouvoir. Pour faire quoi?

La classe politique haïtienne a atteint un seul objectif pendant les 3 dernières décennies: créer de nouveaux millionnaires. Tous ceux qui se sont défilés au pouvoir produisent leurs lots de nouveaux millionnaires. Entre temps, la misère s’accroît exponentiellement partout dans le pays. Ces nouveaux maîtres de l’opposition ne sont pas différents.

En conclusion, c’est que la république est gouvernée par un groupe de pillards prenant l’état en otage. L’alternative, dite opposition, est composée majoritairement d’anciens pillards. Nous sommes en face du dilemme du siècle. Faut-il remplacer les coquins au pouvoir par les anciens coquins de l’opposition? La réponse est simple: laissez- les s’entre-tuer, tout en construisant la vraie alternative nationale de demain.

Joël Léon

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