Responsabilités sociétales dans l’intégration des nouvelles technologies par les entreprises productrices

Responsabilités sociétales dans l’intégration des nouvelles technologies par les entreprises productrices

Problématique

La technologie que nous produisons conditionne la façon dont les utilisateurs interagissent entre eux. Elle a un impact sur la relation à l’autre. Elle conditionne la façon dont nous faisons société. 

L’enjeu est suffisamment important pour qu’il ne soit pas vain de nous intéresser à la façon dont nous la produisons et pour qui.

Les entreprises productrices de technologies sont confrontées à un rythme élevé d’apparition de nouvelles briques (digitalisation, IA, etc.). Elles doivent en permanence questionner la pertinence de les intégrer aux méthodes de production existantes en vérifiant leur propre capacité à se les approprier (maîtrise des savoir-faire, compatibilité avec les actifs de l’entreprise) ainsi que la valeur apportée pour développer des nouveaux produits et services. 

Ces nouveaux produits et services impacteront les clients de l’entreprise (dimensions marchande) mais aussi les salariés (dimension collaborative) qui seront impactés dans la réalisation des processus métiers.  

De l'importance de réfléchir à comment intégrer la technologie

L’intégration de ces technologies dans les entreprises mobilise de l’expertise externe. L’acculturation est opérée par des cabinets de consultants. Les premières réalisations se font par le truchement d’ESN qui apportent les savoir-faire. L’intégration à l’entreprise se fait par internalisation de ressources issues des ESN. Le terrain est généralement préparé par la mise en place préalable de communauté du digitale, de l’IA, avec la promesse de réussir à essaimer les bonnes pratiques dans le reste de l’entreprise. 

L’intégration par la mise en place de communautés peut représenter un risque important. Effectivement, l’entreprise dispose d’actifs préexistants qui mobilisent les équipes sur la continuité opérationnelle.  Ces équipes sont confrontées aux nouveaux acteurs qui remettent en cause les modèles de production. Les décideurs sont confrontés à des attentes divergentes entre les équipes préexistantes perçues comme conservatrices et les porteurs d’innovation qui éclairent un nouveau champ des possibles. 

Les porteurs d’innovation ne se contentent pas d’apporter de nouveaux savoir-faire. Ils apportent aussi  des marqueurs d’identité, une nouvelle langue, des nouveaux codes qui permettent aux membres de se reconnaître entre eux. L’ensemble concourt au renforcement du sentiment d’appartenance avec une tendance au rejet de tout ce qui n’est pas la communauté. Les membres se focalisent sur leur particularisme; ils ne sont plus conscients d’avoir en commun un méta attribut qui pourrait les fédérer au reste des acteurs: celui de producteur de technologie. 

La valeur produite devient le juge de paix qui départage les concurrents. Mais la notion de valeur a des limites assez floues. Elle est plus apte à produire des opinions que des analyses fouillées. La décision repose alors sur un simple ressenti. L’expérimentation empirique devient une preuve qui autorise la généralisation ou le rejet d’une méthode sur la base d’un résultat observé. Le risque est alors réel de remplacer les méthodes de production en s'appuyant sur des croyances (biais de confirmation) ou, par paresse intellectuelle, sur du mimétisme (biais de reproduction). Le choix effectué est hasardeux. Il ne correspond pas à un objectif de transformation. Il ne dit pas quels seront les apports.

La victoire de la communauté conduit in fine à la défaite de tous les acteurs. 

De l'importance d'identifier les destinataires de la technologie

La technologie produite est à destination d’un client. Ce client peut être externe; il achètera le bien ou le service produit par l’entreprise. Il peut aussi être interne; il est le salarié de l’entreprise mobilisé dans la réalisation d’un processus métier qui permet de produire le bien ou le service à destination du client externe. Ici le point de vigilance est principalement lié à la façon dont on outille le client interne. 

La littérature évoque très largement le client externe. Il est le consommateur et l’unique réceptacle de toutes les attentions. Une sorte de divinité versatile qui pourrait se détourner du produit à la première occasion et jeter son dévolu sur la concurrence.

Le client interne, le salarié, est rarement pensé. Il est assimilé jusque là au processus métier. Mais dans le jeu de concurrence qui oppose les acteurs en charge des actifs de l’entreprise à ceux porteurs de l’innovation, il devient un enjeu, un acteur à séduire, pour permettre de départager les différentes approches. La sacro sainte expérience utilisateur, conçue et pensée initialement pour séduire le client externe, opère un glissement vers le client interne.

Or, réduire un client interne à un rôle de consommateur est dangereux. Le client interne est un collaborateur mobilisé dans l’exercice d’un processus. Son environnement technologique offre un cadre d’exécution qui est le garant de la coopération de l’ensemble des parties prenantes à mobiliser. Dans cette approche, le client est plus à former qu’à séduire. La qualité d’expérience qu’on souhaite lui offrir n’est pas destinée à lui faire transformer un acte d’achat mais à maximiser son efficacité dans la délivrance de son expertise. La grille de lecture n’est plus contractuelle, elle est collaborative. 

En changeant de regard, le résultat peut-être diamétralement opposé. En refusant la communauté pour ne regarder que l’apport méthodologique, on obtient une démarche inclusive. On installe une culture du changement continu par l'intégration. On repositionne les consultants dans un rôle de conseil. L’entreprise se réapproprie la décision sur des bases factuelles dégagées par les analyses amont. Les impacts sur les modèles de production, ainsi que le rôle des acteurs, sont regardés. Les efforts de réalignements sont évalués. Les nouvelles technologies sont intégrées pour enrichir les actifs. L’enrichissement des actifs est perçu comme un enjeu de plus haut niveau qui permet d’augmenter la coopération au-delà de ce qui est possible à l’échelle de la communauté. 

De la même façon, quand on réalise un produit ou un service qui va mobiliser le client interne, il faut interroger le collaborateur pour comprendre ses interactions avec les autres acteurs et fluidifier les processus métier. On veillera cependant à ne pas trahir la réalité qui est que le salarié est un contributeur qui s’inscrit dans une chaîne de valeur plus vaste qui offre un cadre d’exécution qui est le seul garant de la bonne coordination de toutes les parties prenantes. 

Vendre un service reste un objectif très différent de celui d’offrir un environnement technologique de travail. Entretenir cette confusion est dangereux pour une entreprise.

Technologie et société

En réfléchissant à ces deux dimensions que sont l’intégration des nouvelles briques et la bonne identification des destinataires, nous pensons l’intention avec laquelle nous produisons la technologie. Pourquoi est-ce important? Parce que la technologie produit de la société. 

Alors que refuser le smartphone restait un choix possible dans les années 90, la disparition des cabines téléphoniques ou encore la dématérialisation des services bancaires ne permettent plus aujourd’hui de s'en passer. Les progrès à venir sont d’un autre ordre. Ils investissent le champ du médical, de la citoyenneté. Hier la technologie accompagnait les capacités humaines. A présent elle vient les augmenter.

L’intention avec laquelle nous produisons de la technologie devient de plus en plus un enjeu de société. Elle peut être conçue pour répondre à un enjeu de coopération; elle sera alors rassembleuse, inclusive et coopérative. Elle peut aussi être conçue pour répondre à un enjeu marchand et répondre à des objectifs de part de marché, de satisfaction d’un segment ou, plus simplement, répondre à une tendance.

Quand le mode de production est concurrentiel, qu’il oppose les méthodes, qu’il fabrique de la défiance chez les salariés alors le résultat est toujours une technologie marchande. Les gagnants du jour seront les perdants de demain, remplacés par la nouvelle communauté qui ne manquera pas d’émerger.

Quand le mode de production est inclusif et qu’il contribue à fédérer les acteurs, alors la technologie produite est collaborative. Elle permet d’accueillir les nouveaux savoir-faire sans mettre en risque les anciens.

Qu’on se rassure, la technologie collaborative a également une valeur marchande. Mais elle dit autre chose du vendeur. Elle évoque la fierté d’un savoir-faire, elle est la marque d’une éthique dans la façon de concevoir les produits et les services.

Gageons qu’il y aura encore de la place pour la coopération et que ce que nous produirons contribuera à contenir les inégalités. Les entreprises ont bien une responsabilité sociétale dont la définition ne doit pas être écrite en ne tenant compte que des lois du marché.

Christelle KAPNANG

Head of Data Culture chez RATPgroup

1 mois

En phase PM👌🏾 Transformation bien sûr, mais à marche responsable, intégrative, collaborative (j’ajouterais transparente) donc centrée sur l'Humain et dans le respect des doers et du savoir-faire existant, si l’on veut qu’elle soit réussie, ie durable et éthique. Pour moi c’est le propre de l’acculturation. « Enrichir » plutôt que « remplacer », en co-construisant avec toutes les expertises internes, me paraît être un engagement crucial car inclusif. Il s’agirait alors de trouver le fameux équilibre entre tradition et innovation. PS: je ne te connaissais pas ce talent de dessinateur 😮

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