Rester “humbles et authentiques” tout en levant des millions : le pari d'Ynsect

Ynsect veut voir fleurir une dizaine de ses fermes verticales à travers le monde d’ici dix ans. Pour mener à bien son ambition, cette entreprise sociale et solidaire s’est lancée dans l’aventure des levées de fonds en France mais aussi à l’étranger. Rencontre avec Antoine Hubert, cofondateur et président d’une entreprise qui veut révolutionner nos façons de produire de la nourriture et d’en consommer.

Alors que l’ONU projette près de 10 milliards d’humains sur Terre d’ici 2050, les scientifiques climatiques alertent de leurs côtés sur les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique. Avec la multiplication des incendies, les inondations et les sécheresses, les surfaces de terres agricoles se réduisent de plus en plus. Comment assurer à la population croissante un accès à une alimentation saine et durable ? Ynsect détient une partie de la réponse.

Financer des travaux, se développer à l’international et développer de nouveaux produits

Fondée en 2011, cette entreprise de l’économie sociale et solidaire élève des insectes dans des fermes verticales capables de produire plusieurs milliers de tonnes de farine de vers par an. Ces protéines sont alors destinées à l’alimentation animale, humaine et peuvent également constituer de l’engrais pour les plantes.

Pour mener à bien son objectif, Ynsect a vu grand. Depuis 2014, l’entreprise a levé plusieurs millions d’euros : 1,8 million à l’occasion de son premier tour, 5,5 millions lors d’un second tour ou encore 14,2 millions auprès du Fonds Ecotechnologies, Future Positive Capital, Quadia, Emertec, Demeter, ou encore New Protein Capital.

Ces trois dernières années, Ynsect s’est attaqué à une autre devise : le dollar, témoignant ainsi des ambitions internationales de cette structure qui veut révolutionner l’alimentation du futur.

En janvier 2019, 125 millions de dollars ont été levés, notamment auprès d’Astanor Ventures, Bpifrance, Talis Capital, IdInvest Partners, et 23 millions de dollars de subventions ont été attribués à Ynsect dans le cadre du projet Farmyng par le BBI JU.

Le dernier coup de maître de l’entreprise date d’octobre 2020 : elle a levé 224 millions de dollars auprès notamment de Upfront Ventures, Footprint Coalition, Astanor Ventures, Happiness Capital, BPI France, banques des Hauts-de-France.

“Nous avons organisé plusieurs levées de fonds entre 2019 et 2020 dans le but notamment de financer les travaux de notre future ferme verticale d’Amiens, et le développement d’Ynsect à l’international”, explique Antoine Hubert, cofondateur et président de l'entreprise. “Les levées de fonds nous permettent également d’anticiper la réflexion et le développement de nouveaux produits au sein de nos laboratoires pour adresser nos différents marchés : les plantes, les animaux et les humains.” D’ici 2030, Ynsect souhaite être présent “sur les trois continents” et passer de 250 collaborateurs en France, aus Pays-Bas et aux États-Unis à 750 d’ici 2023.

En attendant, Ynsect va achever cette année les travaux de sa troisième ferme verticale, basée dans la banlieue d’Amiens. À terme, elle permettra la production de 200 000 tonnes d’ingrédients et la création de 500 emplois directs et indirects.

“D’ici dix ans, nous avons à cœur de voir fleurir à travers le monde une dizaine de fermes verticales, pour continuer à produire localement et répondre aux enjeux de préservation des ressources et d’alimentation mondiale”, détaille encore Antoine Hubert. “Si pour ce faire, des levées sont nécessaires, alors nous les envisagerons pour continuer d’avancer dans notre projet.”

La spécificité d’une levée de fonds à l’étranger

Pour réaliser ces différents succès, Ynsect a misé sur la préparation. “En amont de la levée de fonds de 2019, nous avons travaillé avec des consultants externes pour réaliser des audits sur le marché et son potentiel”, précise ainsi le cofondateur de l’entreprise. “Nous avons été accompagnés par des cabinets juridiques et d’audits mais également des investisseurs. Cet accompagnement nous a permis de mieux appréhender la levée de fonds, et d’identifier les investisseurs potentiels. En interne, nous avons travaillé à présenter notre projet et notre stratégie à ces investisseurs potentiels pour leur faire comprendre les différents enjeux auxquels nous répondons et notre manière d’y arriver.”

L’année suivante, Ynsect a réitéré ce processus, “dans la mesure où cette levée a accueilli nos deux premiers fonds d’investissement américains, nous avons travaillé à intégrer ces nouveaux partenaires et initié notre pénétration de ce nouveau marché”.

En effet, comme le raconte encore Antoine Hubert, “aller chercher des financements à l’étranger nécessite un travail approfondi en amont pour mieux appréhender le marché, découvrir les acteurs incontournables, les enjeux propres à chaque territoire, mais également les législations en vigueur”. Ynsect a par exemple dû s’informer sur “la législation au regard de l’utilisation de protéines d’insectes dans l’alimentation humaine”, puisqu’elle varie d’un pays à l’autre. “Ce travail de recherche et d’audits est donc nécessaire pour mieux faire face à ces nouveaux marchés.”

Trouver son équilibre pour rester “humbles et authentiques”

Mais une fois les levées de fonds effectuées, le travail ne s’arrête pas là, rappelle Antoine Hubert. “En ayant réalisé deux levées de fonds de cette ampleur, il nous a fallu préparer au mieux en amont le changement d’échelle et l’impact que ces dernières auraient sur la vie de l’entreprise”, explique-t-il. “Pour ce faire, nous avons communiqué en interne, auprès des collaborateurs, sur les levées, sur nos actionnaires et sur les raisons qui nous ont poussés à faire des levées. Nous avons aussi organisé des moments d’échange en direct avec les managers puis avec l’ensemble des équipes pour leur expliquer ou réexpliquer la stratégie globale de l’entreprise, pour répondre à leurs questions et leur permettre de mieux appréhender l’avenir.”

Antoine Hubert conseille alors aux entrepreneurs s’apprêtant à changer d’échelle “de bien s’entourer, notamment en termes de managers pour pouvoir se reposer sur ces derniers” mais aussi “de trouver des moments pour partager avec l’ensemble des collaborateurs [les changements au sein de l’entreprise] afin qu’ils se sentent inclus dans le projet et que personne ne soit laissé sur le bord du chemin.” Et d’ajouter : “Pour que le projet avance et marche, il est nécessaire que chacun se sente impliqué, responsable et accompagné.”

Et pour garder ses valeurs malgré cette croissance et ces ambitions internationales, Ynsect mise sur l’équilibre. “À nos yeux, l’équilibre est primordial entre nos parties prenantes, et également en interne : nous avons pour vocation de rester humbles, authentiques”, assure Antoine Hubert. “Nous restons des explorateurs, en quête d’un nouveau modèle. Nos partenaires financiers nous aident dans cette démarche, mais ne prennent pas le pas sur notre vision. C’est aussi grâce à l’ensemble des collaborateurs et leur travail quotidien que nous arrivons à poursuivre notre avancée sans nous laisser happer par l’ambition ou par des doctrines extrémistes”, conclut le président.

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