Retraites: les habits neufs de la grève...
Ca y est, le gouvernement a présenté ce lundi matin en conseil des ministres son projet de loi rectificatif de financement de la sécurité sociale (PLRFSS - le 3è seulement depuis 1996) pour 2023 portant réforme des retraites. Rien de nouveau sous la grisaille de l'Elysée: l'âge de départ en retraite est toujours reporté à 64 ans, le passage à 43 annuités de cotisation pour une retraite à taux plein accéléré, le dispositif des carrières longues aménagé, l'index senior instauré, le minimum de pension à 1200€ par mois pour une carrière complète institué et la prise en compte de l'usure professionnelle pour pouvoir partir avant l'âge légal promise. RAS donc.
Tout se passe comme prévu. La porte des discussions, tant à Matignon chez la première ministre qu'à l'hôtel du Chatelet avec le ministre du Travail, reste grande ouverte et il y a bien évidemment encore "du grain à moudre" sur les détails du projet, pas sur le fondamental. Imaginez un exécutif qui dirait, juste avant le début de la séquence parlementaire: "circulez, y'a rien à voir et à changer dans ma réforme. Les députés n'auront qu'à garder le doigt sur la couture du pantalon et voter sans sourciller un texte sans pouvoir en changer une virgule"... Ca ferait désordre, non ? La révolution garantie... Et il n'y a que les médias pour voir là une ouverture ou un recul lorsque tel ou tel ministre, habilité (par Jupiter ou pas) à parler, s'exprime pour affirmer que sur tel ou tel sujet "des améliorations sont possibles" et qu'il a foi dans le dialogue social. Bla bla bla... On est en plein dans des éléments de langage (EDL) classiques de début de réforme contestée après une première journée de mobilisation, en l'occurrence plutôt suivie.
D'ailleurs, la réussite de la journée du 19 janvier (où 1,12 million de personnes ont battu le pavé en France contre la réforme Dussopt des retraites, selon les chiffres de la Police, les seuls qui vaillent ou les moins bidonnés, c'est selon) n'a pas fait bouger le gouvernement d'un iota. Tout juste la mobilisation lui a-t-elle permis de comprendre que son dessein était assez peu partagé par la majorité de la population, type un sondage grandeur nature. Mais de là à le faire bouger... Que nini! Mieux, il sait déjà les points sur lesquels il va lâcher dans les prochaines semaines lors du débat au Parlement, et ce qu'il y ait du monde ou pas dans les prochaines manifestations, pour bien montrer à l'opinion qu'il ne reste pas sourd et insensible aux signaux envoyés par la rue. "Il faut toujours garder une carte dans sa manche et ne pas l'abattre trop tôt", explique, en connaissance de cause, l'ex-premier ministre Jean-Pierre Raffarin qui a conduit, avec François Fillon, la réforme de 2003.
Et des cartes, le tandem Borne/Dussopt en a plusieurs en réserve: les 1200€ par mois net et non brut de pension minimum pour une carrière complète; les 44 ans de durée de cotisation max ramenés à 43 ans pour les carrières longues ayant commencé à travailler avant 20 ans; un Index Senior un peu plus contraignant pour les employeurs... bref "des sucrettes", comme on dit dans le jargon social, qui vont un peu alourdir la note finale mais pas changer la philosophie globale du texte.
Et il serait faux de croire, comme certains le laissent penser, que c'est l'ampleur des mobilisations à venir qui fera changer de position le gouvernement. Non. Quel que soit le nombre de journées de manifestations à plus d'un million de personnes dans les rues, la messe est dite: Emmanuel Macron, qui n'a pas réussi à faire passer son régime universel lors de son premier quinquennat (faisant de lui le premier président de la République depuis François Mitterrand à ne pas changer la législation et jouer sur les paramètres d'âge et durée), veut sa réforme. Et il l'aura. D'ailleurs, des manifs avec plus d'un million de personnes, il y en a eu par le passé et parfois plusieurs - en 2003 (réforme Fillon), en 2010 (réforme Woerth) ou en 2016 (loi El Khomri) - sans que cela change le sens de l'histoire. Il faut en fait remonter à 2006 pour voir une réforme retirée sous la seule pression de la rue.
Recommandé par LinkedIn
Mais les circonstances, il y a plus de 16 ans, étaient différentes: 1/ la réforme du contrat première embauche (CPE) pour doper l'entrée des jeunes sur le marché du travail n'avait pas été annoncée (elle était sortie de l'esprit fécond du premier ministre Dominique de Villepin) ni concertée (les partenaires sociaux l'avaient découverte quasiment en même temps que les jeunes); 2/ elle touchait spécifiquement la jeunesse que les exécutifs, depuis l'affaire Malik Oussekine en 1986, craignent plus que tout; 3/la mobilisation était venue de la base et les syndicats s'étaient alors raccrochés aux branches, en support et soutien aux organisations de jeunesse.
Rien à voir donc, ou si peu, avec la réforme 2023 des retraites conduite par Olivier Dussopt qui a été annoncée (elle faisait partie du programme de campagne d'Emmanuel Macron), concertée (les syndicats, le patronat et les groupes parlementaires en parlent depuis l'automne et, plus globalement, depuis des décennies si on intègre la pédagogie des réformes précédentes) et dont la contestation épouse les formes classiques des mobilisations syndicales (appel à la grève, manifestations un peu partout en France, débrayages dans les entreprises). Même si la météo sociale est l'une des plus difficiles à prédire, l'analyse factuelle de la situation ne pousse guère à l'optimisme quant à un possible recul du gouvernement... Le côté unitaire de l'opposition, une première depuis 2010 et pour l'heure sur une base minimale (le fameux "minimum syndical" - sic), n'y changera rien.
Et ce d'autant que les temps ont changé. Il ne suffit plus aujourd'hui de bloquer les transports en commun pendant plusieurs jours d'affilée, voire des semaines, pour faire plier un exécutif. Loin de là. Les grèves à la SNCF et la RATP n’ont plus les mêmes poids et pouvoirs de nuisance qu'antan. Pour plusieurs raisons. Primo, des alternatives existent (trottinette, vélo, car Macron, avion…) et permettent de se déplacer, même a minima, quand les trains, les métros, les bus ou les trams sont à l'arrêt. Secundo, la société a changé et le télétravail comme les jours de RTT permettent désormais d'enjamber les désagréments. Tertio, la loi 2007 sur le service garanti (et non minimum) permet également de limiter la casse et de mettre en service (sauf quand il y a 100% de grévistes, ce qui n'arrive jamais) quelques trains, métros ou bus aux heures de pointe. Ce n'est pas Byzance, c'est sur, mais on est loin de Waterloo. Et quarto, les sondages et autres pétitions (comme celle en cours sur change.org, "Retraites: non à cette réforme injuste et brutale", qui a déjà recueillie plus de 700.000 signatures) sont si nombreux qu'ils ne valident plus grand chose ou peuvent être détournés pour démontrer l'inverse (700.000 signataires sur 68 millions de citoyens, c'est peu...).
Micro-blocages, grèves saute-moutons et mobilisations symboliques, clairement aujourd'hui, ne suffisent plus. L'heure, pour faire preuve d'efficacité, est aux actions coup de poings provoquant la peur et l'énervement collectif. Et souvent, il suffit de quelques grévistes seulement pour provoquer une pagaille maximale. On l'a vu cet automne avec le blocage, par quelques-uns, des raffineries et des dépôts de carburant qui a engendré une pénurie inédite d'essence, condamnant les Français à garder leur voiture au garage et à rester chez eux. D'ailleurs, le gouvernement - qui n'avait pas la main - n'avait-il pas sommé TotalEnergies de se mettre autour de la table de négociation pour trouver un accord avec des syndicats dont il se refusait de condamner l'action? Rappelons-nous 1995 et le blocage des axes autoroutiers par les camionneurs, emmenés par l'iconique Tarzan... Alain Juppé n'avait pas mis longtemps à battre en retraite sur la réforme des régimes spéciaux qu'il envisageait de mettre en œuvre (et qui sera faite, pour partie, 13 ans plus tard mais après l'instauration du service garanti dans les transports publics terrestres ferroviaires via la loi Bertrand).
Ce pouvoir de nuisance extrême est également détenu par les salariés d'EDF, Engie ou autres ERDF qui ont la possibilité - et on en mesure chaque jour toute la potentialité aux petites phrases des ministres qui les appellent à la responsabilité - de couper le courant sur tout ou partie du territoire, de manière temporaire ou durable, ciblée ou pas. Et en pleine crise énergétique induite de la guerre en Ukraine et transition écologique, la crainte de subir des "délestages", le nouveau nom pour dire "coupures", n'a jamais été aussi grand. Et là encore, pas besoin d'être des milliers pour appuyer sur le bouton et plonger le pays dans le noir ou le froid. Quelques-uns suffisent...