"Revivre" d'Alain PELLET

L’homme à la moto :

C’est l’histoire d’un mec dont la vie allait comme sur des roulettes, travailleur dans le bâtiment et dessinateur de presse à ses heures, qui se prend une pétée avec sa bécane : une flaque d’huile, suivie d’un virage sans fin qui devient le plus grand tournant de sa vie. Entouré de curieux l’ayant déjà enterré avant que les secours n’arrivent, Alain Pellet envoie une première salve : « les voyeurs devraient être moins idiots et plus discrets ».

Ingénieur avec un corps en mille morceaux, il s’attelle au plus grand chantier de son existence.

« Rester en vie » est son credo. Sa convalescence est telle une réanimation aux urgences : les gestes s’enchaînent, pas le temps de s’apitoyer. Il y a une route et il faut aller de l’avant.  

« Vous ne marcherez plus » disent les blouses blanches. L’enfer est sur terre, disent les Hells Angels. « Je m’en tirerai seul. Je m’en tirerai », dit l'auteur de cet ouvrage et d’ajouter « Je ne suis ni heureux ni malheureux. Aucun sentiment. Aucune pensée. Seulement réparer, recoller, faire fonctionner. Rien d’autre ». Notre motard, façon pantin désarticulé, envoie valdinguer tout ce beau monde, sans pouvoir accompagner ses mots de la gestuelle habituelle, car sa main droite restait paralysée. Je n’ai besoin de personne...en Harley Davidson.

Pas possible non plus de vivre sa passion, le dessin. « Donc, au boulot... » se dit-il.

Un ami infirmier soigne son pied gauche de nuit, tel un contrebandier, afin de lui éviter une amputation déjà agendée, puis un appareil de physiothérapie est utilisé clandestinement avec la complicité d'un soignant pour redévelopper l’innervation de son bras droit.

Et puis un jour, il se remet à dessiner, avec cette main qui était à jamais condamnée. Arrive une idée fixe et claire comme un tracé de route : reprendre son métier de dessinateur-géomètre. Il négocie l’utilisation d’un placard à balais, son « bureau », dans lequel se trouve une table pour se concocter un programme de physiothérapie maison, dessinant plusieurs heures durant sans s’arrêter. Tel un roman policier, ce parcours de haute-voltige avec un patient indocile dans un hôpital où exercent des matons et des ange-gardiens, Alain Pellet relate son escalade, le souffle court et le verbe simple, sans animosité en énonçant des faits.

Au fur et à mesure que son corps se répare, ce miraculé entraîne dans son sillage d’espoir d’autres patients en leur expliquant que le « problème n’est pas dans leurs membres abîmés, mais dans leur tête ». Il se rend compte que sa « méthode est très personnelle » et qu’elle ne convient pas à tous. Et si « cet accident, cette cassure, était une chance d’échapper à un avenir pas rose du tout » pour certains compagnons d’infortune, sans formation et issus de milieux modestes ?, s’interroge Alain Pellet.

La méthode de notre motard ressuscité : « Je lance dans ma tête le programme : genou ». « Je me suis réparé, élément par élément ». Calmant son cœur quand il s’emballe, envoyant des anticorps dans son pied infecté, visualisant ses poumons pour qu’ils cicatrisent, il voyage dans son corps à la manière d’un excellent hypnothérapeute ; intuitif et autodidacte ou à la manière d’un fou ? Il n’explique pas cette aventure intérieure, il la raconte. Il raconte pour que les cabossés de la vie reprennent espoir et que ceux qui les entourent s’inspirent de sa guérison.

C’était impossible, tout le monde le savait, sauf lui, et c’est pour cela qu’il l’a fait, dirait Pagnol.

Alain Pellet nous livre ici un texte, tel une glissade : des images stroboscopiques, un rythme syncopé, des phrases courtes, sans fioritures, à la manière d’un procès-verbal. L’urgence des mots. L’urgence de la vie. Puis les phrases se font plus longues, plus lentes, plus introspectives.  

Après avoir vu 36 chandelles à ses 20 ans et soufflé 50 bougies depuis l’accident, il admire ce paysage paysage d'été dans sa campagne bourguignonne, avec les vaches broutant paisiblement, et se dit que « la retraite ça a du bon » et c’est alors qu’un autre accident se produit...

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