SAMIR: rebondissements et (mauvaises) surprises en vue
Dès l'ouverture de la procédure, l'affaire de la faillite de la SAMIR nous laissait prévoir rebondissements, surprises et développements juridico-judiciaro-financiers intéressants. Le dernier en date concerne la demande de rejet d'un emprunt obligataire de 800.000.000,00 MAD (environ 80.000.000,00€). De manière succincte, douane et syndic de liquidation rejettent l'admission de cette dette dans le passif à payer au cours de la procédure. Les motifs tels qu'ils nous sont présentés dans la presse sont assez originaux et, s'ils sont fondés, pour le moins choquants.
La douane, d'abord, conteste l'origine de la créance (pourtant validée par l'autorité boursière à l'époque) et critique la forme de la déclaration de la créance, notamment du fait de l'absence de capacité à agir de la part de celui qui a procédé. Passons sur le deuxième point, qui n'est que forme et, s'il devait pourtant être confirmé, serait le signe d'un immense malaise dans les professions juridiques et judiciaires, nécessitant non pas une purge mais un assainissement urgent des pratiques. Le premier point est bien plus intéressant. En effet, qu'est-ce qui, juridiquement, pourrait permettre de contester valablement l'origine de la dette, antérieure à l'ouverture de la procédure, alors qu'elle a fait l'objet d'une validation par l'autorité de tutelle compétente. Dès lors, de deux choses l'une:
- soit la dette a été valablement souscrite dans la forme et la seule possibilité consisterait à reporter la date de cessation des paiement et plaider pour l'annulation de l'emprunt au titre de la période suspecte. L'effet serait radical mais étayé juridiquement dès lors que les faits seraient conformes aux exigences légales de durée. Mais pour cela, il faudrait prouver que la cessation des paiements est intervenue largement avant la date d'ouverture de la procédure (plus de 45 jours en tout cas). L'hypothèse est déjà envisagée, dans la même affaire, pour des crédits à court terme, notons-le.
- soit la dette n'a pas été valablement souscrite dans la forme et il va falloir se pencher d'un peu plus près sur la manière dont le régulateur financier, boursier, a travaillé à l'époque, pour revérifier l'ensemble des opérations réalisées à la même époque. Il faudra également auditer les procédures et fonctionnements actuels afin de vérifier que les agréments présents et futurs sont sécurisés juridiquement. Sinon, non seulement les dégâts seront colossaux dans ce dossier, mais c'est toute la place financière de Casablanca, le projet Casablanca Finance City, des perspectives de développement et une part de l'attractivité du Maroc qui en prendraient du plomb dans l'aile. Autant dire que les enjeux sont colossaux.
Dans les deux cas, les conséquences sont tellement importantes qu'il faudra nécessairement prendre le sujet à bras le corps, juridiquement, mais également en termes de gouvernance des entreprises et des grands projets structurants de l'économie marocaine.
Que soulève le syndic pour rejeter la dette ? L'argument est encore plus sidérant et soulève, là aussi deux pistes à explorer. Pour le syndic donc, toujours selon la presse qui s'en fait l'écho ce jour, la dette ne pourrait être admise car elle n'a pas été portée dans les livres comptables de la société. Le juge commissaire n'a pas suivi la position du syndic, mais la question persiste: est-ce vrai ? Si la dette n'est pas comptabilisée, alors il y a une faute gravissime (compte tenu des montants en jeu mais aussi sur la question de la fidélité de la comptabilité), non seulement des dirigeants mais aussi des commissaires aux comptes qui ne peuvent pas avoir ignoré une opération d'une telle ampleur sans avoir relevé l'anomalie. Si la dette a été comptabilisée, il y a un vrai problème à soulever ce type d'argument dans une procédure aussi imposante (par les montants, la société concernée, les enjeux sociaux, économiques et financiers...).
Nous voilà donc face à des développements qui sont particulièrement intéressants du point de vue juridique, pour ce qui est de l'application stricte de textes précis et existants, mais également du point de vue financier et en termes de crédibilité des entreprises marocaines et de la sécurité juridique des créances que les tiers pourraient détenir sur elles.
Notons, last but not least, que les conséquences des motifs évoqués aussi bien par la douane que par le syndic, pourraient également avoir des conséquences sur les dirigeants et les commissaires aux comptes. Cela a déjà été évoqué mais il importe de le souligner ici. Dans une autre affaire, la faute de gestion a amené à une demande d'ouverture de faillite personnelle et de déchéance commerciale à l'encontre de dirigeants. Là, les enjeux sont encore plus importants et touchent à la stabilité même de certains établissements (bancaires ou financiers par exemple) qui pourraient, par les conséquences directes et indirectes, subir des pertes véritablement lourdes.
Rendez-vous le 3 avril, la prochaine audience sur l'affaire SAMIR sera une fois de plus très observée et attendue.