SANTE CONNECTEE : VERS UNE MEDECINE A DEUX VITESSES ?
La transition vers une médecine connectée, propulsée par l'essor des technologies numériques et de l'intelligence artificielle (IA), promet de redéfinir les contours du système de soins, offrant des perspectives novatrices en termes de prévention, diagnostic, et traitement. Cependant, le baromètre 2024 sur la santé connectée, une enquête menée par Ipsos pour EDHEC et Bristol Myers Squibb, met en lumière des préoccupations significatives concernant l'accès inégal aux technologies de santé et la sécurité des données personnelles, soulignant le risque d'une médecine à deux vitesses.
A l’occasion de la première édition de ce baromètre en 2023, j’avais déjà souligné ce risque dans un post intitulé « Santé connectée : est-on en train de passer à côté de l’essentiel ? » . Mais dans le contexte actuel marqué par la révolution des intelligences artificielles et par la multiplication des fuites de données de santé, la question se pose plus que jamais.
Quoi qu’il en soit ce baromètre de la santé connectée réalisé par l’institut de sondage IPSOS et mis en place par Bristol Myers Squibb et l’EDHEC Business School dans le cadre de la nouvelle Chaire de recherche « Management in Innovative Health » créée en mai 202, est en passe de devenir un « must have » pour comprendre les évolutions comportementales et la perception des Français vis-à-vis des solutions digitales en santé.
Disparités et acceptabilité
L'étude révèle que 43% des Français expriment une forte appétence pour le numérique, un enthousiasme particulièrement marqué chez les jeunes adultes (18-34 ans), les hommes, et les catégories socio-professionnelles plus élevées, dénotant un clivage potentiel dans l'accès aux soins numériques.
Par ailleurs, une majorité de 69% des participants indique ne pas se sentir suffisamment informée sur la santé connectée, avec un sentiment d'insuffisance d'information plus accentué chez les 55-64 ans (79%), les résidents ruraux (74%), et les femmes (73%).
Ces chiffres illustrent une dichotomie préoccupante dans la société française : d'un côté, un groupe relativement jeune, urbain et éduqué, prêt à embrasser pleinement les avantages de la santé numérique ; de l'autre, une fraction significative de la population se sentant laissée pour compte, faute d'information et d'accès.
Un paradoxe sachant que c’est cette seconde fraction qui est la plus concernée par ces questions de santé…
L'Intégration de l'IA et la confiance des usagers
L'intégration de l'IA dans la santé numérique offre un potentiel immense pour améliorer les soins, avec 59% des Français ouverts à l'idée d'utiliser l'IA générative pour des informations d'ordre général. Cependant, cette confiance s'effrite à 47% lorsqu'il s'agit d'informations de santé spécifiques, révélant des inquiétudes quant à la précision et à la fiabilité des données fournies par l'IA.
Ces questions, qui viennent complétées le baromètre mis en place l’année dernière et qui accompagnent le développement des IA génératives dans les usages ont été posées alors que la révélation d'une fuite massive de données de sécurité sociale a exacerbé les craintes liées à la sécurité et à la confidentialité des données de santé.
Cela explique probablement en partie la baisse de confiance vis-à-vis des solutions de santé connectée de la part des personnes interrogées.
Ces résultats mettent en évidence la nécessité cruciale de renforcer la confiance des utilisateurs en assurant la sécurité des données de santé, une composante fondamentale pour l'adoption et l'acceptabilité à large échelle de la santé connectée.
Perspectives sur la gestion des données et la légitimité des acteurs
La question de qui est perçu comme légitime pour gérer et exploiter les données de santé est centrale. Selon le baromètre, une majorité se montre réticente à partager ses données de santé avec des acteurs extérieurs au domaine médical traditionnel, tels que les industriels du médicament ou de la technologie. Les GAFAM, avec seulement 12% des sondés ouverts à cette idée, ferment la marche.
Cette méfiance est moins marquée vis-à-vis des institutions publiques et des professionnels de santé, considérés comme plus légitimes et dignes de confiance dans la gestion des données de santé. Elle est cependant en chute entre 2023 et 2024 surement à cause de ces fuites de données déjà évoquées.
Ces perceptions suggèrent un appel à une gouvernance renforcée et éthique des données de santé, où la protection de la vie privée et la sécurité des informations personnelles sont prioritaires.
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Vers des approches plus inclusives
Face à ces défis, il devient impératif de promouvoir des approches plus inclusives, visant à démocratiser l'accès à la santé connectée tout en garantissant une sécurité maximale des données. Cela passe par une politique d'information et de sensibilisation ciblée, l'élaboration de normes éthiques rigoureuses pour la gestion des données de santé, et une collaboration étroite entre les acteurs publics, les professionnels de santé, et les entreprises technologiques pour développer des solutions respectueuses des droits et besoins de chaque individu.
En définitive, la santé connectée incarne un potentiel transformateur immense pour le système de soins. Néanmoins, pour réaliser pleinement ses promesses, il est crucial d'aborder et de résoudre les questions d'équité, de confiance et de sécurité. Les données issues du baromètre 2024 indiquent clairement que, bien que l'intérêt et l'appétence pour la santé numérique soient présents, des efforts significatifs doivent être entrepris pour assurer une transition équitable vers cette nouvelle ère de la médecine.
D'autre part, pour surmonter la méfiance envers certains acteurs, notamment les grandes entreprises technologiques, il est essentiel d'encourager la transparence et le dialogue entre les utilisateurs, les prestataires de soins de santé et les développeurs de technologies. La co-création de solutions de santé avec les patients et les professionnels de santé peut également contribuer à des innovations plus centrées sur l'humain et répondant réellement aux besoins des utilisateurs finaux. Mais il faut garder en tête que ce sont les professionnels de santé et les acteurs de santé « traditionnels « qui bénéficient de la confiance des utilisateurs.
La majorité des Français, soit 85%, se disent prêts à partager leurs données de santé avec leur médecin traitant, soulignant une confiance élevée dans la relation patient-médecin traditionnelle. Cette confiance se reflète également dans la disposition à partager des données avec des organismes publics, avec 62% des sondés acceptant de partager leurs informations avec l'Assurance Maladie et 65% avec les hôpitaux publics. Cependant, cette ouverture diminue considérablement lorsqu'il s'agit d'acteurs perçus comme extérieurs au secteur de la santé traditionnel. Seuls 12% des répondants accepteraient de partager leurs données de santé avec les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), reflétant une méfiance envers les grandes entreprises technologiques dans le contexte de la santé.
Ces données soulignent l'importance de la confiance et de la proximité avec le système de santé traditionnel dans l'acceptabilité du partage de données. Les inquiétudes concernant la confidentialité et l'utilisation éthique des données sont au cœur des réticences exprimées, accentuées par des incidents récents de fuites de données de grande envergure qui ont ébranlé la confiance du public dans la sécurité des systèmes d'information en santé.
En outre, l'adoption d'une approche inclusive dans le développement et le déploiement de la santé connectée implique de reconnaître et d'adresser activement les risques de creusement des inégalités. Des initiatives telles que le subventionnement d'outils numériques pour les populations défavorisées ou l'amélioration de l'accessibilité des services de santé numériques pour les personnes âgées et les résidents des zones rurales sont des mesures concrètes pouvant contribuer à une médecine plus équitable.
En conclusion, la santé connectée représente une évolution prometteuse du soin, portée par le potentiel d'amélioration de l'accès, de l'efficacité et de la personnalisation des traitements. Toutefois, son succès dépendra de la capacité collective à naviguer les défis éthiques, sociaux et techniques qu'elle présente. En plaçant l'humain au cœur de cette transformation, en renforçant la confiance et en garantissant l'équité d'accès, la santé connectée peut véritablement marquer le début d'une nouvelle ère de bien-être et de soins pour tous.
Ce baromètre est une belle initiative que Bristol Myers Squibb et l’EDHEC Business School ont dans le cadre de leur Chaire de recherche « Management in Innovative Health » et qui contribuera sans aucun doute à alimenter les réflexions et évolutions sur la place de la santé connectée dans notre système de santé dans les mois à venir.
A lire et partager ++++ donc !
Post réalisé en partenariat avec le laboratoire Bristol Myers Squibb
Médecin Vasculaire en Cabinet libéral et CHU Montpellier
8 moisOn va vers une médecine à 3 vitesses
Cofondateur du Think Tank Telesante et Numérique en Santé Ancien Président-Fondateur de la Société Française de Telemedecine Ancien Conseiller Général des Établissements de Santé Juriste de la Santé
8 moisOn pourrait aussi parler d’une médecine « jacobine », par ex l’IdF et plus généralement les grandes métropoles recueillant tous les financements pour le développement de l’IA en santé et une médecine « girondine » qui n’a pas les infrastructures de recherche et applications ad hoc pour un tel développement. Le gap entre l’intérêt de la population jeune et les attentes de la population âgée est également expliqué par plusieurs raisons dont l’ illectronisme des personnes âgées généralement sous évalué par les « décideurs » ( et les sondeurs), le besoin en soins plus élevé dans la population âgée atteinte de maladies chroniques que dans la population jeune en meilleure santé. Bref tous ces sondages ont de nombreux biais😉.
Expert eSanté, Assurance et Data | 🩺 Conseil en stratégie, 🧭 gouvernance, 📡 systèmes d'information, 🛡️ cybersécurité
8 moisMerci beaucoup LIONEL REICHARDT, de mon côté j'identifie 2 leviers clés pour ne pas passer à côté de l'essentiel : 1/ La mise en conformité légale peut être un frein pour les industriels, et pourtant, c'est un gage de confiance indispensable pour les usagers. En attendant la fluidification du régulateur, il faut se faire accompagner pour gagner du temps et de l'argent. 2/ La confiance des usagers doit aussi passer par de la formation, l'information n'étant pas assez fiable ou accessible.
Consultant en Affaires Publiques - Santé Conférencier, Membre de la Cellule Ethique du Numérique en Santé, Chargé de Cours Droit de la Santé
8 moisPlus que deux vitesses.. lorsque j’écoute certains patients ou famille ayant des patients en détresse, cela ressemble plus à une marche arrière qu’une quelconque vitesse…
Nous sommes déjà dans un système de médecine à plusieurs vitesses. En terme de coûts, de moyens, d'accès, mais aussi en terme de qualité. Le système actuel est loin d'être parfait. Lorsqu'on met en place une innovation, elle n'est pas parfaite de suite et n'est pas accessible à tous comme on le voudrait. Cela serait trop beau :) Mais, devons nous suspendre pour autant le développement de cette innovation? Devons nous attendre la perfection en terme sécurité, coût, diffusion pour la rendre accessible? Devons-nous renoncer à un système potentiellement performant parce qu'il risque d'engendrer des différences?