Sapiens, une brève histoire de l’Humanité
Sapiens, une brève histoire de l’Humanité, par Yavel Noah Harari, Albin Michel.

Sapiens, une brève histoire de l’Humanité

Je vous recommande chaudement le livre vivifiant et assez provocateur de l’historien israélien Yavel Noah Harari intitulé Sapiens, une brève histoire de l’Humanité (2011).

L’auteur raconte comment 3 révolutions importantes (cognitive, agricole et scientifique) affectèrent les êtres humains et infléchirent le cours de l’histoire vers l’Unification. La compréhension de l’histoire de l’Homo Sapiens revient à répondre à une seule question exprimée par l’auteur : « Comment les hommes se sont-ils organisés en réseaux de coopération de masse, alors que leur manquaient les instincts biologiques nécessaires pour entretenir de tels réseaux ? La réponse courte est qu’ils créèrent des ordres imaginaires [monnaie, religions, empires, droits de l’homme etc.] et inventèrent des écritures. Ces deux inventions comblèrent les vides laissés par notre héritage biologique », l’Homo Sapiens n’ayant pas plus de droits naturels que les araignées.

(I) La Révolution cognitive donna le coup d’envoi à l’histoire voici quelque 70000 ans. La révolution cognitive a permis à l’homme de coopérer à grande échelle. Cette coopération s’est enracinée « dans des mythes communs qui n’existent que dans l’imagination collective. »

La mutation de l’arbre de la connaissance par le langage et l’abstraction nous a permis de nous élever d’un animal insignifiant pour s’installer tout en haut de la pyramide en un temps record, sans même laisser le temps à l’écosystème de s’ajuster : « la première vague de colonisation Sapiens a été l’une des catastrophes écologiques les plus amples et les plus rapides qui se soient abattues sur le règne animal ».

Déjà à l’époque des chasseurs-cueilleurs, Homo Sapiens était en effet un serial killer écologique : « La première vague d’extinction, qui accompagna l’essor des fourrageurs et fut suivie par la deuxième, qui accompagna l’essor des cultivateurs, nous offre une perspective intéressante sur la troisième vague que provoque aujourd’hui l’activité industrielle. Ne croyez pas les écolos qui prétendent que nos ancêtres vivaient en harmonie avec la nature. Bien avant la Révolution industrielle, Homo sapiens dépassait tous les autres organismes pour avoir poussé le plus d’espèces animales et végétales à l’extinction. Nous avons le privilège douteux d’être l’espèce la plus meurtrière des annales de la biologie ». 

(II) La Révolution agricole accéléra la révolution cognitive voici environ 12 000 ans. Cette dernière constitue selon l’auteur la plus grande escroquerie de l’Histoire : si elle a été le gage de la réussite au regard de l’évolution, elle s’est accompagnée d’une plus grande souffrance individuelle en créant des désirs qui nous affligent. « Telle est l’essence de la Révolution agricole : la faculté de maintenir plus de gens en vie dans des conditions pires. »

A partir du premier millénaire avant notre ère, la flèche de l’Histoire pointa inlassablement vers l’unification de l’humanité autour de trois ordres imaginaires universels :

-      Le premier ordre universel à apparaître était économique : l’ordre monétaire, qui devint « le système de confiance mutuelle le plus universel et le plus efficace qui ait jamais été imaginé » ;

-      le deuxième était politique : l’ordre impérial, qui s’installa dans la diversité culturelle et la flexibilité territoriale ;

-      et le troisième religieux : l’ordre des religions universelles telles que le bouddhisme, le christianisme et l’islam (mais aussi le capitalisme ou le communisme !), qui se définirent « comme un système de normes et de valeurs humaines fondé sur la croyance en l’existence d’un ordre surhumain » ;

Les Homo Sapiens créèrent ainsi des instincts artificiels qui permirent à des d’inconnus de coopérer efficacement. C’est ce réseau d’instincts artificiels qu’on appelle « culture ». Les contradictions internes à ces cultures ou dissonances cognitives (par exemple, la conciliation de l’égalité avec la liberté individuelle), loin de les affaiblir, en furent le sel : « si les gens avaient été incapables d’avoir des croyances et des valeurs contradictoires, il eût été probablement impossible d’instaurer et de perpétuer la moindre culture humaine ». 

(III) La Révolution scientifique, engagée voici seulement 500 ans, « a été non pas une révolution du savoir, mais avant tout une révolution de l’ignorance. La grande découverte qui l’a lancée a été que les hommes ne connaissent pas les réponses à leurs questions les plus importantes ». Cette découverte est allée de pair avec un goût insatiable pour la recherche scientifique, exacerbé par l’impérialisme et le capitalisme : « la boucle de rétroaction entre la science, l’empire et le capital a été le principal moteur de l’Histoire au cours des 500 dernières années. »

-      le mariage de la science de l’empire permirent aux européens de conquérir le monde : « les chercheurs ont fourni au projet impérial connaissances pratiques, justification idéologique et gadgets techniques. Les conquérants les ont payés de retour en fournissant aux scientifiques information et protection, en soutenant toutes sortes de projets étranges et fascinants et en propageant les formes de pensée scientifiques jusque dans les coins les plus reculés de la Terre » ;

-      la révolution scientifique est allée de pair avec le credo capitaliste, qui repose sur la confiance dans l’avenir : « pour peu que nous reconnaissions notre ignorance et investissions des ressources dans la recherche, les choses peuvent s’améliorer. » Alors que le capitalisme ne saurait assurer que les profits sont acquis ou distribués de manière équitable, il s’agit pour autant de « la première religion de l’histoire dont les adeptes font vraiment ce qu’on leur demande de faire : les éthiques capitaliste et consumériste sont les deux côtés de la médaille, la fusion de deux commandements. Le commandement suprême du riche est : ‘ Investis !’ Celui du commun des mortels : ‘Achète !’ »

Mais face à tant de richesses accumulées au cours des cinq derniers siècles, l’Homo Sapiens est-il devenu pour autant plus heureux ? Les conditions objectives se sont incontestablement améliorées (triomphes de la médecine moderne, chute sensible de la violence, quasi-disparition des guerres internationales et la quasi-élimination des grandes famines). Pour autant, l’ordre social a été entièrement transformé, tout comme la politique, la vie quotidienne et la psychologie humaine :

-      Nous avons vu que l’espèce humaine s’est élevée au sommet si rapidement que l’écosystème n’a pas eu le temps de « s’ajuster ». De surcroît, les humains eux-mêmes ne se sont pas ajusté : « il n’y a pas si longtemps, nous étions les opprimés de la savane, et nous sommes pleins de peurs et d’angoisses quant à notre position, ce qui nous rend doublement cruels et dangereux. »

-      Par ailleurs, « la Révolution sociale la plus capitale qu’ait jamais connue l’humanité est l’effondrement de la famille et de la communauté locale remplacés par l’État et le marché (…). Or, Il semble que la famille et la communauté aient plus d’impact que l’argent et la santé sur notre bonheur (…). Dès lors, on ne saurait exclure la possibilité que l’immense amélioration des conditions matérielles au cours des deux derniers siècles ait été annulée par l’effondrement de la famille et de la communauté ».

Le chapitre 19 sur le bonheur nous interroge sans ménagement sur le bonheur :

1.     « Le constat de loin le plus important est que le bonheur ne dépend pas vraiment des conditions objectives : richesse, santé ou même communauté. Il dépend plutôt de la corrélation entre conditions objectives et attentes subjectives ».

2.     « Le bonheur n’est pas l’excédent de moments plaisants sur les moments déplaisants. Le bonheur consiste plutôt à voir la vie dans sa totalité : une vie qui a du sens et qui en vaut la peine ».

3.     Or, « d’un point de vue scientifique, pour autant qu’ou puisse le dire, la vie humaine n’a absolument aucun sens. Dès lors, tout sens donné à la vie n’est qu’une illusion ».

L’auteur tire de cet enchaînement une hypothèse assez déprimante :« Peut-être le bonheur consiste-t-il à synchroniser ses illusions personnelles de sens avec les illusions collectives dominantes. Dès lors que mon récit personnel est au diapason des récits de mon entourage, je puis me convaincre que ma vie a du sens et trouver mon bonheur dans cette conviction ».

Il faudrait s’illusionner pour être heureux, ce qui m’évoque d’ailleurs cette phrase du journaliste et humoriste français de la Belle Epoque Alphonse Allais : « un homme qui sait de rendre heureux avec une illusion est infiniment plus malin que celui qui désespère avec la réalité ».

Selon Harari (qui ne se rend pas coupable pour autant d’un romantisme dépressif), la Révolution scientifique pourrait bien mettre fin à l’histoire et amorcer quelque chose d’entièrement différent : la révolution biologique, voire la fin de l’Homo Sapiens. En effet, « le remplacement de la sélection naturelle (processus vieux de 4 milliards d’années) par un dessein intelligent pourrait se produire de trois façons : par le génie biologique, le génie cyborg ; ou le génie de la vie inorganique (Intelligence Artificielle) ».

L’étape suivante de l’Histoire comportera peut-être des transformations essentielles de la conscience et de l’identité humaines. Pour Harari, ces transformations pourraient être fondamentales au point de remettre en question le mot d’« humain ».

Une conclusion qui me donne l’envie de lire la suite Homo Deus : Une brève histoire de l'avenir paru en 2015.

Frédéric Paletou

Astronome à l'Observatoire Midi-Pyrénées, Université Paul Sabatier, Toulouse III, IRAP

5 ans

vient ensuite...Sapiens vs. sapiens, de P. Picq

Clémence Marque 💊

Conférencière & consultante - PharmD - Adrastia / Médicament, industrie pharmaceutique, risques systémiques & d’effondrements, résilience sanitaire

5 ans

Merci pour cette très bonne synthèse !

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